“Import Export” de Koen Augustijnen. |
” VSPRS” d’Alain Platel. |
« Ça va ? » dit-elle en reculant alors que la lumière s'éteint. Non. J'ai mal. La claque. Qu'ont-ils donc fait ces Flamands au « sang vif » pour nous tordre dans tous les sens avec violence et virtuosité ? « Import Export » par Les Ballets C de la B emmenés par Koen Augustijnen, est une oeuvre dans la continuité de « VSPRS » d'Alain Platel. La filiation entre les deux chorégraphes est visible : la colline de chiffons avec Platel est remplacée ici par l'empilement de conteneurs de marchandises ; la folie individuelle sanctifiée dans « VSPRS » s'élargit à tout un système dans « Import Export » où les hommes s'écrasent contre les murs, se mutilent collectivement et s'entraident dans un espace qui n'est pas sans nous rappeler les camps de concentration. Et toujours cet orchestre perché où les musiciens n'hésitent pas à se mêler à la danse. Le jazz de Platel se fond ici dans les musiques de Charpentier, Clérambault, Couperin et Lambert.
En quittant le théâtre d'Arles, je n'ai plus beaucoup d'énergie tant cette danse de « performeurs » me perfore, tant cette vision apocalyptique et sans espoir de la mondialisation me déchire. En plaçant le corps au c?ur du processus de marchandisation globale, Koen Augustijnen réussit la prouesse de toucher le notre. Nous voilà donc inclut dans cette puissante mécanique qui, si elle nous rassure lors du premier tableau (magnifique danse groupale où chacun se balance au rythme d'une horloge), inquiète et bouleverse quand le chaos rompt le mouvement, tord, soulève, déséquilibre, propage pour ne laisser au final qu'une femme seule, à reculons, apeuré. Le corps est alors cette marchandise où le pied frappe la tête, où la danse réduit, écartèle, à mesure que le monde se fait plus global. Je ne cesse d'avoir peur pendant ces quatre-vingt-dix minutes de fureur malgré quelques baisers furtifs et escalades comiques qui masquent la profonde déliquescence des rapports humains mis sur le même plan qu'une machine. Ce que je ressens aujourd'hui de notre société (la vulgarité institutionnalisée, la fragmentation du lien social, la vision coloniale du clivage nord ? sud) trouve ici une résonance effroyable, parce qu'élargit à un monde globalisé qui n'enchante plus.
Malgré tout, il y a l'alto masculin (étonnant Steve Dugardin) qui, du haut de sa tribune, couvre le vacarme du camp pour y diffuser la beauté du lien humain. Mais il finit par se fondre dans la masse, où les mélodies de Charpentier se coulent dans une musique industrielle. Dans le monde vu par Koen Augustijnen, rien ne semble pouvoir arrêter ce processus qui positionne le lien marchand comme unique manière de lire les rapports sociaux. Le système capitaliste engendre ses propres barbaries qui, en s'auto-organisant, produiront de nouveaux besoins (à l'image de cette émeute où les danseurs se battent pour quelques gouttes d'eau).
Mais que me reste-t-il ? Eux, Les Ballets C de la B. Ils m'envahissent. Ils sont Le Monde où tout se croise, s'enchevêtre parce que multiculturel. C'est dans cette force collective que Koen Augustijnen a puisé la créativité pour décrire la mondialisation illisible. On pourrait lui reprocher un discours radical qui laisse peu d'ouvertures et d'espoir, mais le propos est peut-être ailleurs : si le monde change, alors changeons le monde. Cette énergie qu'il propage par le corps vers le corps social est une magnifique perspective pour qu'ensemble nous puissions créer les nouveaux espaces qu'aucun marchand ne pourrait animer. C'est en puisant dans la force du lien que nous imaginerons les élargissements capables de nous rendre autonomes.
J'ai mal, mais j'avance.
Pascal Bély
www.festivalier.net
?????? « Import Export » de Koen Augustijnen a été joué au Théâtre d’Arles le 20 novembre 2007.
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