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La danse contemporaine est populaire.

Avez-vous déjà écouté un public crier de joie lors d’un spectacle de danse contemporaine ? Qu’est-ce qu’il peut bien se jouer pour que, peu à peu, femmes, hommes et jeunes enfants se lâchent à ce point, jusqu’à faire entendre un cri presque primal? Ce soir, à Gap, ils sont tous là (belle diversité du public) pour «Asphalte», chorégraphie de Pierre Rigal. Sa dernière création au Festival d’Avignon  («Micro») avait fait vibrer la Chapelle des Pénitents Blancs lors d’un concert rock chorégraphié. Ce soir, il provoque à nouveau une forme de transe où les applaudissements se fondent progressivement à la musique grésillante, alarmiste et envoûtante de Julien Lepreux.

Imaginez un bloc posé sur scène, qui en fonction des enjeux et de l’énergie du groupe, génère une lumière qui métamorphose les corps. Accueillez cinq danseurs dont une jeune femme : ils forment la jeunesse colorée de France, où à la petite taille de l’un répond la haute stature pliable de l’autre, où la présence féminine, «objet» de désir, finit par sculpter la sensibilité du groupe. Ils courent autour de ce bloc, construit sans eux, métaphore d’un pays jadis glorieux qui affichait sa puissance et sa gloire, mais où sa beauté s’est depuis fondue dans la crise. Ils composent une partition chorégraphique d’une telle précision qu’elle s’approche de la rigueur de Merce Cunningham. Ils apparaissent pour communiquer et disparaissent pour fuir toute tentative d’uniformisation quand ce n’est pas sous la menace d’un terrorisme culturel armé qui ne dirait pas son nom. Ils tournent autour de ce bloc et provoquent l’énergie qui alimente le lien entre la salle et le public : nous  sommes en permanence connectés. L’électricité a sa danse.
Cette bande de danseurs hip-hop semble avoir confié son art des rues à un artiste du mouvement. Pierre Rigal a pris le soin de décortiquer chaque fait et geste pour leur donner une forme qui traverserait l’histoire de l’art. Ce qui défile devant nous, n’est rien d’autre qu’une humanité qui parlerait hip-hop. Tout son travail est là: à partir d’une pratique collective (le football dans «Arrêts de jeu», le rock dans « Micro »), d’un état (la position debout dans « Érection » ou pressurisée dans « Press »), Pierre Rigal  crée le métalangage capable de résonner en chacun de nous, en ralentissant le geste (le factuel) pour composer le mouvement (la communication) et nous restituer notre code génétique de danse. C’est ainsi que bouger les doigts est une danse hip-hop qui électrise les corps sensibles et leur rend leur chair originelle.
Chaque tableau émerveille et sidère, car Pierre Rigal libère le hip-hop des clichés pour nous en émanciper. Plus que n’importe quel autre chorégraphe siglé,  il inclut cette danse dans un mouvement «historique» jusqu’à remonter au temps des fresques préhistoriques après la bataille du feu. Il «hippopise» les corps fluorescents d’Alwin Nikolais, métaphore de nos folies actuelles (on va finir par perdre la tête de tant d’uniformités). Il chorégraphie l’apparition et la disparition à l’image du travail de Michel Kelemenis qui « évanescence » le geste. En déformant les corps, il accueille toute l’humanité des défilés de Pippo Delbono dans « Questo Buio Feroce ». La danse contemporaine entre alors dans des zones de turbulence à l’articulation de la peinture, du cinéma et de la bande dessinée. Elle provoque nos cris comme quand le bébé découvre «son» théâtre. Pierre Rigal nous restitue le nôtre.
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La dernière scène reproduit le célèbre tableau de l’évolution de l’homme. Mais voilà que s’introduit  celui qui n’est pas prévu. Ce schéma binaire qui laisse penser que l’homme moderne est une finalité de l’évolution explose. Si nous ne voulons pas disparaître, il nous faut remettre le progrès en mouvement à partir de nos différences et d’une autre approche du changement. C’est à ce moment que le public crie  plus fort et concurrence la musique.
Ce soir, à Gap, nous avons célébré notre réévolution.
Pascal Bély,  Le Tadorne
A lire un autre bel article sur Ventdart.
« Asphalte » de Pierre Rigal à la Passerelle, Scène nationale des Alpes du Sud, à Gap les 27 et 28 mai 2011.
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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

« Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus »

Il est assis à côté de moi. Costume noir. Impeccable. Il bouge à peine. Raide comme un bâton. Étrange posture avant un spectacle de danse. Je remue sans arrêt. Tendu. Puis un homme arrive sur scène. Tel un chef d’orchestre, il fait lever huit personnes dans le public qui à tour de rôle clament “je me souviens”, en hommage à Georges Perec. Les souvenirs fusent comme des tirs de feu d’artifice. J’ai envie de participer (“je me souviens de mon premier spectacle de danse»). L’homme à côté décline sa poésie en espagnol. Il parle fort. Il faut que ça sorte. La mémoire vive se met en mouvement.

Spectacle vivant.

Spectateur déjà presque debout comme si nous devions nous mettre en jeu : ne rien en attendre, mais entrer dans la danse !

Montpellier Danse nous fait là un beau cadeau : programmer l’oeuvre d’Anna Halprin et Morton Subotnick («Parades and changes, replay in expansion») créée en 1965, censurée pendant 20 ans aux États-Unis et revisitée par la chorégraphe Anne Collod. Une pièce matrice de la danse contemporaine à l’image de cet échafaudage dans lequel dix danseurs se glissent pour transformer la structure métallique en espace quasi végétal. Une oeuvre majeure pour ceux qui se questionnent sur la réforme de notre société et nos façons de penser l’évolution pour sortir d’une vision monolithique du progrès. La chorégraphie d’Anna Halprin résonne particulièrement avec notre contexte : nous sommes saturés de murs, de cités imprenables, d’ossatures en béton, aux mains des techniciens experts qui supportent les parties sans mettre en mouvement le tout. Le peuple n’a plus qu’à taper des pieds et faire entendre le vacarme de sa plainte. Il y en aura toujours pour leur donner l’estrade.

Mais l’enjeu est ailleurs : il nous faut réhumaniser ce que le progrès a compartimenté. C’est ainsi que les danseurs se délestent peu à peu de leur costume (l’habit ne fait-il que le moine?) pour quitter leur petite scène d’un jour, leur posture et créer le mouvement à partir d’une pose poétique. Cela pourrait durer indéfiniment parce que l’accueil, la rencontre se dansent. Ma joie monte crescendo alors qu’un défilé se met en place avec au sol, des objets de notre société consumériste. Les corps s’en saisissent et la métamorphose s’opère : l’humain supporte le poids. L’Oeuvre est en jeu. L’Art, au-delà de tout.
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«Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus» affirmait Pina Bausch dans le film de Wim Wenders, «For Pina». Anna Halprin l’a précédé. Alors, ils dansent et s’emparent de toute la machinerie théâtrale pour faire vibrer les pores des murs à partir de «niches» de résistance qui nourrissent le solide par le liquide de la pluridisciplinarité (le cirque s’entremêle à la danse). Ici, la technique (échelle, projecteurs, passerelle) est au service d’une chorégraphie groupale dont le mot d’ordre serait : «mouvementons, mouvementons, sinon nous sommes exclus».  Peu à peu la tension monte parce que ces humains défient la matérialité pour préférer le processus qui crée l’interdépendance. Ils réinventent le «comment» pour sortir de notre hystérie de l’attachement au «quoi». Tout s’articule, tout s’amplifie pourvu que cela soit au profit du vivant : ils peuvent à nouveau revenir vers nous, sans bruit, en rang et se déshabiller sans nous quitter du regard. Le temps de l’humain prend son temps. La nudité spectaculaire et honteuse laisse la place au tableau : je le ressens comme une victoire contre l’oppression du vertical et de la morale, du faire à tout prix, du mot qui dirait tout.
C’est ainsi, qu’en 1965, Anna Halprin (re)définissait la modernité à partir du geste, du positionnement créatif. La dernière scène emporte tout : tandis que le bruit crée le mouvement, les corps font du bruit.
Peu à peu, je me réveille, m’éveille, m’émerveille : la danse est un art total qui nous déshabille pour nous inclure dans la parade du chacun pour tous.
Pascal Bély – Le Tadorne.
A lire aussi le regard de Guy Degeorges d’Un soir ou un autre.
Les photos sont de Jérôme Delatour. A lire son regard sur Images de Danse.
« Parades and changes, replay in expansion » d’Anna Halprin et Morton Subotnick réinterprété par Anne Collod avec Nuno Bizarro, Anne Collod , Yoann Demichelis, Ghyslaine Gau , Ignacio Herrero Lopez, Saskia Hölbling , Chloé Moura, Laurent Pichaud, Fabrice Ramalingom, joué au Théâtre de Grammont dans le cadre de Montpellier Danse le 20 avril 2011.
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OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Marie-José Malis à la Maison de la Poésie à Paris: quand le théâtre fait rêver…

À la sortie d’ «On ne sait comment» de Luigi Pirandello mise en scène par Marie-José Malis, je me prends à rêver que le théâtre puisse toujours avoir ce niveau d’exigence, de prise de risque et de respect. Avec cette  impression étrange d’avoir participé, de ma place, à une oeuvre où le déplacement permanent du plateau abat la frontière entre conscience et inconscience, comme à l’issue d’une séance d’analyse où l’exploration du rêve rend léger parce que la question du «vrai» et du “faux” n’est pas la Question.

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Ils sont cinq sur scène : deux couples et un ami. 2+2= 5. Tout est lié. Aucun de ces personnages ne pourra s’extraire du drame. Aucun ne pourra résister à l’assaut : la vérité n’existe pas. Seule, la réalité psychique construit ce que l’illusion du réel nous impose. Roméo le sait (troublant Olivier Horeau): il a eu une aventure sans lendemain avec la femme de Giorgio, son ami marin. Depuis, Roméo doute de tout : de la sincérité de son épouse, de l’amour triomphant au sein du couple d’amis, du rapport à la vérité et à la responsabilité. Ils le considèrent comme un fou, mais il ne lâche pas: il y a chez chacun de nous des crimes innocents que nous dissimulons derrière nos fronts de granit. Du meurtre révélé tel un secret de famille, au rêve du matin où nous avons éprouvé du plaisir avec le corps d’un Autre, tout y passe : Roméo lève les voiles («je ne peux pas me sauver par un mensonge»), les embarque dans sa folie  («j’ai besoin de croire que cela arrive à tout le monde»), voit la liberté comme un châtiment et le rêve «comme un crime innocent».

Cela dure trois heures. Il faut tout le talent de Marie-José Malis et des comédiens pour être soi-même entraîné. Ici, point d’effets spéciaux et de roublardises technologiques : entre les actes, ce sont les acteurs qui déplacent les décors tandis que la mise en scène les fait glisser pour abattre les cloisons. Ainsi, toute la «machinerie théâtrale» est au service du propos (et non  l’inverse comme dans tant de créations «pluridisciplinaires»). Le rideau rouge (couleur du sang qui lui ne trompe pas) est une membrane entre le dedans du «huit clos mensonger» et le dehors du jeu de la “vérité”. Le plateau s’avance même tel un plongeoir vers le public : il est prêt à céder sous le poids des remords et des mensonges. Mais il nous plonge aussi dans un lien différent au théâtre (quelle part de vérité venons-nous y chercher ?). En fond de plateau, un décor dans le décor où un rideau métallique ouvre les portes de l’inconscient, l’espace de toutes les dissimulations (il est l’autre scène).

Quant à la salle du Théâtre des Bernardines, elle reste éclairée tout au long du spectacle afin que les acteurs puissent quitter le plateau et s’approcher de nous : ainsi pris à témoin, la «folie» de Roméo nous inclue dans ce cauchemar «jusqu’en éprouver du plaisir». C’est depuis le parterre que l’effet inconscient du théâtre se joue.  Peu à peu, la tension monte d’acte en acte : la lumière joue sa fonction hallucinogène (rêve ou réalité ?) tandis que la musique accentue l’inéluctabilité du drame qui se prépare: la quête de la vérité mène droit vers la mort.

Tel Roméo, Marie-José Malis questionne avec force et engagement le texte de «folie» de Pirandello. Elle ne recule devant rien et ouvre «son» théâtre pour explorer ce processus psychique quitte à jouer avec lui pour nous “déplacer”  sans ménagement, mais avec respect. Il est rare de nos jours qu’une metteuse en scène créée une telle affinité entre la dramaturgie et l’inconscient, où l’intensité théâtrale est proportionnelle à l’intensité du refoulement.

Avec «On ne sait comment», Marie-José Malis propose sa séance où le sujet est en spectacle pour qu’advienne le devenir du sujet dans la quête de sa vérité. Sublime.

Pascal Bély – Le Tadorne.

«On ne sait comment» de Luigi Pirandello par Marie-José Malis. Avec Pascal Batigne, Olivier Horeau, Marie Lamachère, Victor Ponomarev et Sandrine Rommel. Au Théâtre des Bernardines à Marseille du 5 au 9 avril 2011.
A la Maison de la Poésie à Paris du 9 au 31 mars 2013
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HIVERNALES D'AVIGNON LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Ne me jette pas.

Il arrive parfois que la danse contemporaine nous tende un miroir à mille facettes. Où en sommes-nous? N’avez-vous rien remarqué autour de vous? Mais où suis-je?
Le chorégraphe tunisien Radhouane El Meddeb a une sensibilité bien particulière pour restituer sur un plateau «ce que nous sommes», titre de sa dernière création.
Ils sont cinq dont une qui n’a pas tout à fait l’allure d’une danseuse (magnifique Alice Daquet, alias Sir Alice): de sa robe moulante transparaît de jolies formes (incarnerait-elle Radhouane?). Elle est le «corps social» et porte les stigmates de l’abandon. Elle a cette colère froide, de ceux qui n’ont aujourd’hui plus grand-chose à perdre. Elle observe souvent, se mêle au groupe sans y être. Elle est le «politique» au sein d’un collectif qui ne sait plus comment s’y prendre pour lutter contre la solitude des individus.

Par un subtil jeu de lumières, ils se dévoilent peu à peu. Deux hommes (troublants Olivier Balzarini et Christian Ben Aïm) et une jeune femme  (puissante Anne Foucher), élégamment habillés s’entremêlent tandis qu’une autre, à l’allure fougueuse (étrange Margot Dorléans), (se) cherche. La scénographie d’Anne Tolleter (collaboratrice de Mathilde Monnier) fait encore des miracles: à l’image de la bordure d’un tableau, elle a posé des gravillons noirs et argentés tout autour de la scène. À tour de rôle, ils marchent sur cette étroite bande dont le bruit produit le frisson à l’arrivée de celui que l’on attendait plus, à moins que ce ne soit le son de la relation…À ce tableau, il faut ajouter la musique de Sir Alice: tout aussi profonde que la danse de  Radhouane El Meddeb, elle nous enveloppe et nous donne l’énergie de ne pas lâcher un seul mouvement. Voudrait-elle nous inclure? Et si nous étions le sixième acteur de ce huit clos ?

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Peu à peu, du repli sur soi, enfermé dans leur bulle virtuelle (qui finit par rendre fou), chacun marche en préférant la diagonale pour tisser la toile. Une tête se pose sur le corps de l’autre tandis que des gestes de rien du tout créent la relation de confiance. On se porte, on se supporte. Il y a peu d’envolées, mais que l’on ne s’y trompe pas: les craintes et les désirs s’entrechoquent en silence. Que ces fils paraissent fragiles!  Ces gestes lents créent la partition d’une étonnante chorégraphie poétique où la personne incarne le «tous». C’est puissant parce que nous sommes toujours à ces deux niveaux en même temps: l’individu et le groupe.
Lentement, les corps se répondent, le collectif prend du relief. Tout un paysage relationnel se dévoile: aux sons des gravillons, se superposent le bruit des baisers et des bisous. La créativité de chacun s’exprime dans un cadre sécurisant, l’érotisme s’approche et le désir amoureux fourbit ses armes. Comment  façonner l’autre à notre image? Est-ce l’autre que nous chérissons? N’est-ce pas plutôt la relation (névrotique si possible) que nous cherchons?
C’est à ce moment précis que le groupe bascule dans une violence inouïe. Alors que nos connaissances sur la psychologie n’ont plus rien à avoir avec ce que savaient nos parents, nous semblons les utiliser pour «jeter» l’autre comme une marchandise. Le corps intime et le corps social se fondent peu à peu dans le consumérisme le plus abject où leur marchandisation côtoie le principe de précaution qui voit dans «l’autre» une possible menace. Radhouane El Meddeb dévoile ici son impuissance à se représenter une issue à cette violence née de nos solitudes contemporaines et de notre incapacité à repenser le collectif en dehors des dogmes qui l’ont jadis structuré. Car aujourd’hui, c’est bien  le corps jeté (les suicidés de France Telecom, le corps immolé en Tunisie et ailleurs) qui ouvre la voie à «notre» reconstruction.
Le corps est une bombe. Radhouane El Meddeb est un démineur en Fa Majeur.
Pascal Bély – Le Tadorne.
« Ce que nous sommes » par Radhouane El Meddeb le 25 février 2011 dans le cadre du festival « Les Hivernales».
Crédit photo: Agathe Poupeney.
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OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Il y a un théâtre qui n’est, ni pour tous, ni pour chacun…

«Tartuffe», “Bérénice“, «Hamlet» et «Antigone», quatre «cadeaux», offerts, sur quatre semaines par Gwenaël Morin et le Théâtre Universitaire de Nantes.
Comment débuter ce texte ?
Remercier peut-être ?  Oui, c’est ça…, écrire… Merci.

« Pom, pom, pom, pom, pom, pom, pom,… Pom, pom,pom ! » :
Pour leur Talent, leur Générosité, leur Plaisir à Jouer, leur Humilité, leur Proximité : Renaud Bécher, Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Gwenaël Morin, Ulysse Pujo.

Pour les regards, les sourires, les mots échangés/partagés : les spectateurs croisés à ces soirées. 

Pour nous avoir proposé ce Voyage, pour leur accueil : l’équipe du Théâtre Universitaire de Nantes.

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Acte 2 :
Des adolescents et de jeunes adultes présents en grand nombre, prouvant que le théâtre n’est pas une affaire de «bobos» comme on tend à nous le faire «avaler». Chaque soir, salle comble, grâce à, et par la parole (voir par sms, mais là, je suis pour!) qui circule; l’intelligence de l’esprit et du coeur, quand ils offrent cette qualité, trouvent toujours leurs messagers.
Du Théâtre étincelant, fait avec des ficelles, du carton, des planches, des tréteaux…On est loin ici des millions étalés sur scène, qui plus est, utilisés, par certains, pour «dénoncer» la «Crise»

Et pourtant? !
Ces Dames et Messieurs de moins de quarante ans (là j’extrapole, pour le “style” , je n’ai pas vu leurs papiers..) nous offrent un « Kontakthof» théâtral majestueux, on est comme dans un «Café Muller» où les «Nelken» fleuriraient des ronces du passé.

De l’essence  de la Tragédie ; ils nous permettent de sourire (voir même, sans sacrilège, de rire) pour mieux nous amener à rebondir sur le présent de son actualité. Ils nous font entrer «dans le texte» et nous permettent, par cette même invite, de mieux regarder, après «distance» de plaisir, ce qui nous agite, aujourd’hui  encore.
C’est ici véritablement de Théâtre Vivant dont il s’agit. Ce théâtre qui n’est, ni pour tous, ni pour chacun, mais qui…tout simplement, et c’est ça qui fait s/Sens ; c’est ça qui résonne et traverse chaque être pour le faire travailler à définir ce qu’il cherche, ce qu’il ressent et ce qu’il trouve là.

Ce Théâtre là nous ramène à l’enfance, ce temps de «Liberté» où nous n’avions besoin que de «bouts de cartons» pour mettre en Vie le Monde et y voir toutes les richesses d’un devenir.            
Gwenaël Morin et ses compagnons font Advenir le Théâtre de nos chimères, celui là même qui nous poussait à courir vers un demain meilleur, Forcément Meilleur, puisqu’on serait plus «grands» et plus  «libres . Et, ce théâtre là, nous re-fait advenir, car il nous susurre le «petit» qui «savait, peut-être», mieux lire les «travers du monde» parce qu’il avait alors le «pouvoir, sans doute», d’en tordre les ressors…«Mémoire?»

La lecture offerte, de ces textes d’hier, calque, à merveille, les images que l’on se créait, pour faire «entrer» ce passé lointain dans notre quotidien «enfantin».

«Bérénice», «Antigone», «Tartuffe», «Hamlet» et, tant d’autres, ont portées, et portent encore les vêtements «emblématiques» des époques où de grands yeux singuliers dévorent leurs histoires de papier. On sait bien,…en ces temps là…, qu’ils «bougent» toujours.

 Acte 3:

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Dis, Monsieur Morin, avec tes copains, tu ne veux pas nous inviter Chimène, Don Juan, Don Quichotte, Phèdre, Arlequin, Cazanova, Sigismond, Eve, Adan qu’on fasse un peu les Poussières?

Dis pis, M’sieur Morin, avec tes copains,tu lâches pas, hein, dis, tu tombes pas sous les « dorures » et les « fanfreluches »?

Dis, t’as vu tous les jolis « gamins » qui ne vous font pas « clap, clap » mais « Bravo Merci », tu ne lâches pas « l’enfance », hein?!

Continuez à danser et offrez-nous encore, s’il vous plaît, les « Carmen » et les « Don Rosé » sortis de vos malles à Parfums d’Enfances…
Dites-les TU (Théâtre Universitaire), tu nous/les invite encore demain à la Fête du Théâtre?

Dites les spectateurs, on se refait encore, même sans leur aide s’ils sont occupés ailleurs, les Bonheurs des Regards, des Sourires et des Mots?  

Merci  à Vous, Renaud, Virginie, Julian, Barbara, Grégoire, Gwenaël, Ulysse de m’avoir, de nous avoir, invités dans vos rêves.

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

Les spectacles du répertoire de Gwenaël Morin: ici.

«Tartuffe», “Bérénice”, «Hamlet» et «Antigone» mise en scène par Gwenaël Morin au Théâtre Universitaire de Nantes du 17 janvier au 11 février 2011.

Photo Julie Pagnier

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OEUVRES MAJEURES PETITE ENFANCE

À nos mères debout.

Les applaudissements de la salle ne trompent pas. Le public, composé d’enfants et d’adultes peine à quitter les gradins. Avec «Debout» de Nathalie Papin, mise en scène par Alexandra Tobelaim, on en reste assis. L’enfant s’était pourtant couché. Au fond du trou. Victor, le fossoyeur, le découvre. Commence alors un dialogue surréaliste, enlevé, et plein d’humour : «Qu’est-ce que tu fais là ? – J’essaye de mourir – Tu n’as pas l’air de bien y arriver».  Ces deux marionnettes, magnifiquement interprétées par Sylvie Osman, semblent faites d’une matière minérale composée de nos chagrins d’enfant fossilisés par le temps qui passe. Le jeu des lumières laisse entrevoir le noir, le sable qui file entre les doigts comme si l’enfant n’avait plus prise sur son destin.

Car ce jeune garçon de dix ans, battu par sa mère, n’en peut plus. Il n’en veut plus. Victor l’encourage à se relever jusqu’à le prénommer «Debout» et le guide vers le cimetière des gitans d’où l’on peut rencontrer d’autres mères. À lui de faire ses recherches. Il a le choix. Il y croise Mère Verticale, droite dans sa botte, dont le seul sein va droit au coeur des papillons qui n’auraient pas dû passer par là ! Il y a Mère Jardin, qui enracine ceux dont la terre nourricière s’est dérobée. Plus tard, il tombe sous le charme de Mère Araignée (ma préférée !), celle qui tisse les liens pour se relier tout en se protégeant des petites bêtes rapaces ! Plus loin, il y a Décaèdre, la mère à dix mains, à tout faire et probablement à tout défaire ! Et puis, l’inoubliable «Mère des Mères», celle qui porte les valeurs, les principes démocratiques et éducatifs (certains reconnaîtront Françoise Dolto, d’autre Marcel Ruffo ou Sigmund Freud!). Par un jeu subtil de lumières, ces mères apparaissent et disparaissent comme dans le manège où nous attrapions le pompon. Ces «marionnettes – doudous», apprivoisent nos peurs d’enfant et symbolisent nos angoisses d’adultes dans notre lien à la mère.  Avec une belle agilité, Sylvie Osman nous fait naviguer entre ces deux registres pour tisser le fil d’Ariane qui relie petits et grands. Je suis alors bercé tandis que mon siège bouge par les soubresauts d’une petite fille à côté de moi…

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«Debout» a la force d’un conte moderne, à la recherche de nouveaux mythes pour éclairer la voie. Car le lien du sang est complexe : il ne peut se réduire à une approche binaire et seul le langage métaphorique permet d’en saisir les subtilités. Je comprends vite que les écritures scéniques et littéraires sont liées par une recherche sérieuse et créative : on ressent toutes les influences du travail des psychologues, des éducateurs et des professionnels de la petite enfance. Avec «Debout», le théâtre «jeune public» démontre une fois de plus son ancrage dans une société qu’il accompagne à se civiliser toujours un peu plus. Pour éviter de se coucher face à ceux qui ne l’entendent pas de cette oreille…
Pascal Bély – www.festivalier.net
« Debout » de Nathalie Papin, mise en scène d’Alexandra Tobelaim a été présenté au Théâtre Massalia (Marseille) du 11 au 14 janvier 2011.

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OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Gwenaël Morin, le transe-formateur.

Gwenaël Morin est un metteur en scène. Il a l’étoffe du bâtisseur, celui qui laisse son empreinte pour ouvrir la voie. Dèsqu’il arrive dans un théâtre (celui d’Arles par exemple), on a l’étrange impression qu’il modifie les plans, l’aspect, voire l’architecture. Pour “Tartuffe, d’après Tartuffe de Molière“, les escaliers, les loges, les recoins, les portes sont autant de plateaux pour que le théâtre s’entende. A se demander si ces lieux souvent imposants et massifs méritent bien leur qualificatif de “théâtre dans la cité“. À notre arrivée, un décor fait de cartons, de peintures photocopiées assemblées par du scotch, d’une vieille table, d’une chaise de plastique récupérée dans une salle des fêtes et d’un boudoir. Tout donne l’impression que la force se nourrit de cette fragilité. Six acteurs (Renaud Béchet, Julian Eggerickx, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Gwenaël Morin et Ulysse Pujo) se préparent comme des sportifs: étirements, concentration, allers et venues. Habillés comme vous et moi, ils nous regardent avec le sourire. Ils sont “agents d’accueil“! Pendant quatre-vingts minutes, ils ne vont plus nous lâcher. Ils partent au combat pour susciter le désir, pour éveiller les sens, pour nous faire plaisir comme s’il fallait nous mettre en état de tension permanente. Il y a chez Gwenaël Morin ce pari un peu fou de diriger ses acteurs tout en “malaxant” la salle, tel un sculpteur avec la pierre.

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A la sortie, on en sort presque épuisé. Comme après une transe. Car ce “Tartuffe” n’offre aucun répit. Au commencement, il y a cette scène où Orgon, couvert d’un tissu noir, hésite à descendre la marche qui le sépare du public. Il tremble, il vacille, de peur d’avancer dans l’incertitude (à l’image du peuple français?).C’est tout l’enjeu du théâtre de Gwenaël Morin: franchir la ligne, ouvrir l’espace de la représentation, nous prendre à partie. C’est alors qu’Orgon, quasiment “enburcanné” monte les escaliers de la salle suivie par sa famille, désespérée par tant de dévotion à l’égard de Tartuffe. Poursuivraient-ils l’obscurantisme? Car, combien sont-ils, dans les plus hautes sphères de l’Etat et des familles, à naviguer à vue sous l’influence de “conseillers” manipulateurs et spoliateurs?

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Tartuffe, c’est le vers dans le fruit de la démocratie et des institutions censées nous protéger de l’affairisme et de la corruption. La mise en scène restitue la violence de ce processus. Je reste fasciné par la façon dont l’acteur occupe l’espace scénique d’une table, d’un dessous de table, d’un bout de carton: tout fait corps!  Avec délicatesse, Gwenaël Morin bouscule notre représentation du théâtre patrimonial: il force notre écoute quand les acteurs chuchotent (ou complotent!); il nous aide à nous distancier des effets scéniques un peu faciles (ici, le jeu de lumières consiste à éteindre ou allumer!) et nous donne un repère (le boudoir) qui se transmet d’acteur en acteur comme un passage de témoin afin de ne pas perdre le fil de la tragédie qui se trame.

Mais surtout, ce “Tartuffe” transpire. La folie du désir est partout. Tout n’est pas tout blanc ou tout noir comme au temps de Molière. Aujourd’hui, comprendre Tartuffe, c’est ressentir toutes les ambiguïtés, tout ce qui fait “complexe”. Ici, des acteurs masculins jouent des rôles de femme tandis que Tartuffe et Orgon s’homosensualisent! Même le piège tendu par Ermine à Tartuffe pour démontrer, au mari caché sous la table, son hypocrisie est ambiguë : elle provoque le désir pour chercher la vérité par le mensonge. Alors qu’elle fait tomber une à une les barrettes de ces cheveux face à un Tartuffe médusé, le compte à rebours d’un “amour à mort”‘ a commencé. Magnifique.

Avec Gwenaël Morin, c’est par le corps que l’on manipule les consciences. Après l’avoir libéré des jougs de la religion, il est aujourd’hui l’objet de toutes les “tartufferies” qui nourrissent les rapports de force. Nos Tartuffes contemporains savent jouer avec nos désirs. Jamais la libération du corps ne m’est apparue aussi fragile.

Gwenaël Morin nous le rappele avec une force “trans(e)pirante“.

Pascal Bély, www.festivalier.net

« Tartuffe d’après Tartuffe de Molière », conception de Gwenaël Morin a été joué les 6 et 7 janvier 2011 au Théâtre d’Arles.

Crédit photo: Pierre Grobois.

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Le spectacle de l’année 2010: “La casa de la fuerza” d’Angélica Liddell.

Après  Toshiki Okada en 2007 avec «Five days in March»,  puis Pippo Delbono en 2008 avec «Questo Buio Feroce» et  Maguy Marin en 2009 avec «Description d’un combat», c’est Angélica Liddel qui nous a éblouis en 2010. C’était au Festival d’Avignon. Du bilan de l’année 2010 publié sur le Tadorne, elle émerge comme l’un des plus grands chocs théâtraux de ces dix dernières années. «La casa de la Fuerza”  puis «Te haré invencible con mi derrota»  programmé à «Mettre en Scène» à Rennes auront durablement touché les spectateurs. Une tournée est annoncée en Europe pour 2011 puis en France, pour 2012.

Retour sur «La casa de la Fuerza »…

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3h30 du matin. Les spectateurs n’ont plus beaucoup de force après les cinq heures de ce chef d’oeuvre pictural, d’un théâtre chorégraphique, épuisés par tant de sollicitations visuelles, auditives, voire olfactives. « La casa de la fuerza » de l’Espagnole Angélica Liddell est un coup de poing, qui vous précipite dans la crise, celle que vous aviez un peu trop vite oubliée. Sauf que le théâtre est là pour raviver les plaies parce que nous sommes tous faits de cette matière là. Ce soir, au Cloître des Carmes, acteurs et spectateurs sont infiniment, intimement liés par toutes ces « petites histoires » dont nous en avons tous fait de grandes : le chagrin d’amour, le mal de vivre, l’abandon, le renoncement de soi…Appelez ça comme vous voulez. C’est notre enfer commun. La vraie crise, c’est celle-là. L’économique, n’est qu’économique…et puis, ça commence à bien faire. Assez de discours ! Place à la vérité. Au corps.  

Elles sont trois femmes, six destins. Cherchez l’erreur dans l’addition. À la différence de certains hommes qui sont toujours prompts à défendre des causes humanitaires, mais ne peuvent s’empêcher de maltraiter leur compagne, ces trois femmes dépressives au premier acte en invitent trois autres au dernier, pour évoquer la situation de la condition féminine au Mexique. Tout est lié. Nos chagrins d’amour s’inscrivent aussi dans un contexte sociétal. Mais aussi parce qu’être femme battue, violée et tuée ailleurs est un chagrin d’amour pour toute l’humanité.

Trois actes pour (re)vivre du dedans ce que nous avons tous voulu crier au dehors. Car le mal d’amour, la séparation atteint son paroxysme dans la souffrance du corps. Comment porter au théâtre ce qui est d’habitude métaphorisé par des opéras, des danses, des histoires à dormir debout ? Ici, tout est convoqué.

Le texte, puissant, parce qu’il est fait de mots d’une tendresse brute ;

la musique, omniprésente, en boucle (du Bach et de la pop), parce que sans elle, nous n’aurions peut-être pas survécu au naufrage de l’âme et qu’allongés, Bach, Brel et Barbara ont été nos analystes au doigt et à l’oeil;

le liquide, parce que ça déborde et que l’amour finit toujours par prendre l’eau ;

le sang, parce que l’on se saigne aux quatre veines pour sortir de ce merdier ;

des canapés, beaucoup de canapés, une armée de canapés, parce qu’ils sont nos lits d’enfants avec ou sans barreaux, c’est selon;

des fleurs, en bouquets pour fracasser ce qu’il reste de beau ; en pot pour fleurir les cimetières ; en bouton, pour renaître;

un immense cube de pâte à modeler pour sculpter, enfanter d’une armée de bonhommes façonnée par la tendresse et la paresse, le tout pour résister à la bêtise machiste ;

le tiramisu…parce qu’avec Angelica Liddell, c’est le seul gâteau qui vous relève en chantant ;

le charbon, oui du charbon, pour creuser la tombe, épuiser le corps, tomber au fond du trou, et provoquer le coup de théâtre le plus magistral qu’il nous ait été donné à voir, tel un coup de grisou dans la tête de ceux qui continue à nous gonfler avec leurs classifications (théâtre, danse, et compagnie).

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Toutes ces matières façonnent la mise en scène et  « la casa de la Fuerza » bouleverse une partie du public : les corps se fondent dans les objets et leur donnent une âme, la musique épouse les matières, et vous finissez par être sidéré, immobilisé, par une telle orgie de la tolérance et de la beauté. Car ici, le corps n’est pas manipulé, tel un objet pour créer du propos, mais il est traversé pour que tout nous revienne, comme une exigence de vérité. Le corps de l’acteur est un don au public, un lien d’amour engagé et engageant où l’on convoque une infirmière sur le plateau pour prélever son sang et tacher sa chemise. « Je suis sang ».

« La casa de la fuerza » sera l’un des grands moments de l’histoire du festival d’Avignon. Parce qu’Angelica Liddell ne se contente pas de regarder les hommes tomber. Elle leur offre la force de sa mise en scène pour que «Ne me quitte pas » soit un hymne à la joie.

Pascal Bély – Le Tadorne

“La casa de la fuerza” d’Angélica Liddell au Festival d’Avignon du 10 au 13 juillet 2010.

Credit photo: Christophe Raynaud de Lage

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LA VIE DU BLOG OEUVRES MAJEURES

Mes dix chefs d’oeuvre en 2010.

Ce sont mes dix chefs d’oeuvre sur près de 140 spectacles vus en 2010. Sept femmes, trois hommes qui ont osé chercher dans le chaos le plus indescriptible, les ressorts de notre (in)humanité. Dix chefs d’oeuvre où les arts se sont bel et bien croisés (pourquoi continuer à séparer le théâtre, la danse, la peinture et la performance?) pour conduire le spectateur dans ce qu’il ne peut atteindre seul. Ces dix artistes ont été les éclaireurs d’un voyage au bout de la nuit…

1)    Angelica Liddell,  “La casa de la Fuerza“, Festival d’Avignon,
2)    Maguy Marin, “Salves“, Biennale de la danse de Lyon
3)    Anne Teresa de Keersmaeker, “En atendant“, Festival d’Avignon
4)    Christoph Marthaler,  “Schutz vor der zukunft” , Festival d’Avignon
5)     Simon McBurney, « Shun-Kin », Festival d’Autonme de Paris.
6)    Angela Laurier, “J’aimerais pouvoir rire“, Subsistances de Lyon
7)    Gisèle Vienne, «This is how you will disappear“, Festival d’Avignon
8)    Christoph Schlingensief, « Via Intolleranza II », KunstenFestivalDesArts de Bruxelles
9)    Cindy Van Acker, “Lanx” / “Obvie” / “Nixe” /”Obtus” , Festival d’Avignon
10)  Christiane Vericel, “les ogres ou le pouvoir rend joyeux et infatigable “, Théâtre d’Oullins

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Angelica Liddell – “La casa de la Fuerza” – Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

L’Espagnole Angelica Liddell avec “La casa de la Fuerza” est probablement l’une de nos plus grandes dramaturges européennes où le corps intime peut évoquer la douleur du monde. Rarement une artiste s’est engagée aussi loin sur scène pour accueillir la poésie de nos âmes torturées par l’imbécillité des puissants.

Avec “Salves“, Maguy Marin a chorégraphié le théâtre pour nous remettre dans la danse. Elle a cherché ce qui fait Histoire dans notre histoire pour questionner l’évolution de notre civilisation. Sidérant.

Angéla Laurier avec “J’aimerais pouvoir rire“, a atteint le sommet de son art: son corps contorsionné libèré de la «performance» a pu accueillir la folie de son frère, pour une peinture chorégraphique majestueuse.

Encore la folie avec Christoph Marthaler: “Schutz vor der zukunft” aura été l’un des moments les plus troublants du Festival d’Avignon. L’eugénisme des nazis nous est revenu de plein fouet pour que la souffrance des fous laisse son empreinte et guide nos pas de citoyens humanistes. Sublime.

Gisèle Vienne a osé créer une forêt pour en faire un théâtre d’où nous contemplions notre disparition.  «This is how you will disappear” fut un havre de fraîcheur au coeur de la fournaise d’Avignon jusqu’à glacer la peau du spectateur peu aguerri à vivre «sa» descente aux enfers.

Anne Teresa de Keersmaeker avec “En atendant“, nous a offert un paradis chorégraphique, sur la scène en terre du Cloître des Célestins à la lumière du soleil d’Avignon. Nous “sommes entrés dans la nuit” avec eux pour accompagner le travail de recherche sidérant de cette chorégraphe exigeante.

Avec ses quatre solos (“Lanx” / “Obvie” / “Nixe” /”Obtus” ), Cindy Van Acker a sidéré de nombreux spectateurs peu habitués à plonger dans le geste chorégraphié avec autant de lenteur. Quand la danse provoque le syndrome de Florence en Avignon…

Nous n’étions pas loin d’en être de nouveau atteints avec Simon McBurney.  «Shun-Kin» est la signature d’un grand metteur en scène; c’est un bâtisseur de ponts d’où l’on danse, d’où l’on pense pour se jeter dans le vide par amour du théâtre. À quand une tournée en France?
Il ne reviendra plus. Le metteur en scène allemand Christoph Schlingensief a disparu à la fin de l’été après avoir présenté sa dernière création au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles. «Via Intolleranza II» a déformé pour longtemps notre regard sur l’opéra pour en faire un moment populaire, festif et politique. La scène fut une matière qu’il a malaxée pour en faire l’?uvre du renouveau, celle d’une civilisation tournée vers l’Afrique. Inoubliable.
2010, fut l’année de ma rencontre avec Christiane Véricel ( “les ogres ou le pouvoir rend joyeux et infatigable “). Accompagnée d’enfants comédiens et de sa troupe, elle a posé  la question de la faim dans le monde. Loin d’apporter ses réponses, elle a provoqué cette turbulence qui a fait de nous des ogres affamés, solidaires et joyeux.
Gageons qu’en 2011, notre “casa de la fuerza” sera encore et toujours le théâtre.
Pascal Bély – www.festivalier.net

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DANSE CULTE OEUVRES MAJEURES

Sacré choeur!

Calmement, mais sûrement, nos pas nous conduisent vers eux. L’événement est d’importance mais nous ne sommes pas tous là. Ailleurs, cela aurait été assurément complet. Pas ici. Et pourtant, nous sommes au Ballet National de Marseille. Rien n’y fait. Obsédés par le foot, les médias font-ils seulement attention à ce qu’il y a de plus fragile et de plus beau dans cette ville?

Car ce soir, ” Le(ur) sacre” par Thierry Thieû Niang et Jean-Pierre Moulères est un troublant moment de danse. Ils sont vingt et un séniors engagés dans ce «Sacre du printemps. Tableaux de la Russie païenne en deux parties d’Igor Stravinsky» pour trente-huit minutes enivrantes. La feuille de salle les présente comme des “êtres dansants” pour nous rappeler que nous le sommes tous. Le miracle est probablement là : à les voir parcourir la scène et se métamorphoser, eux c’est nous. Tout de noir vêtus et affublés pour la plupart d’entre eux de perruques dont ils se délesteront progressivement, le «Sacre» va les désacraliser et opérer la métamorphose.

Ici, vieillir c’est se mettre en mouvement autour d’un centre de gravité (symbolisé par un puits de lumière dans lequel nous plongerons tous). Tandis qu’un homme  s’engage dans une course non pas contre, mais avec la montre, le groupe s’approche, s’éloigne du centre comme entraîné par la force du mouvement collectif.  Ils n’ont pas tous le même rythme et pourtant, la tribu n’éclate jamais. Entre l’homme qui court comme un jogger et celui, plus imposant, qui marche doucement pour avancer libre, une évidence s’impose: et si c’était le même homme ? Cette image ne me quitte pas : sur scène, tout se dédouble et je suis l’observateur attentif qui n’en perd pas un de vue pour ressentir le tout. Celui qui court joue ce que la société attend de lui (dénier la vieillesse pour célébrer la performance) tandis que son «double» n’a plus la contrainte d’incarner un rôle social. C’est ce contraste qui « fait » danse et spirale, où le mouvement de chacun produit celui du groupe. Peu à peu, les gestes se font plus relationnels les uns vis-à-vis des autres. Les corps se dévoilent tandis que certains quittent un à un la scène. Elle est seule, seins nus, à rester en piste. Elle nous regarde comme un retour vers la mère, à l’origine du monde. Magnifique humanité!

C’est alors que Thierry Thieû Niang, Stéphanie Auberville et la violoniste Saori Furukawa entreprennent une danse de sept minutes. Je perds l’écho avec « le Sacre ». 

A mon âge, il m’arrive d’être un peu sourd…

Pascal Bély – www.festivalier.net

« Le(ur) Sacre » et « Au Zénith » de Thierry Thieû Niang au Ballet National de Marseille les 10 et 11 décembre 2010.

Crédit photo : ©Marc Strub