Le metteur en scène François Rancillac prend le public du Théâtre de Cavaillon par surprise. A l'issue de « Retour à la citadelle » de Jean-Luc Lagarce, les applaudissements peinent à venir, comme si les spectateurs avaient du mal à saluer le miroir qui leur est tendu. Cette pièce nous renvoie à nos jeux de pouvoir dans une période où sa forte personnalisation au plus haut niveau de l'État nous ferait presque oublier les manipulations et les révérences qui ponctuent nos quotidiens au sein de nos institutions. Rancillac nous donne les clefs pour comprendre ce que nous réduisons habituellement à des jeux où nous n'aurions aucun rôle.
Rarement une pièce ne m'a autant suspendu par le sens, là où tant d'?uvres guident le spectateur vers des effets scéniques qui n'autorisent aucun questionnement. Ici, le théâtre bouscule les formes pour servir le sens. Tourbillonant. Quitte à paraître provocant, ce « retour » là vaut bien des « Hamlet » prétentieux et ratés.
Dans « Retour à la citadelle », le pouvoir d'un homme (qui revient mystérieusement dans la province, mais en habit de futur gouverneur) est le fruit d'un système qui échappe aux rationalités (est-ce pour cela que nous ne connaissons jamais les raisons par lesquelles il accède à cette fonction ?). Cet homme est attendu, lors d'un cocktail, puis d'un dîner où ses parents, sa s?ur, l'ancien gouverneur et sa femme, un fonctionnaire zélé et un ami d'enfance (ignoré tel un rejeton) prennent chacun la parole pour nous donner les ressorts de cette mystérieuse ascension. François Rancillac nous montre par un jeu d'acteur habile (quand l'un parle, les autres illustrent non verbalement la stratégie implicite) comment le pouvoir est la conséquence d'un enchevêtrement de rancoeurs familiales, d'un fonctionnariat servile et d'une « démocratie » autocratique. Cette pièce est une caisse de résonances où je souris à mesure que je transpose à mon milieu professionnel. C'est euphorisant à l'image de cette scène qui tourne sur elle-même. Je me surprends à diriger les acteurs, tel un chef orchestrant la symphonie des mots de Lagarce !
C’est ainsi que le triptyque auteur, metteur en scène, spectateur s'anime, où le pouvoir de l'un est interdépendant du regard de l'autre. « Retour à la citadelle » traduit l'écoute presque clinique de Lagarce sur les névroses de ses contemporains, mises en mouvement par François Rancillac qui les renvoie au public. À nous trois, nous partageons un espace de réflexion, de mise à distance sur ce que nous jouons. Ce n'est pas un hasard si « Retour à la citadelle » provoque autant de sidérations.
Ce soir, le sens est coconstruit.
Ce soir, le Théâtre vient de fourbir ses armes face au pouvoir des petits hommes.
C’est ainsi que le triptyque auteur, metteur en scène, spectateur s'anime, où le pouvoir de l'un est interdépendant du regard de l'autre. « Retour à la citadelle » traduit l'écoute presque clinique de Lagarce sur les névroses de ses contemporains, mises en mouvement par François Rancillac qui les renvoie au public. À nous trois, nous partageons un espace de réflexion, de mise à distance sur ce que nous jouons. Ce n'est pas un hasard si « Retour à la citadelle » provoque autant de sidérations.
Ce soir, le sens est coconstruit.
Ce soir, le Théâtre vient de fourbir ses armes face au pouvoir des petits hommes.
Pascal Bély
www.festivalier.net
?????? ?Retour à la citadelle? par François Rancillac a été joué le 30 novembre 2007 au Théâtre de Cavaillon.
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