J'arrive au Théâtre de la Minoterie à Marseille pour poursuivre l'itinéraire des créations proposées par « Marseille Objectif Danse ». La jauge est petite (à peine 60 personnes) et pour cause?Le public doit se mouvoir pendant deux heures tous les quart d'heure, d'une scène à l'autre, du rez-de-chaussée à l'étage, d'un comédien à une comédienne, du théâtre, à la musique électronique, puis à la danse. Deux heures pour approcher la situation précaire des artistes (d'où la durée des six spectacles, des « CDD d'un ¼ d'heure »), trois ans après la crise de l'intermittence.
Le fil conducteur est un lavabo, celui où Francis Bacon s'appuie dans ce troublant autoportrait. Les six créations doivent l'intégrer comme support de l’autoportrait de l’artiste, comme métaphore du miroir que l’on nous tend, où tout s'écoule, croupit, éclabousse.
C'est un véritable voyage avec les artistes que Skappa nous propose, un plaidoyer pour toutes ces compagnies qui travaillent dans l'ombre, avec des petits moyens, dans la précarité. Alors bien sûr, tous ne font pas le même usage du lavabo et du cadre qui leur est proposé.
Le rire me gagne lors du premier et dernier tableau, je m'émerveille dans le 3ème lors d'un jeu dansé d'ombres chinoises sur une musique électronique, lors du 5ème quart d’heure je m'attendris pour cette danseuse qui doit faire face aux bonheurs de l'éducation du jeune enfant, et je m'interroge sur la dure condition de l'artiste lors des 2 et 4eme tableaux. Des moments de grande poésie, des jeux de lumières d’une beauté saisissante, des textes et des gestes d’une belle profondeur parsèment ce kaléidoscope. Et pourtant, à l’issue de ce voyage, je reste perplexe.
En effet, j'aurais aimé retrouver ces 6 comédiens, ensemble, sur scène pour donner du propos, une force à leur avenir. Lors des applaudissements nourris du public, ils ne trouveront rien de mieux que de remercier le Directeur du Théâtre et le Responsable de « Marseille Objectif Danse » comme pour mieux signifier un lien de dépendance ! La précarité se nourrit de ce lien que l'on retrouve d'ailleurs dans les 6 créations. Et c'est peut-être la limite de « Et à part ça, tu fais quoi pour vivre ? ». Ces six artistes sont beaux, créatifs?leur talent est incontestable mais leur souffrance d'artiste précaire plombe l'ensemble. Alors qu'à six, une proposition, une force, un lien avec le public aurait pu donner à ces individualités un projet artistique global.
En découpant en six morceaux, la compagnie Skappa réduit, « précarise » le spectateur , fragilise l'acteur tout en lui offrant l'opportunité de parler de lui, de se mettre à nu, de pousser les limites de son art ! Quel paradoxe ! A ce jeu là, les politiques peuvent continuer le morcellement, les évenements « zapping » et fusionner les structures pour « faire des économies d'échelles » (dixit Maryse Joissains, Maire d'Aix en Provence, pour justifier la disparition du Festival « Danse à Aix »).
Reste pour la Compagnie Skappa à créer le 7ème tableau capable de renouer avec le « Dadaïsme » !
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