C’est la chronique d’une fête désenchantée. Pourtant, j’y suis allé avec envie, confiance et détermination.
Parce que c’est eux. “La Zouze”, compagnie animée par le chorégraphe Christophe Haleb. En 2008, elle nous avait fait divaguer dans un hôpital psychiatrique d’Uzès puis embarqué dans un « Domestic Flight » turbulent sur le genre.
Parce que c’est moi. Depuis le début de cette année de crise, je veux bouger, m’inclure dans un flux artistique et non me cantonner dans une posture qui pourrait se rigidifier.
Parce que c’est nous. En ces temps anxiogènes, de tape-à-l’?il et de « bling – bling », il est si rare d’être invité pour 10 euros à passer une soirée avec « Evelyne », héroïne de cette soirée, une parfaite inconnue.
Le rendez-vous. Samedi soir, 20h30, au Palais de la Bourse, siège de la Chambre Economique et d’Industrie de Marseille, sur la Canebière. Le Théâtre du Merlan squatte ce lieu du second Empire pour deux soirées avec « Evelyne House of Shame », articulation prometteuse entre le cabaret, le bal, et l’underground de Marseille (sic).
L’ambiance. Comme pour une réception chez l’Ambassadeur, nous sommes nombreux à divaguer dans le hall de la Chambre. Au c?ur de ce lieu du commerce, nous voilà, pauvres consommateurs fauchés par la crise, à attendre. Quelques groupes se forment ; le monde est si petit à Marseille. Pas assez connu (je suis aixois !), je cherche ma place, mais c’est sans compter sur l’un des acteurs de la Zouze qui s’avance dans le hall. Déguisé pour le bal, il s’approche. J’évoque “Uzès Danse “; il me présente à une spectatrice. C’est cela La Zouze : lier.
Vive la crise ! Le public monte les escaliers. Une dizaine d’acteurs, costumés de perruques et d’ornements d’une époque passée et à venir, gravit les marches main dans la main avec les spectateurs, pour les descendre aussi tôt. Le Festival de Cannes n’a qu’à bien se tenir. Cette montée, au c?ur de ce palais économique et financier, démontre que l’art peut y circuler et faire bon ménage avec le capital. Alors que la « Princess Hanz » chante « Money money » en jetant des ronds de papier, j’hurle avec eux du haut du troisième étage en pensant aux 13 milliards d’euros de bénéfice de Total. On croirait à une manif où le citoyen réinvestirait avec les artistes une sphère dont il est de plus en plus exclu. Mais en reliant la Chambre de Commerce à l’argent qui coule à flot, la Zouze se prive de l’investir comme le lieu d’un commerce de l’immatériel, celui qui nous aidera à sortir de la crise.
Le retour à l’ordre. Le peuple est là, auprès de La Zouze, à circuler verre de champagne à la main, dans cette salle de réception. Les personnages rodent autour de cette Evelyne absente et omniprésente. Elle est l’Autre, le « je » caché, cette diversité, cette créativité, que notre société censure. Nous buvons à la santé des comédiens, au retour des artistes sur la scène économique et politique ! Du haut de la barricade faite de plastique à l’image d’une ?uvre d’art contemporain, l’acteur Arnaud Saury nous invite délicieusement avec son texte baroque, à nous métamorphoser en « Evelyne », à baisser nos barrières de défense.
Mais la suite du bal, n’apportera rien de plus. On nous habille de robes en crépon pour les dames, d’uniformes en papier pour les messieurs ; nous défilons à l’image d’une société qui ne promeut que l’individu. On nous fait danser à deux, puis en farandole, dans des mouvements si mécaniques que l’on en perd le sens. Les rituels d’une soirée de mariage émergent peu à peu. L’art se dilue dans des pratiques collectives si connues que l’on en vient à s’ennuyer ferme. L’artiste signe son impuissance à créer le « vivre ensemble » en dehors des sentiers battus.
Evelyne a disparu. L’absence d’articulation entre les dernières séquences (mini cabaret où le public est assis au pied des artistes ; séance de relaxation pour quinze spectateurs « élus » dans une salle d’un conseil d’administration !) dilue le propos artistique et la dynamique sociale.
Il manque à ce bal artistique un ancrage. Alors que Marseille s’apprête à être capitale européenne de la culture en 2013, que souhaitons-nous faire ensemble ? Peut-on continuer à se retrouver entre blancs, entre professionnels et amateurs de culture, dans un lieu à ce point coupé de la ville et de ses réalités sociales. La suite, programmée dans le trés huppé Festival de Marseille, n’annonce rien de bon.
Mais que nous arrive-t-il pour avoir si peur de nous ouvrir ?
Pascal Bély
www.festivalier.net
“Evelyne House Of Shame” de Christophe Haleb par la Zouze Compagnie a été présenté les 13 et 14 février 2008 dans le cadre de la programmation du Théâtre du Merlan. Suite au Festival de Marseille en juin prochain. On préfera danser à Montpellier ou Avignon.