La scène du Théâtre de Gramond est une caisse sombre. Clostrophobe s’abstenir. Elles arrivent, toute de noir dévêtues, en maillot de bain et talons aiguilles pour l’une, bottes pour l’autre. D’emblée, je ressens que tout cela va mal finir. Elles gémissent en retenant leurs larmes avec un gros mouchoir noir. Leur relation est à pleurer : méchantes et sans égard, elles jouent à celle qui pousse l’autre le plus fort. Mathilde Monnier et La Ribot en font des tonnes, l’orage finit par gronder et un bruit assourdissant envahit la salle. On croirait le début de la fin du monde quand elles se jettent sur le sol, maculé de rideaux noirs (de théâtre ?). Je les attendais pour me marrer un peu. Au final, je quitte leur univers quelque peu dépité. Elles ont un sacré problème qui n’est pas le mien. Ou du moins pas encore…
Car si « Gustavia » manque de fluidité dans la mise en scène et paraît non abouti, quelques scènes marquent les esprits peu préparés à voir Mathilde Monnier sur ce registre angoissé, d’autant plus qu’elle nous avait laissé en 2006 avec l’univers déjanté de Philippe Katerine et en 2007 à l’unisson avec « Tempo 76 ». Et même s’il était question à l’époque de notre monde vacillant, Monnier a semble-t-il pris un gros coup sur la tête. Comme en témoigne les dix minutes où La Ribot, une planche à la main (vestige de la croix du Christ ?) tourne autour d’elle-même comme une hélice d’hélicoptère, pour lui en mettre plein la gueule. Violence d’une époque qui la voit se relever et évacuer à deux cette planche maudite. Alors que la Ribot s’emmêle les pinceaux à vouloir nous parler de la mort (l’acteur aurait-il ainsi perdu de sa superbe ?), elles s’essaient à une articulation avec l’art contemporain qui fonctionne à vide, seau sur la tête. La forme disqualifie le sens dans une société toujours plus friande de communication publique (il suffit pour s’en convaincre d’observer les stratégies marketing de nos institutions culturelles !).
Mathilde ne va pas fort. Et nous n’avons encore rien vu. La dernière scène, où sur deux tabourets, elles nous offrent une logorrhée sur la femme, avec gestes appuyés pour signifier le degré zéro de la pensée : nous en serions donc là de nos archétypes usées et rabâchées. L’angoisse est palpable. Je ne ris qu’à moitié. « Gustavia », nom de femme, pour faux nom de scène, interpelle sur les nouvelles formes de l’art et leurs représentations. À l’heure de la Sarkozy décadente, elle pointe là où cela fait mal. C’est un acte courageux de la part du Centre Chorégraphique National de Montpellier, dirigé par Mathilde Monnier, que de positionner la danse sur de tels questionnements.
« Gustavia » sonne peut-être un virage dans la carrière de ces chorégraphes aux propositions atypiques. Il n’en reste pas moins que l’on ne peut pas laisser Gustavia seule, avec sa planche et ses tabourets.
La prochaine fois, nous pourrions nous les recevoir sur la tête.
Pascal Bély – www.festivalier.netPs: quelques mois aprés, au Festival d’Automne à Paris, Guy Degeorges d’Un soir ou un autre a cherché la cohérence…
” Gustavia” de Mathilde Monnier et La Ribot été joué le 2 juillet 2008 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.