Aurore est une jeune spectatrice. Tout au long de ?la saveur de l'autre? de Philippe Jamet au Théâtre du Merlan de Marseille, elle tousse. Bruyament. Aurore est malade et nous ne pouvons rien faire pour elle. Elle ne me gêne pas comme si le dispositif de Philippe Jamet dans le hall du théâtre m'avait aidé à accepter cette différence de ton… À notre arrivée à 19h30, différentes installations vidéos nous accueillent ; créées à partir d'actes quotidiens (pleurer, sauter, s'endormir, caresser, ?), ces émotions constituent un joli itinéraire, patchwork de que nous sommes capables de faire en dehors de consommer (Carrefour est à l'étage supérieur du Théâtre!). Cette mise à distance prépare la dégustation des huîtres au bar du Merlan.
À 20h45, l'oeuvre de Philippe Jamet se poursuit par un film. Enfants et personnes âgées dissertent sur la vie et la disparition. C'est magnifique, subtil, intelligent, restitué avec tact et bonne distance de la caméra. Quinze minutes suspendues. Le spectacle est là. Entre douceur, caresses, sens, saveurs marines et processus vitaux, tout aurait pu s'arrêter à ce moment précis où deux hommes arrivent sur scène. Ils se prennent la main face à nous, laissent une empreinte et s'éclipsent. Leurs corps ne peuvent aller plus loin. Folle envie d'applaudir.
Seulement, voilà, Philippe Jamet continue. Six danseurs (trois hommes, trois femmes) vont mettre en mouvement ce que nous avons vu précédemment depuis notre arrivée au théâtre. Rien ne se passe. Tout se conceptualise et se complique. Ils bougent, mais je ne perçois pas la dynamique du lien, du sens. C'est trop tard. Que peut apporter le corps après ces instants vidéo, si ce n'est d'illustrer? Que peut faire la danse de la parole de ce vieux monsieur qui, droit dans les yeux, nous affirme: ?la culture commune c'est le vivre ensemble?.
La danse n'est pas l'art de l'illustration, encore moins de l'explication. Elle n'est pas dans la sphère du réel. Philippe Jamet s'est trompé en voulant additionner les angles de vues. Cela ne peut pas faire sens, en tout cas pas dans cette linéarité-là. La part intime de chacun de nous peut se traduire par l'image, mais ne trouve, par la suite, aucun prolongement dans le corps. Ce n'est pas le même langage d'où la difficulté pour beaucoup de chorégraphes à articuler danse et vidéo.
Est-ce cela qui provoque la toux d'Aurore dès que les danseurs entrent sur scène? Est-ce pour cette raison que Philippe Jamet lui passe un savon à la sortie (?vous auriez pu sortir! ? ? Vous avez gâché la soirée?). En assistant à la scène, ?La saveur de l'autre? prend un drôle de goût, celle d’une toux partagée. L'incohérence du spectacle est à chercher dans cet instant final, bien réel celui-là.
Pascal Bély
www.festivalier.net
?????? « La saveur de l’autre» de Philippe Jamet a été joué le 1er mars 2008 au Théâtre du Merlan de Marseille.
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