Après le superbe « Méfisto for Ever » présenté en 2007 au Festival d’Avignon, le metteur en scène belge Guy Cassiers nous revient avec deux pièces (dont une création), « Wolfskers » et « Atropa, la vengeance de la paix ». Le tout forme une trilogie sur « pouvoir et monstruosité ». L’une m’a provoqué une violente migraine, tandis que l’autre m’a profondément engourdi. Simple hasard ou lassitude à l’égard d’une forme théâtrale qui atteint mes limites ?
Pour « Wolfskers », Guy Cassiers s’est inspiré des trois films du cinéaste Russe Alexandre Sokourov portant chacun sur Lénine, Hitler et Horohito. Réunis sur un même plateau, séparé par des cloisons virtuelles, nous passons d’un personnage à l’autre où, dans l’intimité de leur environnement personnel et social, nos trois hommes complotent, délirent sur la marche du monde, dorment et mangent. L’entourage de l’un finit par devenir celui du voisin. A l’exception des trois protagonistes principaux, les acteurs franchissent avec brio les frontières imaginaires. Telle une maïeutique, l’ensemble tisse la toile de la folie du pouvoir personnel. La scénographie est exceptionnelle : par un jeu de lumières et de vidéos, Guy Cassiers restitue le chaos psychologique des personnages, mais son propos est une impasse. Je ne vois plus rien dans cette intrication, comme si la mise en scène englobait le tout sans que l’on cerne les limites de chacun, leurs différences, et l’importance des contextes. Peut-on mettre au même niveau l’URSS de Lénine, le Japon de Horohito, l’Allemagne d’Hitler ?
« Wolfskers » pose un problème éthique : peut-on expliquer la complexité des enjeux à partir d’une lecture psychologique dont la mise en scène de Cassiers laisse à penser qu’elle donnerait les clefs d’une compréhension globale (après tout Hitler pouvait être amoureux et aimer les crabes comme vous et moi) ? Je suis pris d’effroi quand le théâtre dévie notre regard vers des formes soignées au détriment du sens de l’histoire.
« Atropa, la Vengeance de la paix », dernier épisode du tryptique pose bien d’autres questions. En revisitant le mythe de la guerre de Troie en incluant les discours de George W.Bush, Donald Rumsfeld, du weblog de Riverbend (jeune femme Irakienne qui a écrit alors que Bush déclarait les affrontements « officiellement terminés »), Guy Cassiers et l’auteur Tom Lanoye offrent une occasion unique pour nous interroger sur la guerre, dont les raisonnements qui la sous-tendent sont intemporels. Pour Fabienne Darge, critique au journal « Le Monde », « le travail de Guy Cassiers travaille sur l’intensité du regard. Sur son ambiguïté, aussi, tant est poreuse chez lui la frontière entre vision réelle et vision mentale ». Est-ce cette porosité qui me brouille, qui me fait voir les acteurs comme statufiés (Agamemnon semble être de plâtre) ?
Pour Fabienne Darge, « Atropa » « donne un visage aux victimes, ces victimes qui la plupart du temps ne sont qu’une abstraction dans un journal télévisé ». Est-ce cette approche qui m’a engourdi, là où j’aurais voulu entendre le guerrier ? Comment expliquer mon insensibilité à la douleur de ces femmes qui parlent si doucement dans leur micro caché ?
Ne suis-je pas formaté par une forme verticale, donnée par le théâtre français, qui hurle pour appréhender le pouvoir alors que Guy Cassiers s’attache bien plus au groupe? Là où les mots doivent parler tout seul, j’attends le corps qui bouge à peine. Alors je m’accroche au décor (époustouflant notamment lors du dernier acte où l’environnement des tours explosées de 2001 est magnifiquement restitué), pour relier contexte mythologique et notre époque. Peine perdue, je suis déjà loin. Le théâtre de Guy Cassiers ne donne rien facilement. Il travaille la posture du spectateur, comme savent si bien le faire les artistes flamands. Sans vision complexe, on ne voit de leur théâtre qu’une dimension réductrice.
Force est de constater que ce vendredi 11 juillet, ma porosité s’est transformée en muraille.
Pascal Bély
www.festivalier.net
Crédit Photo : Christophe Raynaud de Lage.
“Atropa, la vengeance de la paix” de Guy Cassiers a été joué le 11 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon.