J’appréhendais de voir cette pièce. La lecture du dossier de presse ne me rassurait pas : « Dramaturge et philosophe, Patricia Allio découvre les écrits de Samuel Daiber ? juif au canton de Neuchâtel- fugueur dès l'adolescence, interné à partir de 1948 jusqu'à sa mort pour cause de résistance aux conventions, déchu de tout. Elle porte son choix sur les extraits de lettres manuscrites, en particulier, celles de 1954. Elle se passionne pour l'art brut à la manière de Dubuffet : comme l'expression d'une insurrection. Elle porte son choix sur une lettre manuscrite que Daiber adresse à son médecin en 1954. « Sa langue re-rythmée nous parle de notre propre enfermement dans le langage. » Une écriture comme étrangère et pourtant familière, (dés)articulée de pulsions graphiques, de déformations phonétiques, de néologismes, « une écriture vocale qui attendait un corps. » Un acteur, un espace, la lumière? ». Patricia Allio n'a manifestement peur de rien. Sa création coproduite par le Théâtre National de Bretagne et jouée à Bruxelles va faire l'effet d'une bombe dans mon cerveau de spectateur. Dans ma vie.
Doucement, sur l'écran, se dessinent en continu les contours du décor puis, le trait fait place aux images. La vue se brouille car la vidéo projette ce que je suis en train de voir?Un homme arrive avec son costume aux couleurs décalées.
Il parle et son langage est incompréhensible. L'enchaînement « sx.rx.Rx » (entraînez-vous à le dire !) ponctue ses phrases déconstruites, comme un point final. Les mots s'entrechoquent, s'inversent, se relient, se cloisonnent. J'ai peur de ne pas comprendre. Comment m'échapper du sens des mots ? Comment éviter de passer à côté de cette pièce ?
Il marche devant la vidéo, puis derrière. Parfois, il est devant et derrière, entre conscience et inconscience. Le dispositif scénique est saisissant de beauté car il dessine un nouveau cadre pour appréhender la complexité. Je me sens sortir de mon conditionnement linguistique (vouloir à tout prix comprendre le sens des mots !). C'est l'articulation entre lui, ses mots et la vidéo qui fait le langage ! Je lâche? 1 + 1 ne fait pas 2 mais 3 ! La réalité n'existe pas. Elle est une construction que nous opérons. Patricia Allio nous aide à élaborer cette réalité pour entrer en relation avec Samuel Daiber, joué par Didier Galas, acteur magnifique. Par sa puissance sur scène, il nous guide à entrer dans son univers, à nous réapproprier ses mots. Sa réalité pourrait devenir la mienne. Je me surprends à l'aimer. Le moment où il évoque la Suisse, métaphore de l'enfermement par ses frontières (qui se dessinent sur l'écran vidéo), provoque l'hilarité ! Jamais on m'avait parlé avec autant de justesse de la Suisse ! Je jubile?Quand il passe de la vidéo à la scène, quand il monte sur la rambarde du théâtre en m'obligeant à la suivre des yeux jusqu'à le perdre, je construis mon propre cheminement. De vertical, je me sens transversal. Et toujours ses mots qui me percutent, me bousculent. Leur sens n'a plus d'importance. Le sens vient de mon ressenti.
La force créatrice de cette ?uvre réside également dans le profond respect de Patricia Allio pour les écrits de Samuel Daiber. Elle nous les offre pour que nous baissions la garde. Elle fait de la scène un cadre capable de nous faire voyager aux limites de notre inconscient comme le ferait un patient sur le divan lorsqu'il évoque son dernier rêve.
« Le théâtre doit maintenir ou créer des espaces ? temps communs d'incertitude qui fissurent les représentations sédimentées de nous-mêmes et du monde ». Patricia Allio.
« sx.rx.RX » est un chef d'?uvre à voir d’urgence du 13 au 30 mai 2008 au Théâtre de la Bastille à Paris.
Pascal Bély
www.festivalier.net
Doucement, sur l'écran, se dessinent en continu les contours du décor puis, le trait fait place aux images. La vue se brouille car la vidéo projette ce que je suis en train de voir?Un homme arrive avec son costume aux couleurs décalées.
Il parle et son langage est incompréhensible. L'enchaînement « sx.rx.Rx » (entraînez-vous à le dire !) ponctue ses phrases déconstruites, comme un point final. Les mots s'entrechoquent, s'inversent, se relient, se cloisonnent. J'ai peur de ne pas comprendre. Comment m'échapper du sens des mots ? Comment éviter de passer à côté de cette pièce ?
Il marche devant la vidéo, puis derrière. Parfois, il est devant et derrière, entre conscience et inconscience. Le dispositif scénique est saisissant de beauté car il dessine un nouveau cadre pour appréhender la complexité. Je me sens sortir de mon conditionnement linguistique (vouloir à tout prix comprendre le sens des mots !). C'est l'articulation entre lui, ses mots et la vidéo qui fait le langage ! Je lâche? 1 + 1 ne fait pas 2 mais 3 ! La réalité n'existe pas. Elle est une construction que nous opérons. Patricia Allio nous aide à élaborer cette réalité pour entrer en relation avec Samuel Daiber, joué par Didier Galas, acteur magnifique. Par sa puissance sur scène, il nous guide à entrer dans son univers, à nous réapproprier ses mots. Sa réalité pourrait devenir la mienne. Je me surprends à l'aimer. Le moment où il évoque la Suisse, métaphore de l'enfermement par ses frontières (qui se dessinent sur l'écran vidéo), provoque l'hilarité ! Jamais on m'avait parlé avec autant de justesse de la Suisse ! Je jubile?Quand il passe de la vidéo à la scène, quand il monte sur la rambarde du théâtre en m'obligeant à la suivre des yeux jusqu'à le perdre, je construis mon propre cheminement. De vertical, je me sens transversal. Et toujours ses mots qui me percutent, me bousculent. Leur sens n'a plus d'importance. Le sens vient de mon ressenti.
La force créatrice de cette ?uvre réside également dans le profond respect de Patricia Allio pour les écrits de Samuel Daiber. Elle nous les offre pour que nous baissions la garde. Elle fait de la scène un cadre capable de nous faire voyager aux limites de notre inconscient comme le ferait un patient sur le divan lorsqu'il évoque son dernier rêve.
« Le théâtre doit maintenir ou créer des espaces ? temps communs d'incertitude qui fissurent les représentations sédimentées de nous-mêmes et du monde ». Patricia Allio.
« sx.rx.RX » est un chef d'?uvre à voir d’urgence du 13 au 30 mai 2008 au Théâtre de la Bastille à Paris.
Pascal Bély
www.festivalier.net
Revenir au sommaire | Consulter la rubrique théâtre Voir aussi les critiques sur le même théme: Avec “VSPRS”, Alain Platel est le transe – frontalier du Kunsten. Bock et Vicenzi au Kunsten: une bombe à retardement. Le KunstenFestivaldesArts traversé par la pensée d’Edgar Morin. “Psychiatrie / Déconniatrie” au Théâtre du Merlan: à devenir fou. |
Photo: Miclèle Rossignol.