Au cours de cette journée à Montpellier Danse, une ?uvre s’est posée là, sans crier gare. Après le raffut médiatique de la chorégraphe Blanca Li (à 20h avec « Le jardin des délices ») et le choc de Bouchra Ouizguen (à 18h avec « Madame Plaza »), Herman Diephuis se glisse à 22h pour « Ciao Bella ». Cinq femmes habillées de couleurs sombres avec deux bancs installés sur une grande scène, dessinent une ?uvre dont on n’est pas loin de penser qu’elle fera date dans l’édition 2009 du festival. « Ciao Bella » vous prend par la main, avec délicatesse, pour poser un regard là, puis ici, tout en vous laissant le temps de faire les liens. Sans tension, ni anesthésiant, cette ?uvre transforme le spectateur en équilibriste contemplatif.
Cinq femmes occupent le plateau pour une « projection fantasmée du désir masculin, dont les images contradictoires piègent même celles qui les refusent ». Toute la première partie n’est qu’une succession de poses, inspirées des tableaux italiens du Quattrocento, tandis que la deuxième, voit notre quintet danser sur des tubes discos et pop (Olivia Newton-John, Madonna et les Bee Gees). Parmi elles, une danseuse attire l’attention (sublime Dalila Khatir): elle est ronde et s’amuse (entre autres) avec ses gros seins et ses formes généreuses. Elle est un centre de gravité où se déploie l’imaginaire individuel et collectif. C’est autour de cette figure « maternelle » que se projette le désir. Il n’y a là rien de révolutionnaire dans le propos, mais la chorégraphie d’Herman Diephuis s’appuie sur ce contraste pour jouer avec les clichés et créer une belle dynamique circulaire entre elles et nous.
Ici, rien ne vient cliver la démonstration : il n’y a pas d’un côté un désir masculin dominant et de l’autre une soumission féminine (sinon, je n’aurais jamais pu m’inscrire dans cette proposition !). La danse remet au centre l’interaction : c’est là où tout se joue. C’est cet espace circulaire qui en jeu dans « Ciao Bella » : rien n’est imposé au spectateur et c’est à lui de jouer ou pas. Alors, jouons !
Clap de cinéma dans les mains, je divague dans cette atmosphère cinéphile (pourquoi l’image de Mastroianni surgit-elle?) où les danseuses incarnent des actrices (Bardot, Deneuve, Signoret, …). Puis, je les imagine s’immiscer dans « le jardin des délices » de Blanca Li : elles articulent le film harmonieux d’Eve Ramboz et les stéréotypes du paradis et de l’enfer imposés par Blanca Li. Elles personnifient les femmes du tableau de Jérôme Bosch pour nous aider à interpréter toute la complexité de cette ?uvre à la lumière de la crise morale que nous connaissons. Je les projette ensuite assises sur leurs bancs, en face des quatre femmes de « Madame Plaza » de Bouchra Ouizguen : elles apprennent à libérer leurs corps de tous les clichés pour jouer encore un peu plus avec eux et dessiner des liens improbables entre les hommes et les femmes !
« Ciao Bella » est une ?uvre profondément processuelle que l’on serait bien en peine de ranger dans une case. Pour la mettre en dynamique, il faut l’inscrire dans un ailleurs, faute de quoi on pourrait rester sur sa faim. Elle est un espace si relationnel qu’elle réussit à relier ce que le temps chronologique d’un festival sépare parfois.
Herman Diephuis donne de sa liberté. C’est si bon de se ressentir un spectateur émancipé.
Pascal Bély
“Ciao bella” d’Herman Diephuis a été joué les 20 et 21 juin dans le cadre du Festival Montpellier Danse.
Crédit photo: Audoin Desforges