Pour cause de travaux, le Théâtre des Bernardines vagabonde, émigre pour finalement trouver refuge au Merlan. Il n'y a pas foule et le brassage entre les spectateurs du centre ville et ceux des quartiers nord de Marseille ne se fait pas. Et pourtant, « Exils4 » mise en scène par Eva Doubia pourrait relier les publics de ces deux institutions marseillaises. Où sont les frontières qui bloquent ces migrations?
« Exils4 » est un beau travail, honnête, sensible, accueillant. Pour évoquer la profondeur du migrant et sa complexité sans tomber dans les clichés, Eva Doumbia a tissé sur scène une jolie toile faite d'enchevêtrements de langages artistiques. L’identité de l’émigré ne peut se réduire à une étiquette, car c’est un processus « avec une temporalité, des allers-retours, des moments où on est plus ceci, des moments où on est plus cela, tantôt plus près d'un monde, tantôt plus près de l'autre? » comme le souligne, lors d'une vidéo projetée au cours du spectacle, Marie-Rose Moro, psychiatre de l'enfant et de l'adolescent.
Elles sont donc trois sur scène pour traduire ce processus et incarner cette femme française, fille d'immigré, à la recherche de son identité. Trois comme un tryptique qui se déploie, se referme puis s'ouvre dans un mouvement qui trouve son énergie dans la danse enragée de Sabine Samba, sa profondeur dans les témoignages vidéos et sa beauté picturale dans les gestes de cette tante retrouvée, restée là-bas. « Exils4 » tangue entre poésie (magnifique texte d'Aristide Tarnagda), tendresse, rires et colères pour donner une âme à trois objets « flottants » (une chaise et ses barreaux, la valise et ses roulettes, la bassine et sa mousse débordante) qui font lien entre elles et nous. Trois objets mouvants pour bouger notre regard sur l'émigré et faire vaciller nos certitudes. Car tout est mouvement, pas de côté, décalage dans la mise en scène d'Eva Doumbia, proche d'un acte thérapeutique qui soignerait les névroses d'une France gangrénée par vingt années de propos racistes et de politiques disqualifiantes envers l'émigré. Elle nous guide avec délicatesse pour changer de regard afin de nouer avec les migrants d'autres liens pour qu'ensemble nous coconstruisions cette société métissée qui n'a plus rien à voir avec celle des années 60.
Il faut considérer ?Exils4? comme un ?théâtre documentaire? qui avec tact, réussit à métamorphoser le drapeau français en mer de ballons ?bleu-blanc-rouge?. De les voir ainsi submerger le plateau, on rêve de jouer avec, d'ouvrir les portes du théâtre pour qu'ils s'échappent.
Le Merlan et Les Bernardines n'ont plus qu'à migrer ensemble pour retrouver le public métissé de Marseille.
Pascal Bély
www.festivalier.net
? ? ? ? ?? « Exils4» d’après Aristide Tarnaga et mise en scène par Eva Doumbia a été joué le 19 février 2008 au Théâtre des Bernardines en migration au Théâtre du Merlan.
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