À l'entrée du Corum de Montpellier, hôtesses et militants des associations de lutte contre le sida distribuent une sucette. En quelques minutes, le hall fourmille d'étranges humains avec un bâtonnet blanc sortant de la bouche : image surréaliste avant le spectacle de la Sud-Africaine, Robyn Orlin (« We must eat our suckers with the wrappers on? »). Mais gare aux apparences ! L'ambiance dans la salle n'est pas toujours à la fête. L'anxiété est palpable: avec Robyn Orlin, le public est souvent sollicité si bien qu'informée par Montpellier Danse, ma voisine cache ses chaussures sous le siège de peur que les artistes s'en emparent ! La prévention contre le sida est un terrain sensible : comment prévenir avec créativité tout en interpellant chacun sur sa sexualité ?
Pour cela, Robyn Orlin peut compter sur quatorze danseurs ? chanteurs qui disposent tous d'une poubelle en plastique rouge : tout à la fois instrument de musique, elles se métamorphosent en éléments de décor ou plus encore en objet érectile. Elles sont le lien avec le public puisque certains spectateurs sont invités à les prendre dans leur bras. Mais elles sont aussi l'image de l'Afrique, considérée par les Occidentaux comme leur poubelle. Robyn Orlin n'en reste pas là : il lui faut à tout prix créer un interaction quasi charnelle entre le public et ses « performeurs » : la sucette s'invite à nouveau, comme métaphore du rapport sexuel non protégé. Quand l'un d'entre eux offre aux spectateurs du premier rang cet étrange objet du désir, il les reprend pour les lécher avec gourmandise : la clameur du public se fait alors entendre comme une rumeur qui se propage sur la transmission du virus par la salive. Déroutant.
Pour dépasser la scène et lui donner de nouvelles dimensions à la hauteur de l'enjeu, une caméra vidéo filme au ras du sol, vers le public, en surplomb du groupe: elle nous renvoie notre propre image, nos préjugés. Elle autorise des angles de vue différents pour permettre le changement de regard sur les malades et la maladie. Magnifique.
Tous ces objets, cette caméra, ces va-et-vient continus entre la salle et la scène envahissent l'espace public pour conférer à « We must eat our suckers with the wrappers on? » les accents d'un manifeste pour préserver l'humanité. Les superbes chants en choeur sont là pour nous rappeler que le sida doit être une préoccupation collective. Les séquences plus intimistes nous plongent au c?ur de notre sexualité, de notre complexité à relier désir et prévention. Robyn Orlin ne juge pas et c'est peut-être pour cette raison qu'elle atteint nos affects. C'est une pièce magnifique où leur destin est le nôtre. C'est une ?uvre intemporelle, car nous n'aurons jamais fini de parler du sida, de ses ravages, mais aussi de cette force vitale qu'il donne. Robyn Orlin est là pour nous le rappeler : le sida n'est pas et ne sera pas une maladie comme les autres. Parce qu'il s'est immiscé dans le corps des artistes, dans notre sexualité, au c?ur d'un continent, créateurs et public doivent s'emparer des théâtres pour le contrer quitte à s'autoriser quelques promiscuités.
Montpellier Danse a fait ce pari fou : transformer le Corum en agora pour que l'indifférence générale à l'égard du sida se métamorphose en ?uvre artistique collective. Debout, le public fait un triomphe à Robyn Orlin et sa troupe.
Debout, on se sent plus fort.
Pascal Bély
www.festivalier.net
?????? «We must eat our suckers with the wrappers on?» de Robyn Orlin a été joué le 26 juin 2007 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.
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Crédit photo: John Hogg.