C'est un pur hasard. Lors d'un week-end prolongé à Porto, un festival, « Trama », offrait pendant trois jours danse, musique et performances. J'aime cette coïncidence qui m'invite à délaisser le Guide du Routard pour découvrir la ville à partir de vagabondages culturels. C'est une façon de se laisser surprendre, d'entendre la cité pour démasquer des territoires en émergence, fragiles, à l'instar de ce festival crée seulement l'an dernier. Il a de l'avenir dans le paysage européen à côté du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles car on ressent la modestie de ses promoteurs à vouloir croiser les disciplines pour ouvrir le regard.
Il est minuit et le public massé dans cet espace commercial vide a bien du mal à quitter le lieu. Ils sont deux (Gary Winters et Gregg Whelan), de la compagnie anglaise Lone Twin (que nous avions repéré à Bruxelles en 2006) habillés en cow-boy pour « Ghost Dance ». De midi à minuit, yeux bandés, ils effectuent un pas de danse où chaque mouvement renvoie au mythe du cow-boy. Seul le bruit de leur pas guide leur trajectoire et je me surprends à rester là pour observer cette chorégraphie minimaliste et répétitive. La performance les fragilise à l'image des morceaux de scotch collés sur leurs fesses ! À tout moment, ils peuvent s'effondrer, mais ils entretiennent le mythe du héros pour que notre dépendance fonctionne. Tout à la fois proches et inaccessibles, ils interrogent notre place d'observateur à partir de nos représentations figées par le cinéma. Qu'attendons-nous ? Que nous renvoient-ils ? Comment expliquer la puissance de ce lien entre eux et nous ? Et si le mythe était à lui seul une performance pour qu'il s'inscrive si durablement dans notre imaginaire ? Busch et Sarkozy seraient-ils à ce point fragiles?
Daniel Menche est un musicien américain. Dans un espace culturel, au 4e étage d'un parking, il donne pendant cinquante minutes un concert « extrême » de musique électronique. À nos deux cow-boys, il répond en écho par une autre performance, tout aussi fragile, qui interpelle notre lien à la musique. Jusqu'où sommes-nous prêts à le suivre pour laisser le son envahir notre corps sans se protéger les tympans, par principe de précaution? Sa musique est un fluide sanguin, euphorisant et anesthésiant, transmis à partir d'une barre de métal équipée d'un micro qu'il frotte contre son corps. Daniel Menche pousse les frontières de la musique électronique vers une performance?partagée. Rare et exceptionnel.
Le musicien belge Mathieu Delvaux ne manque pas non plus d'ambition. Installé dans un parking, proche de l'océan, il a convié les fans de voitures « tuning » et les amateurs de musique électronique pour « The destiny's cars play 8ways 32wheels ». Les passionnés contemplent, scrutent les bolides d'où sortent le son tandis que les auditeurs s'assoient au centre sur un sol moquetté. Dans un premier temps, chacun est à sa place et j'observe amusé ces fans qui circulent dans le sens des aiguilles d'une montre. La musique manque de relief, mais le dispositif ingénieux transforme ces voitures en ?uvre d'art et permet de « mailler » ces deux publics. On peut juste regretter que Mathieu Delvaux ne se soit pas appuyé sur un tel cadre pour développer sa créativité et la nôtre.
La chorégraphe portugaise Véra Mantero veut aller plus loin et pousser les mots au-delà du conditionnement linguistique. Avec « Jusqu’à ce que Dieu soit détruit par l’extrême exercice de la Beauté », elle nous propulse dans un nouvel espace où le groupe serait le contenant pour rendre aux mots (en anglais) leur liberté. Les six protagonistes, assis en rang d'oignon, intriguent par leurs costumes qui prolongent leur peau, comme les mots qu'ils étirent jusqu'à l'absurde pour franchir les frontières du rationnel et les reconstruire autrement. Soit. Et alors ? C'est amusant, interpellant, et finalement ennuyeux. Si tout se dit, que reste-t-il au groupe ? A changer les places ! Très limité tout de même ! Si les mots occupent l'espace, que reste-t-il à la scène ? De vagues sons électroniques et une sculpture énigmatique. Vera Mantero s'isole dans un schéma qui, au lieu de prolonger, enferme le sens dans un groupe stéréotypé où le public a bien du mal à s'extraire du rôle que l'on veut lui faire jouer (à l'instar d'un jeu télévisé).
Ce sont Amarante Abramovici et Ana Deus installées à Porto qui ont peut-être réussi le pari un peu fou de donner aux mots (maux) leur prolongement le plus inattendu avec « muda ». Le public, convié dans un deux pièces, assiste médusé à un jeu entre une comédienne et une chanteuse où l'une finit scotchée à un canapé (décidément, le ruban adhésif inspire Trama !) pendant que l'autre, métamorphosée, chante une chanson de Petula Clark ! Loufoque, déjanté, ces quinze minutes théâtrales métaphorisent une société portugaise coincée entre tradition et modernité.
On a du mal à repérer la voix médiane. « Trama » y contribuera lors des prochaines éditions et offrira aux Français un territoire d'exil!
Pascal Bély www.festivalier.net
Ces cinq oeuvres ont été jouées au Festival “Trama” de Porto les 2 et 3 novembre 2007.
?????? « Ghost Dance » de la Compagnie Lone Twin.
?????? Le concert de Daniel Menche.
?????? « The destiny's cars play 8ways 32wheels » de Mathieu Delvaux.
?????? « Muda » d’Amarante Abramovici et Ana Deus
?????? « Jusqu’à ce que Dieu soit détruit par l’extrême exercice de la Beauté » de Véra Mantero.
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