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Aux Hivernales d’Avignon, étrange spectateur (Compagnie Mossoux-Bonté).

Quelles sont les intentions du Festival « Les Hivernales » d’Avignon de choisir chaque année un thème (« l’étrange » pour la 31ème édition) ?

N’est-il pas décalé pour une institution culturelle de créer en 2009 une case dont la fonction aujourd’hui, n’est autre que de simplifier, de rendre lisible le complexe? Précisément, c’est d’ouvertures, de passerelles, d’articulations dont nous avons besoin. « L’étrange » peut-il donc remplir cette fonction de nous éclairer sur la complexité  de nos sociétés globalisées? Attendons la suite de la programmation, mais au regard du premier spectacle présenté (« Nuit sur le monde » de la Compagnie Mossoux-Bonté), il y a de quoi douter et être passagèrement de mauvaise humeur.

Coller « l’étrange » à la danse ne la réduit-elle pas à l’illustrer, à lui donner une fonction qui n’est pas la sienne. La danse n’illustre pas, ne démontre pas ; elle ouvre des espaces pour penser l’impensable, elle dépasse le clivage statique / mouvement pour être sur la dynamique du sens. Or, cet après-midi, dans un cadre dont il est bien difficile de se défaire (la thématique de l’étrange est rappelée avant et après le spectacle via les affiches, les annonces au micro, les commentaires à la sortie), la danse a donc illustré, déboussolant un public qui applaudit mollement les pièces d’un puzzle difficile à agencer. La thématique rend donc le spectateur paresseux puisqu’il l’oblige à relier le complexe à une rationalisation.

Comment donc évoquer ce spectacle sans tomber dans le travers de l’illustration, de la simplification? En essayant malgré tout de “travailler” un tout petit peu. Au cours de la représentation, je me suis étonné à ne jamais lâcher la thème de l’étrange ; il m’obsédait. J’ai tenté quelques échappatoires pour finir par comparer le travail de Nicole Mossoux et Patrick Bonté à celui d’autres chorégraphes. À vouloir sortir d’une thématique, j’en ai créé peut-être une autre ! A vous de juger.

Ce n’est pas la danse de l’étrange dont il s’agit ici, mais bien celle d’un courant chorégraphique dans lequel le spectateur est régulièrement invité à s’immiscer dans les différents festivals (Avignon, Bruxelles, Montpellier, Paris, …).

Une danse de l’humanité, symbolisée par des fresques comme pour mieux revenir aux origines (merveilleusement dépeint par Maguy Marin dans « May B“, joliment dansé par Paco Décina dans « Fresque, femmes regardant à gauche », ancrée dans l’argile de Miquel Barcelo par Joseph Nadj). L’art rupestre pour inscrire la danse dans les profondeurs de l’histoire. Ici, c’est beau à voir.

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=-upVUyaFpr4&w=425&h=344]

Une danse de l’humanité, où les procédures de la société moderne font danser les bas-reliefs statiques des représentations figées d’antan. Lors du deuxième tableau, nos six danseurs recouverts d’un peignoir, quittent la terre pour la lumière blafarde de la modernité. Dans une mécanique immuable, la danse se veut contemporaine, conceptuelle, en dehors des affects. En représentation. L’image est danse. L’influence de Roméo Castellucci est palpable là où j’aurais aimé le culot de Christian Rizzo, le propos provocateur de Kris Verdonck. Ici, c’est lassant à regarder.

Une danse de l’humanité où l’on ne sait plus très bien où nous allons. Dans ce dernier tableau, nos danseurs groupés, assis par terre, finissent par venir vers nous dans une lumière rouge sang, jambes coupées puis finalement debout. Ils reculent puis s’effacent. Il y a pourtant à ce moment précis, une possibilité pour la danse d’ouvrir un chemin pour ce futur que l’on nous promet si chaotique. La poésie, la vision effleure et disparaît là ou le chorégraphe Joseph Nadj aurait débuté son propos. C’est frustrant de l’imaginer.

« Nuit sur le monde » est une jolie danse conceptuelle où le mouvement s’incarne par la  dynamique de l’évolution de la condition humaine et de ses paradigmes. Mais ce « courant » vu tant de fois ailleurs, donne l’étrange impression que la Compagnie Mossoux-Bonté arrive un peu tard.

Étrange d’être à ce point décalé.

Pascal Bély – www.festivalier.net

” Nuit sur le monde” par la Compagnie Mossoux-Bonté a été joué le 21 févrrier 2009 dans le cadre du Festival “Les Hivernales” d’Avignon.

Photo: M. Wajnrych.

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Consulter la rubrique danse du site.

A lire aussi, Aux Hivernales d'Avignon, la danse contemporaine fut.

 

 
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Evelyne a disparu (La Zouze Compagnie).

C’est la chronique d’une fête désenchantée. Pourtant, j’y suis allé avec envie, confiance et détermination.

Parce que c’est eux. “La Zouze”, compagnie animée par le chorégraphe Christophe Haleb. En 2008, elle nous avait fait divaguer dans un hôpital psychiatrique d’Uzès puis embarqué dans un « Domestic Flight » turbulent sur le genre.

Parce que c’est moi. Depuis le début de cette année de crise, je veux bouger, m’inclure dans un flux artistique et non me cantonner dans une posture qui pourrait se rigidifier.

Parce que c’est nous. En ces temps anxiogènes, de tape-à-l’?il et de « bling – bling », il est si rare d’être invité pour 10 euros à passer une soirée avec « Evelyne », héroïne de cette soirée, une parfaite inconnue.

Le rendez-vous. Samedi soir, 20h30, au Palais de la Bourse, siège de la Chambre Economique et d’Industrie de Marseille, sur la Canebière. Le Théâtre du Merlan squatte ce lieu du second Empire pour deux soirées avec « Evelyne House of Shame », articulation prometteuse entre le cabaret, le bal, et l’underground de Marseille (sic).

L’ambiance. Comme pour une réception chez l’Ambassadeur, nous sommes nombreux à divaguer dans le hall de la Chambre. Au c?ur de ce lieu du commerce, nous voilà, pauvres consommateurs fauchés par la crise, à attendre. Quelques groupes se forment ; le monde est si petit à Marseille. Pas assez connu (je suis aixois !), je cherche ma place, mais c’est sans compter sur l’un des acteurs de la Zouze qui s’avance dans le hall. Déguisé pour le bal, il s’approche. J’évoque “Uzès Danse “; il me présente à une spectatrice. C’est cela La Zouze : lier.

Vive la crise !  Le public monte les escaliers. Une dizaine d’acteurs, costumés de perruques et d’ornements d’une époque passée et à venir, gravit les marches main dans la main avec les spectateurs, pour les descendre aussi tôt. Le Festival de Cannes n’a qu’à bien se tenir. Cette montée, au c?ur de ce palais économique et financier, démontre que l’art peut y circuler et faire bon ménage avec le capital. Alors que la « Princess Hanz » chante « Money money » en jetant des ronds de papier, j’hurle avec eux du haut du troisième étage en pensant aux 13 milliards d’euros de bénéfice de Total. On croirait à une manif où le citoyen réinvestirait avec les artistes une sphère dont il est de plus en plus exclu. Mais en reliant la Chambre de Commerce à l’argent qui coule à flot, la Zouze se prive de l’investir comme le lieu d’un commerce de l’immatériel, celui qui nous aidera à sortir de la crise.


Le retour à l’ordre. Le peuple est là, auprès de La Zouze, à circuler verre de champagne à la main, dans cette salle de réception. Les personnages rodent autour de cette Evelyne absente et omniprésente. Elle est l’Autre, le « je » caché, cette diversité, cette créativité, que notre société censure. Nous buvons à la santé des comédiens, au retour des artistes sur la scène économique et politique ! Du haut de la barricade faite de plastique à l’image d’une ?uvre d’art contemporain, l’acteur Arnaud Saury nous invite délicieusement avec son texte baroque, à nous métamorphoser en « Evelyne », à baisser nos barrières de défense.

Mais la suite du bal, n’apportera rien de plus. On nous habille de robes en crépon pour les dames, d’uniformes en papier pour les messieurs ; nous défilons à l’image d’une société qui ne promeut que l’individu. On nous fait danser à deux, puis en farandole, dans des mouvements si mécaniques que l’on en perd le sens. Les rituels d’une soirée de mariage émergent peu à peu. L’art se dilue dans des pratiques collectives si connues que l’on en vient à s’ennuyer ferme. L’artiste signe son impuissance à créer le « vivre ensemble » en dehors des sentiers battus.

Evelyne a disparu. L’absence d’articulation entre les dernières séquences (mini cabaret où le public est assis au pied des artistes ; séance de relaxation pour quinze spectateurs « élus » dans une salle d’un conseil d’administration !) dilue le propos artistique et la dynamique sociale.

Il manque à ce bal artistique un ancrage. Alors que Marseille s’apprête à être capitale européenne de la culture en 2013, que souhaitons-nous faire ensemble ? Peut-on continuer à se retrouver entre blancs, entre professionnels et amateurs de culture, dans un lieu à ce point coupé de la ville et de ses réalités sociales. La suite, programmée dans le trés huppé Festival de Marseille, n’annonce rien de bon.

Mais que nous arrive-t-il pour avoir si peur de nous ouvrir ?

Pascal Bély

www.festivalier.net

Evelyne House Of Shame” de Christophe Haleb par la Zouze Compagnie a été présenté les 13 et 14 février 2008 dans le cadre de la programmation du Théâtre du Merlan. Suite au Festival de Marseille en juin prochain. On préfera danser à Montpellier ou Avignon.

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Le spectateur cuisiné, Au Ring, scène d’Avignon: 1er épisode.


Associer le spectateur au processus de la création est désormais habituel pour un lieu institutionnel. On participe régulièrement à des étapes de travail, des répétitions, durant lesquelles on se retrouve en situation de spectacle. Nous pensons alors avoir accès à l’inédit, à ce « quelque chose » que nous sommes seuls à voir. C’est souvent un temps répété dont la spontanéité est quasi absente.

La newsletter du « Ring », théâtre en Avignon, proposa le mois dernier d’assister à un travail de création, « en construction », de l’écriture jusqu’à la livraison finale lors du prochain Festival Off 09.  « Les culs de plomb », écrit par Hugo Paviot, mise en scène par Marie Pagès, avec David Arribe, Aïni Iften, Sophie Stalport et Coralie Trichard, se laisse donc voir dès sa genèse.

Tout commence à l’envers. Marie Pagès nous accueille et présente toute l’équipe artistique. Comme une fin de spectacle, les voici en ligne, prêts à saluer.

Personne ne sait le déroulement de la soirée, sauf qu’il va lever le voile sur son écriture. Les acteurs et le metteur en scène sont alors à la merci de l’auteur. Nous aussi. Mais comment  articuler un travail relevant de l’intime avec des comédiens?

Hugo Paviot prend la parole, nous raconte la rencontre avec Marie, leur envie de travailler ensemble, leur complicité, ce qu’il est, ses lectures, ce qui le nourrit. Il fait des tentatives avec les comédiens, avec Marie Pagès, afin de nous donner la substance même de ce que pourrait devenir le texte en écriture. On touche à l’inexplicable, au « pourquoi ».

Des essais imaginés prennent forme et la spontanéité fait son ?uvre : des images de guerre, des mots, la musique de Barber. La confiance s’installe. Ce moment de partage nous embarque tous, sans savoir où nous allons.

Après une heure de discussion autour de « la cuisine de l’auteur », Marie Pagès clôture. Est-ce la première scène ?

Ce soir-là, le théâtre retrouve de l’âme, car il concilie spectateur et créateur. Une réponse à la crise ?

Laurent Bourbousson.

www.festivalier.net


Cette première session intitulée “La cuisine interne de l’auteur” a été présentée le 9 janvier 2009.

A venir, le second volet : La livraison du “premier jet de la pièce”, le vendredi 13 février au Ring – Avignon

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Michel Kelemenis, chorégraphe.

Après avoir suivi le processus de répétition de « Viiiiite » et d’« Aléa » au cours du mois de janvier, la générale au Pavillon Noir m’impressionne. Je ressens la tension des corps après tant d’heures de travail. Nous sommes une cinquantaine dans la salle, comprenant les étudiants de Coline, structure menacée de disparition par les pouvoirs socialistes locaux. À la veille de la grève du 29 janvier, les trois ?uvres de Michel Kelemenis sont un espace protégé où il me plaît de me ressourcer. Avec lui, la danse est un propos. C’est l’un des rares à faire cette recherche « fondamentale », à communiquer par la danse pour la danse, avec sérieux, créativité et empathie.

Les étudiants de « Coline » sont derrière moi, visages fermés. Le dialogue s’amorce sur leur sort et la place que pourrait jouer internet pour sauver leur structure de formation Peu de répondant. J’ai envie d’échanger avec eux  sur la danse de Kelemenis…

« Viiiite »: Avec élégance, ils se présentent à nous, tout de blanc vêtu. Caroline Blanc et Michel Kelemenis font quelques pas, s’engagent dans des mouvements si harmonieux que l’on peut aisément étendre ses jambes et relâcher la pression. Mais à les voir enfiler de longs gants tout blancs, on comprend vite que le corps n’est plus qu’une apparition fugace, une émergence confirmée par la lumière d’un gyrophare. Il y aurait-il urgence tandis que les compagnies de danse sont priées d’entrer dans le moule d’une culture uniformisée ? Alors que notre société fait de la vitesse une échappatoire au sens, la force de « viiiiite » est d’en faire une forme en soi. Soucieux de nous accompagner dans ce processus « spiralé » descendant et ascendant, Kelemenis joue avec la figure du clown ou du Pierrot de la Comédia del’Arte pour enrichir le propos et tapisser notre imaginaire d’images tout aussi fugaces, mais ancrées.

Cette danse-là, forme le regard, c’est le moins que l’on puisse dire. Alors que la lumière fait apparaître puis disparaître, elle est à son tour un mouvement comme l’odeur évanescente, symbolisée par le rapprochement des deux corps dans une sphère intime. Ainsi, « viiiiite » est une danse concentrique qui finit par vous englober. Avec Michel Kelemenis, la danse est avant tout l’art de la reliance.

Pause. Je me retourne. Je cherche avec eux quelques mots qui ne viennent pas. Étonnés par mes questions, apeurés aussi. Il leur est difficile de franchir les barrières entre danseurs-étudiants et spectateur.

« Tatoo » : Vingt minutes de plaisir à l’état pur, comme si le spectateur pouvait enfin jouer à cache-cache avec la danse, qu’elle soit contemporaine ou classique. Michel Kelemenis s’amuse, nous aussi. En s’appuyant sur les codes (dont les pointes), il déséquilibre le clivage en huilant les mécaniques de nos représentations. Cela en deviendrait presque subversif. Cette danse accueille, ouvre les verrous, se repose sur la fragilité de l’humain pour consolider l’articulation entre classique et contemporain. Le plaisir vous contamine même si l’on regrette les corps pas totalement habités des danseurs. À danser au-dessus des parties, il n’en faudrait pas plus pour être déstabilisé.

Pause. Les étudiants sont toujours là, derrière moi.  Nous échangeons sur la technique des danseurs. J’évoque le plaisir de voir une ?uvre au dessus des clivages. Étonnés, comme s’ils n’entendaient jamais cette parole de spectateur. Pour Coline, on fait quoi ?

« Aléa » : La dynamique des sept danseurs impressionne. Elle est danse. Michel Kelemenis ne se perd pas dans des effets de style ou des figures conceptualisés : ne compte ici qu’une recherche entre l’autonomie de l’individu, l’émancipation du groupe et un désir collectif qui prend forme. Ce n’est pas une danse qui impose, elle propose. À sept, ils dessinent avec leurs costumes de couleurs, la toile du peintre où vient résonner la musique électronique de Christian Zanési, tumulte de nos sociétés contemporaines. Et je m’étonne d’entrer au c?ur de leur tresse, de n’en perdre aucun, de me mouler avec eux. « Aléa » est si fluide que chaque espace nous laisse une place. Le final, où chacun improvise dans le chaos, est le triomphe du « nous » sur le « je » concurrentiel, de l’art sur le « vide», de l’émancipation sur la soumission. C’est aussi une invitation pour le spectateur à entrer dans la danse, simplement. Sincèrement.

C’est fini. Ils sourient. Ils me tendent leur pétition papier pour les soutenir. Je signe, mais je les invite à constituer leur comité de soutien sur Internet. J’aurais bien envie de créer un collectif spectateur – danseur – chorégraphe. Comme un “Aléa” …juste  pour gripper.


Pascal Bély

www.festivalier.net

“Viiiiite”, “Aléa”, “Tatoo” ont été joués du 29 au 31 janvier au Pavillon Noir d’Aix en Provence.


A lire, le premier épisode: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of de “viiiiite”(1/3) !
Le deuxième: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(2/3) !
Le troisième: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(3/3).

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« Comme Une Fille Enlève sa robe » de Perrine Valli : trois blogueurs débattent.

Guy : J’hésite…J’ai été plutôt déconcerté. Sans trouver la bonne approche pour regarder cette proposition. Le sujet annoncé-la prostitution- est fort et particulier. Un sujet à risque !

Mais ce qu’on voit au début semble étranger à ce thème: une danse lente dans la lignée de ce qu’on a déjà vu de Perrine Valli (des poses bras tendus comme sur la photo qui illustre le site de Mains d’?uvres). On s’y fait …avant de découvrir des tableaux qui nous ramènent au thème central: les deux interprètes lourdement maquillées, la danseuse confrontée au déferlement de ces petits hommes virtuels…Je m’y suis un peu égaré, malgré les itinéraires dessinés en sparadraps pointillés… )

Jérôme : Il est vrai qu’on est loin de la prostitution réelle. C’est plus une idée de la prostitution, un fantasme de prostitution chez une jeune femme d’aujourd’hui. Rien de sordide ici. En fait, la pièce de Perrine Valli parle de bien d’autres choses. Elle est toute d’ambivalences et de miroirs: la gémellité de la pure et de la pute ; les pointillés formant chemin et frontière ; les petits bonshommes pouvant symboliser des clients – c’est l’interprétation de Rosita Boisseau dans sa critique du Monde – mais aussi des enfants, un désir d’enfants. La bande son, qui laisse percer des cris juvéniles, va dans ce sens, et la scène est aussi belle que légère, enfantine elle aussi, presque allègre. Cette scène peut aussi renvoyer à la représentation de Nout, la déesse egyptienne au corps étoilé (la voûte céleste, en somme) qui avale le soleil le soir et l’enfante au matin !

Guy : Cela m’a plutôt évoqué des images de space invaders. A chacun ses références…

Jérome : Je te rejoins sur la cohabitation étrange d’une danse abstraite, où l’on reconnaît que Perrine Valli est encore très fortement influencée par la gestuelle sémaphorique de Cindy van Acker (dans Obvie, par exemple), et d’une narration.

Guy: Mais dans l’ensemble, c’est tellement différent de ce que Perrine Valli a présenté précédemment-il faut signaler qu’il s’agit d’une toute jeune chorégraphe et interprète- qu’il s’agit presque d’une première pièce…


Jérôme : Pour ma part, j’apprécie que Perrine s’engage sur cette voie moins aride. De plus, sa pièce est parfaitement rythmée, et ponctuée par de simplissimes, mais très efficaces mises au noir, qui délimitent une succession de saynètes.

Pascal : Nous pourrions échanger encore longtemps sur le propos de cette ?uvre. Elle n’en manque pas mais entre- t- elle en résonance ? Les idées fusent, tel un brainstorming entre artistes inspirés par la question. La multiplication des espaces, des symboles ne créée pas la cohérence. Tout s’additionne sans se relier. L’escalade dans le propos métaphorique sature et ne permet plus aux corps de relier les symboles. La danse de Perrine Valli met au même niveau images, utilisation de l’adhésif et mouvement comme si le corps prostitué était langage au même titre qu’une statue ou un tableau. C’est une danse totalement « contaminée » par une esthétique de l’art contemporain alors que la danse est en soi un propos. En osant filer la métaphore, le spectateur enfile les tableaux, sans plaisir, en attendant que cela finisse.

Jérôme : Je ne comprends pas pourquoi ce que tu appelles art contemporain devrait s’arrêter aux portes de la danse. Du reste il n’en a jamais été ainsi : le spectacle vivant a toujours fait appel à l’art de son temps pour habiller ses artistes et la scène. Le dispositif scénographique de Perrine Valli est d’ailleurs d’une sobriété exemplaire. J’aime cette simplicité. Enfin, au risque de paraître te reprendre point par point, les tableaux ne s’additionnent pas mais se succèdent bel et bien. L’adhésif sert de fil conducteur et marque une progression, un dévoilement. De même que l’on découvre peu à peu que les jumelles du début, unies par leurs postiches, sont deux femmes tout à fait différentes.

Il y a aussi cet homme absent, qui rappelle de manière frappante celui de Solides Lisboa (Eléonore Didier – les deux pièces se rejoignent d’ailleurs sur de très nombreux points, jusqu’à troubler ; nous y reviendrons peut-être), peut aussi bien incarner le client ou le compagnon idéal.


Guy : Je ne vois dans le rapprochement avec Solides Lisboa que des coïncidences. On peut trouver trois points communs: la table, la nudité, la lenteur… Pour commencer on voit beaucoup de tables (Cf In-Contro !) en ce moment de même qu’on voyait beaucoup de perruques l’an dernier.. Disons que c’est fortuit ! Ensuite : la nudité, son emploi était difficilement évitable compte tenu du sujet. Cette nudité est traitée avec maîtrise et pudeur, allusive, quand les deux femmes avancent du même pas, l’une l’ombre nue et cachée de l’autre. Quant à la lenteur elle me pose problème. La lenteur…Autant la lenteur me parait consubstantielle au projet d’Eléonore Didier, autant ici plutôt je la subis. Sans forcement pouvoir l’expliciter. Ce que tu appelles des mises au noir, je les ress
ens comme des blancs entre des passages signifiants, des interstices qui se sont pas forcement raccords. Trop longs ces moments consacrés à arracher les rubans, bouger la table, des moments hors de la danse. La même lenteur mais utilitaire et démonstrative qui m’a gêné chez Marcella Levi.

Je rejoins Pascal là-dessus: il y a beaucoup de matière, et parfois forte et évocatrice. Mais trop accumulée, l’articulation ne semble pas encore maîtrisée. La cohérence ne s’impose vraiment qu’assez tard dans le déroulement de la pièce.
Jérôme : Avec Solides, Liboa, il s’agit bien de coïncidence, et elle me frappe lorsqu’elle va jusqu’à ce point. Tu oublies la place de l’homme : dans les deux pièces, chorégraphiées par des femmes, il est réduit à un figurant sans visage. La table d’Eléonore et de Perrine n’est pas celle d’In Contro: chez l’une comme chez l’autre, on porte cette table et on se couche sur elle. Le bruit d’ambiance, capté dans la rue, revient également dans les deux pièces. Ici la nudité n’avait, à mon avis, rien d’obligatoire. Elle ne renvoie pas tant à la prostitution (qui n’est guère compatible avec la pudeur que tu soulignes) qu’à une façon de s’exprimer en tant que femme d’aujourd’hui. A mon sens, les nombreux points communs de ces deux pièces a priori tout à fait indépendantes livrent un témoignage concordant sur la sensibilité féminine contemporaine ; et elles sont très intéressantes à ce titre. Que signifie, chez ces jeunes femmes, cet homme absent ? Une attente, une revendication, une déception ? Je suis un homme, elles m’interpellent. Quant à la lenteur, elle m’a moins frappé que son caractère cérémoniel, presque religieux : une série d’actes convenus à l’avance est exécutée avec précision et en silence. La danse elle-même n’est pas lente. On peut inverser la hiérarchie que tu établis : pour moi, c’est la danse qui fonctionne comme interstice, ou plutôt intermède, de ce que tu nommes interstice, et que je considère au contraire comme la trame dramatique de la pièce. Nous sommes dans des procédés classiques du théâtre.

Pascal : Je n’ai jamais attendu de la danse qu’elle fasse une démonstration. Or, Perrine Valli raconte, démontre, va ici puis là, occupe la scène, le mur, la coulisse. C’est fatigant cette manière si démonstrative de concevoir l’art chorégraphique ! Le tout s’étire sans que l’on puisse à aucun moment se raccrocher à une émotion, à une image poétique, à un geste, un mouvement.

Guy: Il y a quand même des images auxquelles on peut se raccrocher !

Pascal: Tout est maîtrisé jusqu’à délimiter la scène de façon quasi obsessionnelle avec un adhésif pour ne produire que des cases. Il y a dans cette ?uvre un contrôle de l’imaginaire assez effrayant qui positionne le spectateur à devoir apprendre une esthétique sur un sujet sensible et tabou. Une façon assez élégante de signifier au spectateur que la danse peut faire aussi « ennuyeux » qu’un classique au théâtre ! Au fond : je pense que ce spectacle n’est pas destiné à un public de danse (il suffisait de l’observer pendant le spectacle !). Mais qu’est-ce qu’un public de danse ? Je ne sais pas. En fait, j’aurais bien vu cette ?uvre à la biennale de Lyon d’Art Contemporain ou à la documenta de Kassel.

Jérome : J’avoue que tu me vois perplexe. Objectivement, Perrine danse 50 % du temps… pour les 50 % restants, on peut appeler cela de la performance… est-ce si rare ou étranger à la danse contemporaine actuelle ? En un mot, je n’ai pas vu de spécificité particulière à la pièce de Perrine dans ce domaine. Aurais-tu dit du Paso doble de Nadj qu’il était envahi par l’art contemporain ?


Guy : Conclusions ?

Pascal : Et si cette ?uvre s’inscrivait dans une articulation avec d’autres arts (vidéo, photo, danse, musique)? C’est peut-être cette articulation qui me pose problème. Et à regarder les photos prises par Jérome, j’ai comme l’intuition qu’il est un des acteurs de cette pièce, en tant que photographe et blogueur! Perrine a réussi à lui faire épouser son propos…

Jérome: Nous aurions pu poursuivre sur cette question de l’art contemporain, et il avait  d’autres choses que je n’ai pas pu dire sur les thèmes abordés par la pièce. Ce qui est vrai, c’est que la photographie rapproche sans doute des danseurs. On suit leurs mouvements physiquement avec l’appareil photo. En regardant dans le viseur, la vision est plus resserrée, plus intime. On est aussi plus sensible, sans doute, à la beauté formelle. Maintenant, cela dépend quand même aussi de la pièce.

 

Au sujet de « Comme Une Fille enlève sa robe » de Perrine Valli, présenté à Mains d’Oeuvre dans le cadre du Festival Faits d’Hiver à Paris.

 

Echanges par courriels entre Pascal Bely, Le Tadorne et Jerome Delatour (Images de danse), et Guy Degeorges (Un Soir Ou Un Autre), postsynchronisés par Guy.


Photos de Jérôme Delatour.

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« Le bruit des os qui craquent » de Suzanne Lebeau : le débat.

Laurent : As-tu vu le spectacle “Le bruit des os qui craquent” de Suzanne Lebeau, mis en scène par Gervais Gaudreault? Le sujet traite des enfants-soldats, de leur déshumanisation, de leur transformation. À l’issue de la représentation au Théâtre de Cavaillon, j’étais très ému, sidéré à ne plus pouvoir parler. J’ai applaudi en hommage aux enfants-soldats, pour le texte simple et sans artifice de Suzanne Lebeau.

Pascal: J’ai vu ce spectacle au Théâtre du Jeu de Paume à Aix en Provence. C’est un théâtre de témoignage, qui s’appuie sur une « sensiblerie » habituellement utilisée par les médias sur des sujets humanitaires. C’est rapidement insupportable, car la mise en scène évacue la question politique, symbolisée par une commission d’enquête virtuelle. Ce n’est pas le texte qui interroge mais cette mise en scène « misérabiliste » qui laisse peu de place au corps (or, il est central chez les enfants soldats comme l’a démontré Benjamin Verdonck avec « Nine Finger » lors du Festival d’Avignon 2007.). Tout est suggéré par cette infirmière qui lit sur le côté de la scène, le cahier de l’enfant soldat devant les membres de la commission. Deux comédiens s’immiscent entre les chapitres pour jouer derrière un film transparent (Elikia, enfant-soldat enrôlé par les rebelles et Joseph, son petit prisonnier). Cette « médiation » plombe la mise en scène tant sur le fond que sur la forme. C’est un théâtre un peu dépassé. Je ne comprends pas d’où peut bien venir cette émotion dont tu parles.

Laurent : Le sujet même est sensible. Il est donc normal que cela s’appuie sur une “sensiblerie” qui te semble insupportable. Pour un jeune public, les mots de l’infirmière décrivant le quotidien des enfants soldats est une réalité. Cette sensiblerie, évacuant la question du politique et le retour des membres de la commission, me paraît cohérente puisque ce problème dépasse les politiques eux-mêmes (impuissants à apporter des solutions) et les rebelles qui se font une guerre sans nom, sans être inquiétés. Le premier rebelle à être traduit devant la Cour Pénale Internationale est Lubanga, en date du 26 janvier 2009. Concernant le “peu de place au corps”, je trouve que la force des mots employés renvoie au public des images assez fortes. L’enfant a besoin de peu pour imaginer beaucoup. Peut-être est-ce la limite d’un spectacle jeune public vu par des adultes ?

Par contre, à l’instar des deux comédiens (jeu quelque peu superficiel ou lourd), je me suis raccroché au ton toujours juste des propos d’Elikia par l’infirmière.

Pascal : La feuille de salle ne précise pas que c’est un spectacle jeune public. Cette oeuvre colle précisément au réel. Or, le théâtre est là pour dépasser la réalité, la transcender. Ici, on s’en remet au jeu de cette infirmière, derrière sa table et son micro, car les deux autres comédiens surjouent dans leur petit espace où les mots ne peuvent plus « s’étirer », « résonner ». Cette mise en scène claustrophobe est une injonction pour le spectateur à enfermer le scandale des « enfants soldats » dans ce huit clos. On raconte pour finalement dire quoi ? Où est notre responsabilité collective dans ce crime contre l’humanité ? Si ce théâtre se veut poétique, où en sont les ressorts? L’alternance « lecture – illustration », jeu binaire, finit par lasser. La metteur en scène Gervais Gaudreault est en totale résonance avec le propos et peine à se mettre à distance pour dynamiser une mise en scène quelque peu « bisounours » !

Laurent : La feuille de salle était une présentation de la compagnie “Le Carroussel”, qui se revendique militante pour le jeune public. Peut-être qu’elle n’a pas été donnée à Aix. Sinon, pour la scène nationale de Cavaillon, “Le bruit des os qui craquent” figure dans leur programmation jeune public. 

Le théâtre, lieu fantasmagorique, est pluriel. Effectivement, il est là pour dépasser la réalité, la transcender, mais également pour être un témoignage du réel. Dans un article du Monde, Michel Vinaver donne une définition de la fonction du théâtre: “déplacer un peu les spectateurs, de les décaler par rapport à là où ils sont calés, à leurs habitudes mentales, affectives.” Avec un sujet tel que les enfants-soldats, cette définition se prête véritablement.

Le traitement du sujet des enfants-soldats en passant uniquement par cette infirmière, enferme le spectateur dans son rapport, le verrouille, le cadenasse, lui tient la tête sous l’eau. Effectivement, en matière de claustrophobie, on ne peut pas faire mieux. Mais justement, la problématique du sujet est d’une telle ampleur que miser sur un huis clos s’avère être la seule issue pour faire la démonstration du manque d’actions entreprises par les hautes autorités. Suzanne Lebeau dénonce les citoyens désemparés face à ce massacre, comme l’est l’infirmière qui quitte la salle d’audience avec le cahier d’Elikia. Elle nous responsabilise en portant à notre connaissance ce scandale qui ne préoccupe pas le politique ; à nous d’agir par l’intermédiaire d’O.N.G. et autres actions à soutenir.

Au contraire de toi, l’alternance “lecture-illustration” ne m’a pas lassé, mais m’a permis de respirer un tout petit peu. Loin de voir une mise en scène “bisounours”, j’ai repris mon souffle pour replonger dans le réel des enfants-soldats.

Le Bruit des os qui craquent” s’avère être un théâtre du témoignage qui pose une réalité et en pointant du doigt la responsabilité des politiques.

Pascal : pour moi, cette mise en scène s’inspire du traitement humanitaire médiatique des causes « perdues ». Elle en utilise tous les ressorts et diffuse une irresponsabilité collective (citoyenne et politique). Ce « déjà vu » sur une scène est inquiétant.  Le théâtre de l’émotion est une opération de séduction envers le public et les programmateurs qui se donnent bonne conscience pour faire du théâtre « politique ». Or, je n’a
ttends pas d’être conforté dans mes émotions (oui, la question des enfants-soldats est scandaleuse, comment ne pas être d’accord avec cela) mais déplacé, bousculé, sur cette question globale. J’aurais préféré que  la mise en scène de Gervais Gaudreault démontre comment nous sommes tous des « enfants soldats » en puissance.


Echanges par courriels entre Pascal Bely (Le Tadorne) et Laurent Bourbousson.

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Au sujet de « Le bruit des os qui craquent» de Suzanne Lebeau joué à la Scène Nationale de Cavaillon et au Théâtre du jeu de Paume dans le cadre des Amis du Théâtre Populaire d’Aix en Provence, en janvier 2009.

 


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Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(2/3) !

Deuxième épisode de mon immersion dans le travail collectif du chorégraphe Michel Kelemenis. Lundi dernier, je l’avais laissé avec Caroline Blanc et Marianne Descamps alors qu’ils répétaient « viiiiite ». Leur trio circulaire fragile et déterminé m’avait ému par  leur engagement dans la relation créative. Aujourd’hui samedi, ils sont sept à occuper l’espace du troisième étage du Pavillon Noir d’Aix en Provence. La deuxième pièce, « Aléa» fait partie du tryptique («viiiite » et « Tatoo ») qui sera présentée dès le 29 janvier.

A mon arrivée, Caroline Blanc illumine à nouveau par sa présence tandis que Marianne Descamps semble si différente que je peine à la reconnaître. Que s’est-il donc passé? L’?uvre habite-t-elle a ce point les danseurs jusqu’à les métamorphoser, même en répétition ? Est-ce la force du collectif? Troublé, je les suis du regard pour entrer dans le groupe alors que je reconnais le danseur et chorégraphe Christian Ubl (actuellement à l’affiche du festival parisien « Faits d’Hiver » où il présente « Klap ! Klap ! »), celui-là même qui m’avait tant interpellé dans ma posture de spectateur l’an dernier. Le puzzle continue de se mettre en mouvement !

« Aléa» était à l’origine une pièce écrite pour quatre danseurs, lauréat des « Talents Danse » de l’Adami en 2005. Elle s’est élargie jusqu’à sept avec le collectif « Coline » à Istres (structure aujourd’hui injustement menacée), puis avec la Beijing Modern Dance Company. Très vite, je ressens que cette ?uvre travaille la dynamique collective tout en donnant à chacun la possibilité d’adopter une posture contenante à l’égard du groupe.

Le positionnement de Michel Kelemenis au cours de cette répétition semble épouser le propos si bien que le « management » du groupe est isomorphe avec le sens de l’?uvre . La figure de la tresse présente dans « Aléa » est d’une telle complexité qu’il faudra plus de trente minutes pour que chacun se calle. Michel entre, sort, va au centre, de côté. Il maille l’espace comme s’il tissait une toile pour que les danseurs travaillent en confiance. Il communique sur les processus (« il te faudrait avoir plus confiance », « que se passe-t-il chez vous pour que vous évitiez les tartignoles »), invite à la mise à distance avec humour (« quand Marianne commente ce qu’elle fait, elle ne sait pas ce qu’elle fait !»), alterne moments où il démontre la technique, s’attarde sur chacun d’entre eux, régule la dynamique, offre des espaces où des duos, trios répètent, intègre la vidéo, tout en ne perdant jamais le cadre contenant du groupe. Impressionnant ! Mais où va-t-il chercher une telle posture ? Où vont-ils puiser cette énergie, cet engagement, au risque de ne jamais s’arrêter pour souffler ? La technique d’animation de Michel est fascinante. Et si l’on proposait aux chorégraphes d’animer des sessions de management dans les Universités et les grandes écoles?

Une autre dynamique attire l’attention. C’est un mouvement à deux, à trois puis à sept où l’espace semble danser aussi ! Il provoque un débordement d’énergie: à la fois très technique, il fait travailler les processus de confiance, de reliance où le corps individuel épouse le corps du groupe, où le geste physique se fond dans le propos. L’apprentissage d’un langage dans le langage augmente la tension et l’intensité dramatique.

Arrive un bruit. Clac ! La peur. Caroline a bien failli se casser la mâchoire. Le danger, le risque du métier, là, devant moi. L’aurais-je oublié ? Elle sort quelques minutes pour entrer à nouveau. Olivier Clargé, Marianne Descamps, Gildas Diquero, Tuomas Lahti, Bastien Lefèvre et Christian Ubl semblent avoir intégré ce risque-là ; aucun signe de panique. Ils sont déterminés à poursuivre avec elle. Plus rassurant que jamais, le mouvement qui suit devient un baume.

Une télévision trône, tel un astre, où les danseurs s’agglutinent pour aller chercher le repère. Je m’amuse de les voir ainsi, imaginant la répétition comme une danse ! On commente devant la vidéo, on rit des autres danseurs filmés. C’est un tout petit espace de régulation, où l’on se régénère de cette position un peu haute. Puis, ils repartent essayer de nouveau, encore et encore.

Puis une pensée imagée me traverse : pour quoi la danse en 2009, là, avec la crise qui nous contraint par la peur ? Cela me plaît de les voir comme les bâtisseurs de nos futures cathédrales, alors que tout s’effondre et où la place vide, offre à la danse, le plus bel espace pour reconstruire nos imaginaires enfouis sous le poids de nos certitudes d’antan.

Pascal Bély

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A lire, le premier épisode: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of de “viiiiite”(1/4) !

Le troisième: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(3/3).

La générale: Michel Kelemenis, chorégraphe. 

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Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of de “viiiiite”(1/3) !

Le chorégraphe Michel Kelemenis est de nouveau sur ma route. En 2005 lors du feu Festival « Danse à Aix », ses « Aphorismes géométriques » changèrent radicalement mon regard sur la danse et mon écriture de spectateur. En novembre dernier, il accepta que j’assiste aux répétitions prévues au Centre Chorégraphique National d’Aix en Provence où il y présentera dès le 29 janvier, trois ?uvres écrites pour d’autres danseurs de sa compagnie (“Aléa“, “Viiiiite“, “Tattoo“). Pour eux, comme pour moi, le contexte génère une tension : il convient d’épouser une dynamique, un propos, pensé pour d’autres ; il s’agit d’écrire sur un processus d’avant plateau.

Le soleil illumine Aix en Provence et Michel Kelemenis m’accueille chaleureusement au 3e étage du Pavillon Noir. Il restitue à Caroline Blanc et Marianne Descamps le sens de ma démarche, celle d’un « spectateur engagé ». Trois ans après, les « aphorismes » nous relient toujours, au-delà de l’?uvre.  Me voilà donc assis, en observateur, tel un intru ou un voyeur qui assiste à quelque chose qu’il ne devrait pas voir. « La chose » comme l’expliquent les lacaniens m’impressionne. Je tremble intérieurement, intimidé.

A mon corps statique, répond l’énergie de leur engagement. Caroline Blanc connaît déjà le duo « viiiiite », alors que Marianne le découvre. Elle le dansera en mai prochain. Deux processus semblent s’entrechoquer : accueillir Marianne alors qu’elle n’a peut-être pas vécu le contexte particulier de cette création (écrite en urgence, en avril dernier à quelques mois de la fermeture du studio Kelemenis à Marseille), créer l’articulation entre les deux danseuses : cette autre urgence est palpable (elles ne s’arrêtent jamais). Michel parait travailler ce double processus en simultané alors qu’il dansera ce duo dès le 29 janvier.

Les deux femmes se connaissent : la « fragilité » de Marianne, leur présence au Pavillon Noir, semble recontextualiser la pièce et donner à la disparition du geste (c’est le propos de « viiiiite »), une autre apparition, celle de leur trio ! J’observe Marianne par identification (elle est l’ouverture), je m’accroche à Caroline pour aller chercher l’axe vertical tandis que je m’appuie sur Michel qui contient la tension de l’articulation.

Mon attention ne faiblit pas comme si je soutenais une partie du processus (mais laquelle ?), happé par l’émergence d’un « viiiiite » tendu. Ils sont « beaux » dans leur communication (je n’ai jamais vu cela entre professionnels, en France tout au moins) : confiance, empathie, accompagnement, qualification positive même dans l’erreur, sympathie, humour. Un processus d’accueil, une ouverture, une force se dégagent de cette répétition comme si « viiiiite » se déformait de son propos initial.

Il est 17h, déjà deux heures avec eux. Je pars, comme par effraction, « viiiiite », avec un geste d’au revoir, déjà disparu.

Pascal Bély

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A lire:

Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(2/3) !

Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(3/3).




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Bilan 2008 (4/4) : mon Facebook.

En 2008, j’ai fait de nouvelles rencontres, au croisement de l’internet, de ma posture de spectateur engagé et de chemins détournés. FaceBook a renforcé le réseau de blogueurs « Scènes 2.0 » après notre réunion du 11 octobre 2008, des liens se sont créés avec trois journalistes (Martine Silber, ex-journaliste critique au Monde), Marie Mai Corbel de la Revue Mouvement et Lionel Vicari de Radio Grenouille à Marseille. Des lecteurs assidus se sont manifestés (Sylvie Lefrère, Sylvain Pack, Evelyne Biausser, et tant d’autres) tandis que deux spectateurs ont écrit pour le Tadorne (Diane Fonsegrives, Laurent Bourbousson).

Certains lecteurs silencieux m’en ont dit un peu plus sur eux à partir d’un sondage lancé cet automne.

En 2008, Internet a facilité l’émergence de nouveaux liens, d’articulations innovantes où nos fonctionnements par « cases » ont souffert et ce n’est qu’un début. Démonstration !


1- La Vouivre, « Oups + opus », Festival de Marseille.

2- Robin Decourcy, « Lettre au Mexique », La Friche Belle de Mai, Marseille.

3- Thomas Ferrand, « Idiot cherche village », CCN de Montpellier.

4- Ivo Dimchev, “Lili Handel – blood, poetry and music from the white whore’s boudoir, Festival Tanz im August, Berlin.

5- Anaïs Durien, Olivia Sabra, « Essai de rêves avec Chiens », Festival « Les rencontres à l’échelle », Marseille.

6- Rebekah Rousi, “The longest lecture marathon“, KunstenFestivalDesArts, Bruxelles.

7- Haïm Adri, « Quelle est l’utilité d’une couverture », Festival « Les rencontres à l’échelle », Marseille.

8- François Cerventes, « Une île », Théâtre Massilia, Marseille.

9- Jacques Descordes, « Hiver », Festival Off d’Avignon.

10- Sylvain Groud, « Bataille intime », Pavillon Noir, Aix en Provence.


[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=3jrMMdjhsoc&w=425&h=344]

Etait-ce de la danse, du théâtre ? Le chorégraphe Michel Kéléménis les a accueillis dans son studio lors du Festival de Marseille. Samuel Faccioli et Bérengère Fournier de la Compagnie « La Vouivre » (vidéo) ont créé l’espace transversal de l’imaginaire. Rencontre inoubliable, car leur créativité a laissé des traces durables.

Robin Decourcy est un artiste au croisement du son, du corps et du voyage. Son spectacle “Lettre au Mexique » est indéfinissable et c’est de l’art. Vivant.

Tout comme la performance de Rebekah Rousi : avec sa plus longue présentation d’un PowerPoint du monde, elle a décalé la place statique du spectateur face au savoir pour leapropulser dans un métalangage.

Thomas Ferrand est un artiste « croisé » dont l’art se déploie dans un maillage où il entraîne le public. « Idiot cherche village » était une expérience qui dépassait bien des discours creux sur « la place du spectateur ».

Elles, c’est Anaïs Durien et Olivia Sabra. Découverte au festival « Les rencontres à l’échelle », leur pièce de théâtre (« Essai de rêves avec chiens ») était un subtil jeu de masques où le spectateur perdait sa place pendant qu’elles allaient à la chasse. Superbe !

François Cerventes est un homme de théâtre, installé en résidence à Marseille. Son « île » était un voyage masqué qui nous invitait à franchir la ligne. On n’en revient pas tout à fait pareil.

Lui aussi a tombé le masque, un soir d’été à Berlin. Ivo Dimchev est un artiste bulgare époustouflant. En offrant son sang au public, j’ai sursauté pour découvrir que « le genre » est aussi un « art » de vivre.

Haïm Adri possède une danse où le masque le chorégraphie. Entre lui et lui, il nous masquait. Inoubliable artiste.

Sylvain Groud avec « Bataille intime » danse la folie. Son double sur scène est un masque vivant qu’il a nous tendu. Prégnant.

Un soir d’été, dernier jour du Festival d’Avignon Off. Épuisé, j’assistais à « Hiver » de Jacques Descordes. Pièce dépouillée pour affronter la saison froide qui approchait. Cet homme-là m’a plu.

M’accepterait-il comme « ami » ?

Pascal Bély

www.festivalier.net

A lire aussi,

Bilan 2008 (1/5) : les dix chefs d'?uvre débordants du spectacle vivant.

Bilan 2008 (2/5) : Le top de la danse contemporaine !

Bilan 2008 (3/5): le théâtre fait sa crise.

Pour se souvenir, le bilan culturel de l’année 2007, 2006.

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Bilan 2008 (3/4): le théâtre fait sa crise.

En 2008, les metteurs en scène français ont salué l’anniversaire de la mort d’un auteur, sa naissance, les 40 ans de 1968, De Gaulle…Alors que le Festival d’Automne et d’Avignon programmaient le triptyque sur le pouvoir du flamand Guy Cassiers, notre théâtre hexagonal est resté bien silencieux sur le vacarme du monde et la crise des valeurs que nous traversons.

Seuls Joël Pommerat et son répertoire ont fait le tour de France des théâtres, servant de caution « politique » pour masquer la frilosité de certains programmateurs qui préfèrent maintenir leur public dans des schémas gauchisants dépassés plutôt que vers des paradigmes plus ouverts.

 

1- Thomas Ostermeier, « Hamlet », Festival d’Avignon.

2- Hubert Colas, « Chto, interdit au moins de 15 ans », Festival Actoral, Marseille.

3- Toshiki Okada, « Free time », KunstenFestivalDesArts, Bruxelles.

4- Beatriz Catani, « Finales », KunstenFestivalDesArts, Bruxelles.

5- Maarja Leena Junker , « Je suis Adolf Eichmann», Festival « Off » d’Avignon.

6- Alvis Hermanis, « Sonia », Festival d’Avignon.

7- Eva Doumbia, « ExilS4 », Théâtre des Bernardines, Marseille.

8- Joël Pommerat, « Pinocchio », « Je tremble (1) », Théâtre des Salins, Martigues / Théâtre du Merlan , Marseille.

9- Amir Reza Kootestani, « Quartet : A journey to north », KunstenFestivalDesArts, Bruxelles.

10- Arthur Nauziciel, « Ordet », Festival d’Avignon.


Thomas Ostermeier a provoqué la Cour d’Honneur d’Avignon avec un « Hamlet » (photo) suffocant, métaphore d’un système politique européen en totale déliquescence entre valeurs « bling-bling » et capitalisme finissant. Au festival Off d’Avignon, la presse française a quasiment ignoré la Luxembourgeoise Maarja Leena Junker qui, avec « Je suis Adolf Eichmann», a perturbé bon nombre de spectateurs en jouant avec les valeurs crétines de notre système médiatique. Eva Doubia avec « ExilS4 » démontra avec tact la crise identitaire de l’émigré d’aujourd’hui, du citoyen mondialisé de demain. Hubert Colas avec « CHTO, interdit au moins de 15 ans » fit résonner avec intelligence la voix d’une jeune tchétchène dans les rues de Marseille.

Hors de nos frontières, le théâtre a fait preuve de vivacité pour décrire notre époque et la crise des valeurs qui la ronge.  Amir Reza Kootestani avec « Quartet : A journey to North » nous plongea dans les paradoxes d’une société iranienne avec une mise en scène qui ne l’était pas moins. Le Létonien Alvis Hermanis, l’Argentine Béatriz Catani, le japonais Toshiki Okada ont, à partir d’un huit clos souvent étouffant, repéré avec justesse les limites d’un système familial et sociétal.

Mais pourquoi la société française est-elle à ce point absente de nos scènes ? Comment expliquer qu’un metteur en scène aussi talentueux qu’Arthur Nauziciel, partagé entre la France et les États-Unis, soit allé chercher comme réponse à notre crise un « Ordet », aussi beau soit-il ?

Je m’étonnais l’été dernier de la faiblesse du propos politique d’Avignon. En 2009, le théâtre pourra-t-il nous éclairer ?  À moins qu’il ne soit, lui aussi, en crise de représentation.

Pascal Bély

www.festivalier.net

A lire aussi,

Bilan 2008 (1/5) : les dix chefs d'?uvre débordants du spectacle vivant.

Bilan 2008 (2/5) : Le top de la danse contemporaine !

Bilan 2008 (4/5) : mon Facebook démasqué.

Pour se souvenir, le bilan culturel de l’année 2007, 2006.