Ils nous arrivent de Slovénie. Avec eux, le théâtre est « fun ». Ils se présentent comme performeurs et nous applaudissent déjà, accueillants et séducteurs pour créer la confiance. Après ces quelques préliminaires « amoureux », « Four deaths » peut se poursuivre.
En fond de plateau, un grand écran vidéo projette à tour de rôle la photo de quatre artistes européens exceptionnels (Pina Bausch, Tim Etchells, La Ribot et Marina Abramovic). Pour chacun d’eux, un comédien met en scène leur agonie, leur disparition. Entre l’image du « disparu » et la performance de ces acteurs : nous, public, au « travail ».
Car notre présence n’est pas de tout repos. Entre les moments de silence (bienvenus pour laisser toute sa place à notre imaginaire, à l’écoute de nos ressentis) et les changements de décor (où un « ballet » de trois femmes de service chargées de nettoyer le plateau entre chaque tableau symbolise l’humilité de tout acte artistique), nous interprétons notre rôle. À condition d’accepter la relation que ces beaux artistes nous proposent. S’ils jouent pour de « faux », désirons-nous travailler pour de « vrai » notre regard sur la performance et ce qu’elle véhicule ? Souhaitons-nous vivre ce lien d’amour par « performeurs » interposés ? En incluant l’engagement, la radicalité du propos de ces quatre artistes dans une performance, Grega Zorc, Katarina Stegnar, Barbara Kukovec et Petra Zanki nous invitent à nous questionner sur notre rapport à l’art (« que voyons-nous » ?), à notre place de spectateur (« pour quoi suis-je ici ce soir ? »). L’intention n’est pas nouvelle si l’on se rappelle du « Show must go on » du chorégraphe Jérôme Bel ou des dernières ?uvres de Maguy Marin. A la différence qu’ici, la relation entre « eux » et « nous » est “la” performance. Lien d’amour sans limite avec Pina Bausch, brutal et tout puissant avec Tim Etchells, provocant avec La Ribot, violent et fou avec Marina Abramovic.
La performance est donc là : ressentir, vivre cette relation d’amour avec ces artistes, sans unité de lieu et de temps (on passe d’un univers à l’autre en vingt minutes à peine). Un amour par procuration à travers le processus artistique d’une performance. Face à la complexité d’une telle relation, nos quatre performeurs ne tombent jamais dans la démagogie et le pathos facile. C’est souvent émouvant, parfois amusant, et totalement respectueux de notre place. J’ai ressenti la relation particulière que j’entretiens avec Pina Bausch, revécue celle avec Marina Abramovic lors du Festival d’Avignon en 2005. J’ai pu réinterrogé mon regard sur la performance de La Ribot vue lors du dernier Montpellier Danse. Ils n’ont donc rien usurpés et fait ?uvre d’une belle pédagogie pour ceux qui ne connaissaient pas ces artistes.
On peut toutefois regretter qu’ils n’aient pas ouvert l’espace (j’aurais préféré un dispositif bifrontal) et qu’il n’y ait pas eu de la part du Festival Komm’n’act l’organisation d’un moment d’échanges et de débats entre spectateurs après la représentation, autour d’un verre, dans l’espace pourtant convivial de Montévidéo. Entre la fraîcheur et l’ouverture de ce collectif d’artistes Slovène et notre difficulté bien française à travailler le lien dans la créativité, il y aurait là une performance que ce festival pourrait assumer !
Pascal Bély
www.festivalier.net
“Four Deaths” par le collectif Via Negativa a été joué les 18 et 20 avril dans le cadre du festival Komm’n’act à Marseille.
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