« Un jour, je parlerais moins / jusqu’au jour où je ne parlerais plus »
Alain Bashung n’est plus.
« Le cri », chorégraphie de Nacera Belaza accueille ma profonde tristesse en ce dimanche ensoleillé sur Marseille. Elles sont deux s?urs à danser, à me tendre les bras, pour aller me chercher, là où je suis. Regard embrumé, je fixe leur toute première apparition. La lumière est douce et leurs corps émergent à peine. Elles semblent venir de loin. La Callas chante tandis que la voix sensuelle de Larbi Bestam se fait entendre comme un cantique. Elles sont deux à faire le même geste avec leurs bras et les pieds joints, telle une prière, comme pour forer l’insondable.
Leur danse vient peu à peu et m’approche.
Elles sont deux, l’une pour rassurer, l’autre pour tendre la main.
Elles sont deux, image du double, de forces antagonistes prélude au chaos, de l’art qui surpasse l’artiste.
Elles sont deux pour décupler l’imaginaire du spectateur avec leurs bras, armes du poète.
Elles sont deux tandis qu’une partie de moi est partie avec Bashung. Il m’a laissé là, en rade : « Gaby, je sens comme un vide ».
Alors, elles s’approchent du bord de scène et la Callas chante la Traviata de Verdi. La voix d’Amy Winehouse s’en mêle. Je ressens le « vertige de l’amour » alors qu’elles s’éloignent en fond de scène, comme si le rock enchevêtré à l’opéra faisait v?u d’éternité.
Avec leurs bras, elles malaxent, « l’argile prend forme / l’homme de demain sera hors norme/ un peu de glaise avant la fournaise/ qui me durcira ».
Avec leurs bras et leurs pieds joints, elles transforment la scène en cathédrale pour la transcender.
Me voilà avec elles, pris de tourbillons, comme si à force de me faire tourner la tête, elles avaient puisé l’inépuisable : je n’en finirais donc jamais d’aimer les artistes.
« Madame rêve ad libitum
Comme si c’était tout comme
Dans les prières
Qui emprisonnent et vous libèrent »
Pascal Bély – Le Tadorne
” Le cri” de Nacera Belaza a été joué le 15 mars 2009 au Théâtre du Merlan de Marseille.