On ose à peine applaudir. Le public quitte peu à peu les gradins pendant que les artistes entrent et sortent de scène, en rejouant inlassablement leur traversée du désert. Alors qu’un message écrit en haut d’un mur, nous informe que « la représentation est finie » et nous souhaite de « bien rentrer », nous sommes une dizaine de spectateurs à ne plus vouloir partir. Il plane un doute et me revient la phrase de Samuel Beckett dans « Fin de partie »: «Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir». À ce moment précis, le théâtre est intemporel et flotte une atmosphère enveloppante d’apocalypse avec ce sentiment étrange qu’un autre monde est peut-être possible, qu’un « autre soi » est en marche. Avec « Sables et soldats » créé au Théâtre2Gennevilliers, Oriza Hirata nous convie dans un espace paradoxal où le sable mouvant posé sur une scène suspendue par des cordes s’inscrit dans une mise en scène répétitive : tout change, mais rien ne change. C’est dans ce paradoxe qu’Hirata puise l’extraordinaire force poétique de cette ?uvre qui voit la rencontre improbable, en plein désert, de civils et de militaires où le sable fait vaciller notre civilisation qui ne sait plus très bien où elle va, où ce sable est le territoire vivant de notre inconscient individuel et collectif en période de « bataille intime ».
C’est une guerre entre soldats français et l’ennemi où se croisent un couple français de jeunes mariés en voyage de noces, une femme à la recherche d’un mari soldat disparu, d’un père et sa fille à la poursuite d’une mère qui s’est enfuie. Autant de destins qui s’enchevêtrent, où le rôle de l’un pourrait se jouer dans la vie de l’autre. Si bien que le spectateur n’observe pas. Il s’immisce dans les articulations, les contraires, les paradoxes grâce à son écoute: entre une guerre globale et le chaos le plus intime, entre le bruit des balles médiatiques et des armes silencieuses parfois enfouies comme des vestiges archéologiques, entre mouvement linéaire des acteurs et perte du sens de l’orientation, entre une France en guerre et ses soldats qui « ne font que marcher » (allusion aux valeurs universelles de paix que Sarkozy piétine ?).
Cette scène est sublime, car s’y joue une part de nous-mêmes dans une guerre « mondialisée »: on n’y évoque que l’amour, l’enfance, l’autre – soi disparu. Chacun semble chercher l’objet perdu, la quête d’un idéal, la part de soi enfoui par une histoire qui n’est pas la sienne.
Cette ?uvre finit donc par cheminer intérieurement. Elle n’intimide pas. Elle donne la vie. Elle est un espace de liberté qui fait de vous un spectateur – écoutant, un sujet, à la fois fragile et fort car respecté.
« Sables et soldats » d’Oriza Hirata est une oeuvre qui s’étire en longueur parce que nous sommes parfois un peu courts. Elle s’inscrit dans la temporalité de l’humanité qui la hisse au rang d’un chef d’?uvre théâtral intemporel.
Pascal Bély
“Sables et Soldats” d’Horiza Hirata est joué jusqu’au 11 avril 2009 au Théâtre2Gennevilliers.
Photo: : pierregrosbois.net
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