Vendredi 20 juin. « Uzès Danse ». Premier jour d’une longue migration festivalière qui me conduira d’ici, à Marseille, puis Montpellier, Avignon, Berlin…
À peine entré à l’Hôpital psychiatrique où le chorégraphe Christophe Haleb nous a donné rendez-vous, une actrice me confie une valise avec une chaise pliante. En plein soleil, un décor de plage nous accueille puis le public se divise en deux groupes : ceux qui aiment le camping, ceux qui sont « no camping ». Belle entrée en matière où le spectateur est propulsé dans un imaginaire collectif, dans les méandres des souvenirs de l’enfance. Afin d’instaurer la confusion, un nouveau groupe est proposé, composé de détenteurs d’un PEL, d’une hypothèque sur leur avenir, d’une coquille sur le dos.
Avec « Résidence secondaire », Christophe Haleb et sa troupe réussissent à créer en quelques minutes un espace transversal. Mais ce décor de carte postale s’éclipse vite. Nous sommes invités à les suivre, objets à la main. Nous arpentons l’allée, entourés des patients de l’hôpital : entre psychisme et géopolitique, nous voilà contraints à l’exode, dans nos têtes, au c?ur des tremblements de la planète. Les contextes s’emboîtent et les corps des danseurs quadrillent le voyage pour contenir la tension montante : tels des sculptures vivantes, ils sculptent le groupe. Impressionnant.
Le camping est déjà loin et nous changeons de décor. Une longue tente blanche nous attend : c’est la « maison folie » d’un couple, fier d’être enfin propriétaire. Nous sommes invités à l’investir, à la traverser comme nous le faisions enfant avec nos tentes de bric et de broc. Sous les jupes de maman (ou des filles !), les spectateurs s’amusent à réinvestir cet espace perdu. Nous sourions (j’entends les rires de la gauche bien pensante) dès que nos interprètes évoquent cette « France de propriétaires » si chère à notre petit Président. Sur la corde raide, Christophe Haleb ne s’attarde pas avec cette grosse ficele et finit par nous offrir à boire ! La guidance continue alors que nos objets sont mis aux enchères pour meubler la maison de toile blanche. Moment délicieux où la mise à prix se fait à partir d’équations binaires. C’est tout un système enfermant de pensée qu’Haleb interroge, déconstruit, interpelle avec humour et gravité pour nous aider à réinterroger le monde et élargir nos cadres cartésiens de référence.
Tout bascule quand les interprètes (tous magnifiques) arpentent une allée que nous surplombons, en quasi méta-vision (cet hôpital au décor concentrationnaire est aussi un espace théâtral impressionnant) : là où nos objets envahissent l’espace trop plein de l’insignifiant, ils finissent par les enrouler autour de leur corps. L’exode se poursuit, sans nous. Le long défilé des souffrances planétaires s’anime dans un silence à peine troublé par une musique sourde et grave. Je ne bouge plus. Pétrifié par la force tragique de l’exode, danse macabre de notre folie d’Occidentaux. Sur ce tout petit territoire d’Uzes, Haleb réussit à jouer le monde qui tourne mal. Rien de culpabilisant dans la démarche. Bien au contraire. Alors que nous sommes réunis à nouveau pour déguster le fruit défendu autour d’une nappe assemblée de blouses d’infirmières ( !), ils poursuivent leur guidance vers de nouveaux espaces en nous offrant une séance de relaxation mémorable. Par la voix sécurisante de Christophe Le Blay, nous voici allongés, en épis, les uns à côté des autres, guidés pour introspecter notre corps, ouvrir nos sens, et ressentir les nappes phréatiques!
Plus « Résidence secondaire » se déroule, plus l’espace de la représentation s’élargit. À mesure que nous sommes acteurs de la globalisation, nous en devenons aussi les auteurs. Pour changer d’échelle, changeons nos espaces de représentations ! Tout est à revoir dans cette articulation global – local : il y a urgence. À voir ces artistes quitter notre maison commune pour les allées de l’Hôpital où l’un s’empale sur le grillage comme le réfugié des centres de rétention, l’autre marche sur les toits tel un funambule, une autre chante alors qu’elle ouvre une grande grille donnant sur la cour d’une prison, on est pris de frissons. Nos résidences secondaires finiront par brûler si une partie de l’humanité crève d’exode.
Loin des idéologies enfermantes, Christophe Haleb nous a permis de repenser la « terre patrie ». Cette guidance est exceptionnelle, car elle n’est jamais disqualifiante. En s’appuyant sur nos ressorts créatifs, cette troupe est visionnaire lorsqu’elle repense le collectif comme force pour transcender le réel.
À voir la rangée des professionnels de la culture et de journalistes nous observer de loin sans jamais s’être impliqué dans cette épopée humaine, je comprends vite que certains vont y perdre leur parcelle de pouvoir.
Marchons.
Pascal Bély – www.festivalier.net
?????? « Résidence secondaire» de Christophe Haleb a été joué le 20 juin 2008 dans le cadre du Festival Uzès Danse..
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