Voir deux solos de deux s?urs chorégraphes dans la même soirée est un contexte pour le moins atypique. Quand l'une fait partie de la célèbre compagnie flamande «La Needcompany » (Carlotta Sagna), l'autre vole de ses propres ailes (Caterina Sagna). Toutes les deux nous présentent au Théâtre d'Arles deux pièces aux noms pour le moins étranges : « Transgedy » et « Tourlourou ». Une centaine de spectateurs a fait le déplacement, heureux d'être là. Nous sommes loin d'un public d'abonnés?
Le premier, « Transgedy » de Caterina est dansé par Alessandro Bernardeschi. Sur scène, un guéridon, une radio-cassette, et tous les ingrédients pour passer à l'heure de l'apéro. Une photo trône sur cette si petite table. L'homme fume puis se lève pour danser sur la musique des Bee Gees (« Tragedy »). Il danse sa solitude et je me sens dérouté. Rien n'est linéaire dans les gestes, tout est saccadé comme une vie qui perdrait le fil conducteur, le sens. Pendant plus de vingt minutes, j'assiste à la souffrance d'un homme seul, qui se jette à terre, pour se relever, souffrant, mythomane de surcroît (il se prend pour Shakespeare ? la photo, c'est lui !-). Et pourtant, je reste à distance, sans empathie particulière pour cet homme, comme si ma position ne faisait qu'accentuer sa solitude. Le final où il s'asperge de Ketch'up pour simuler un drame shakespearien frôle le pathétique. Mais loin du ridicule et du pathos, Caterina Sagna touche là où cela lui fait mal ; nous fait mal. Avec poésie.
Le deuxième solo (« Tourlourou ») dansé par Carlotta Sagna va faire l'effet d'une petite bombe dans ce si joli théâtre. Elle arrive, tutu vert et pointes au pied. Un petit plateau en forme de cible l'attend. Au cours d'un très beau texte, elle nous annonce qu'il ne lui reste que dix minutes à vivre. Une autre tragédie se joue devant nous (on n'est quand même pas là pour rigoler ce soir?). Dans ce si petit espace, Carlotta Sagna va danser l'impossible à savoir le passage de la danse classique à la danse moderne, métaphore des transformations, des virages qui parsèment la vie. Je reste ébloui par ce corps qui se plie, se déplie, se lève, se couche alors que tout va se terminer dans quelques minutes. Le corps habite l'intensité dramatique comme je l'ai rarement vu en danse. A la voir se remettre à danser avec ses pointes, provoque en moi un élan d'émotion comme si le film de sa vie se jouait là, face à nous, dans cet espace si petit. Carlotta Sagna est au cours de ces trente minutes, plus qu'une danseuse. Elle est une artiste qui repousse les frontières de son art à l'image de la Needcompany, espace de création pluridisciplinaire basé à Bruxelles et animé par Jan Lauwers. « Tourlourou » est beaucoup plus qu'une « Transgedy ». C'est un petit chef d'?uvre d'humanité.
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