Mais jusqu’où peut bien nous emmener le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles ? Après « Call cutta in a box » où, enfermé dans un bureau, je fus téléguidé en direct d’un centre d’appel Indien, je suis invité dans une université Bruxelloise pour assister à « la plus longue présentation PowerPoint du monde » par Rebekah Rousi, performer d’Adelaïde. Au total, 27 heures réparties sur trois jours (avec des plages horaires de 10h à 22h) pour l’un des grands moments du festival malgré un public clairsemé (le cours en anglais a dû en effrayer plus d’un et je me questionne sur l’absence des étudiants).
Habillée en maîtresse d’école ou en manager de chez l’Oréal (car elle le vaut bien !), Rebekah Rousi stupéfie son auditoire avec sa logorrhée verbale où les mots, les lettres du PowerPoint sont disséquées dans une rationalité poussée à l’extrême. Elle étire chaque phrase, chaque expression jusqu’à devoir entrer et sortir de la salle. Sa voix, prête à se briser, s’amplifie pour créer un contexte où l’absurdité devient une mélodie, une partition, un manifeste. Son cerveau fonctionne à plein régime, comme quand Google recherche des occurrences.
« Yes, yes, it issssssssss », « I’amm, I, A, M,. » « Ten, ..zero, one, two, three, ..” “This is the point, I’m pointing to the point red. Red” sont des phrases cultes qui finissent par habituer le spectateur aux processus de déconstruction. Car, où allons-nous alors que nous sommes happés par ces mots, ces postures, ces torrents d’explications ? Que cherchons-nous ? Qu’il y a-t-il derrière ce désir d’assister à cette attraction de foire dans ce lieu d’éducation ? Il y a quelque chose de jouissif à voir la rationalité de l’enseignement poussé jusqu’?à son paroxysme. Tout questionne dans cette performance : notre passivité à rester là, malgré tout ; notre soumission aux mots, à l’explicatif même quand il n’y a plus rien à comprendre ; notre attitude de révérence quand nous entrons et sortons de la salle (je retrouve toute la gestuelle des élèves si respectueux de leur professeur !).
Rebekah Rousi décompose les mots pour recomposer une image, un mouvement, une sensation qui crée ces nouvelles voies pour apprendre et écouter la complexité. Avec force et empathie, elle nous guide vers le déconditionnement linguistique pour introduire d’autres constructions propices à penser à partir du sens. Avec obstination et talent, elle offre aux spectateurs, le cours qu’il leur manquait pour comprendre le langage artistique de ce KunstenFestivalDesArts décidément si postmoderne !
Pascal Bély
© Almudena Crespo – Academie Anderlecht
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