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Ouverture de la saison des festivals : Acte 1.

La naissance d’un festival est souvent émouvante, surtout à Marseille, où le paysage culturel composé  d’îlots est loin de former un archipel. « Komm’n’act » est un drôle de nom et l’on ressent déjà sa filiation avec le « KunstenFestivalDesArts » de Bruxelles, manifestation pluridisciplinaire qui puise sa dynamique dans les ressorts d’un monde complexe. À Marseille, les apostrophes font office de liens tandis qu’à Bruxelles, la déclinaison linguistique de l’art en flamand et en français unit coûte que coûte. Marseille sera capitale européenne de la culture en 2013. Un pari qui nécessitera des ouvertures pour en finir avec les clans et le népotisme. Encourageons « Komm’n’act » comme un premier acte. Celui du renouveau.

On ne pouvait pas mieux commencer. Cinquante minutes de danse avec Doris Uhlich, jeune chorégraphe autrichienne. « Spitze » n’a rien de révolutionnaire ni dans le propos, ni dans la forme, mais sa programmation comme spectacle inaugural pose un acte (manqué ?). Trois danseurs y incarnent une histoire de la danse.

Il est jeune et exhibe un corps sculpté par la danse classique.

Elle est souvent assise, quelquefois danseuse et chanteuse d’opéra en play-back, un peu forte, chaussée de ballerines. Elle attend son heure. On l’a croirait échappée des Ballets C de la B du belge Alain Platel ou fille d’Isabella, célèbre héroïne du chorégraphe, plasticien et metteur en scène flamand Jan Lauwers.

Elle est plus âgée et n’a plus rien à prouver. Sûrement formée à la danse classique, elle occupe la scène sans fard (les bourrelets soutiennent un tutu noir boursouflant) et jette aux orties cette forme chorégraphique dépassée. Problème : elle ne sait plus très bien au profit de quel propos !

Ainsi, nos trois protagonistes s’amusent avec le mythe du ballet classique en l’incluant dans nos pratiques sociales quotidiennes (à croire que nous serions tous imprégnés de verticalité dans nos postures). Ils ne se gênent pas pour créer une connivence avec un public de danse contemporaine qui leur est acquis, en  jouant avec nos systèmes de représentation (les rires d’une salle composée majoritairement de professionnels de la culture l’attestent). « Spitze » est donc une ?uvre clivante, où l’interaction est un rapport de force, qui questionne à charge les codes du classique dont Doris Uhlich pense sûrement qu’ils contaminent notre regard. Elle n’a pas tort : l’expression « ce n’est pas de la danse » parce qu’il n’y a pas l’exhibition d’un corps en mouvement est largement répandue même parmi les spectateurs les plus ouverts aux courants artistiques pluridisciplinaires. La dernière scène où la danseuse « sans fard », soulagée de ses ballerines, chausse des bottines pour esquisser une chorégraphie « contemporaine » autoritaire et bruyante accentue le malaise. La danse classique en épousant nos codes « contemporains » développe une pensée verticale descendante comme si Doris Uhlich ne s’était pas débarrassée d’une vision linéaire pour proposer une reliance qui l’aurait sans doute conduite vers un propos.

« Spitze » ne métaphorise-t-il pas alors le projet de « Komm’n’act » : renouveler les formes au service d’une vision complexe et d’une relation circulaire qui permet de la promouvoir.

C’est avec cette ouverture en tête que j’accueille le lendemain, au Théâtre des Bernardines, la proposition de la Portugaise Ana Martins (« subterraneos do corpo »). Elle pose le corps comme une ?uvre d’art, musique contemporaine à l’appui. J’avais déjà fait part de mes réserves quand le corps sert un concept, au détriment d’un propos. Ici, trente minutes de visions où il se réduit à une masse complexe. C’est souvent beau. Vain, mais beau.

 

Trente minutes plus tard, en plein air, dans le minuscule espace des Bernardines, « Transmutation out of body expérience » de Benjamin Bodi. C’est souvent amusant. Vain, mais amusant.

Fin du premier acte. Komm’n’act.

Pascal Bély.

www.festivalier.net

 

“Spitze” de Doris Uhlich a été joué le 14 avril à la Minoterie.

« Transmutation out of body expérience » de Benjamin Bodi et « subterraneos do corpo » d’ Ana Martins  ont été joués le 15 avril au Théâtre des Bernardines.


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Sabine Tamisier joue sa « plus belle histoire d’amour ».

En entrant dans la salle, elle vous regarde pour ne perdre aucun spectateur de vue. Cette femme a l’écoute à fleur de peau. La scène est si petite qu’elle est quasiment acculée à ce mur sombre face à ce public si nombreux venu à Montevideo, espace de création contemporaine niché à Marseille. Nous l’envahissons comme si nous poussions la scène pour la réduire à une cellule de prison. Elle, c’est Sabine Tamisier. Sa robe rouge tranche avec la noirceur du lieu : « Casa nostra », monologue poétique sur l’amour, est à coup sûr un drame passionnel. Comment Héloïse peut-elle dire à Louis, qu’elle l’aime ? Comment Sabine peut-elle clamer au public, son amour du théâtre ?

Elle se lève, s’assoit, s’approche un peu, ne recule jamais. Elle joue avec les mots par le corps. Car Sabine Tamisier a le charisme d’une danseuse pour qui les mots sont mouvement.  Trois chaises (une à droite, au centre, à gauche) font office de points cardinaux pour tracer la voie de l’autonomie vis-à-vis de Louis, d’un chemin transversal pour surprendre son public. Avec Sabine Tamisier, le parcours de l’acteur est chaotique. J’ai peur pour elle. Je crains pour nous, car les mots vous prennent par surprise comme autant de lapsus qui nous feraient vaciller. Pendant quarante minutes, elle réussit à nous séduire, à nous énerver, à nous éloigner, puis à nous élever. Nous sommes Louis, elle est notre héroïne d’une société où la fragilité, l’hésitation ne sont pas encore marchandisées. À mesure qu’elle s’approche de son « Louis » pour se défaire des oripeaux de l’enfance, Sabine rejoint la tribu d’acteurs de Montevideo animée par le metteur en scène Hubert Colas. Je l’imagine déjà éponger le front d’un légionnaire incarné par Manuel Vallade dans « Mon képi blanc », « dont le corps transpirait tant comme autant d’émotions refrénées qui s’immiscaient dans le texte ». Je la ressens près de Claire Delaporte jouant une jeune femme tchétchène dans « Chto, interdit aux moins de quinze ans » où les mots épelés évitaient « soigneusement les élisions comme des balles qui passeraient au dessus de sa tête ».

«Ca ne me quitte pas ça tout en moi dans ma tête ça revient » disait Claire. Horreur de la guerre, tragédie du théâtre.

Bienvenue Sabine.

Pascal Bély

www.festivalier.net

 

“Casa Nostra” de et par Sabine Tamisier a été joué le 6 avril 2009 à Montévidéo à Marseille.

“Chto” et “Mon képi blanc” d’Hubert Colas seront à l’affiche du Festival d’Avignon en juillet 2009.

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François Chaignaud et Cecilia Bengolea, concepteurs cherchent chorégraphe.


François Chaignaud et Cecilia Bengolea sont appréciés du Théâtre du Merlan de Marseille. Trois de leurs créations y sont présentées en moins d’une semaine. Les honneurs d’une Scène Nationale sont au mieux un beau pari sur l’avenir, au pire une stratégie de communication où la forme prime sur le fond.  La première « Pâquerette » avait fait le plein d’audience à Berlin et Paris ainsi que sur les blogs de critique. Leurs « stratégies de pénétration » avaient pourtant provoqué un débat un peu mou parmi les spectateurs et la critique, faute d’un propos suffisamment fort et lisible. Même si « l’introduction d’un godemiché ne fait pas encore une danse », j’avais applaudi leur audace.

 

Leur deuxième proposition, « Sylphides », « pour adultes uniquement » (on se demande bien pourquoi), est un concept. Saluons le projet novateur de ce duo qui se nomme « concepteur » plutôt que « chorégraphe », pour « fabriquer » de la danse. Si les mots ont un sens, rendons hommage à cette autocritique.

Qu’attendre d’un concepteur si ce n’est qu’il nous propose des formes moins esthétisantes, porteuses de sens et de vision ? Or, « Sylphides » n’est qu’une très belle esthétique du corps. Difficile donc d’évoquer ce concept sans entrer dans une description un peu laborieuse. Ici, le corps est aérien puis perd toutes ses articulations, avant de devenir quasiment liquide. Par une étrange alchimie, il se transforme jusqu’à se métamorphoser en forme dansante sur un air de Madonna. L’ambiance est totalement mortifère (la série « Six feet under » aurait-elle inspiré ?) et l’on sourit lorsque nos trois danseurs, en état de larve, cherchent une issue de secours.  Le corps est dansé de l’intérieur, mais il ne véhicule que sa propre image. C’est elle qui fait sens et confère au propos une pauvreté déconcertante. J’observe une « recherche », je recherche une « poétique «  et me voilà positionné comme évaluateur d’un  concept (il en serait sûrement tout autrement dans un espace d’art contemporain). 

 

Conceptuellement, « Sylphides » se regarde, mais sa programmation par une Scène Nationale est en soi un aveu d’échec : le corps n’a donc plus rien à véhiculer ; la danse n’est plus un propos en soi.

Démission.

Pascal Bély

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« Sylphides» de Cecilia Bengolea et François Chaignaud a été joué le 4 avril 2009 au Théâtre du Merlan de Marseille.

Photo: ©Alain Monot.


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François Chaignaud sur le Tadorne:
Je ne suis pas un artiste

L’anus horribilis de Cecilia Bengolea et François Chaignaud.

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Le sexe recyclable de Pierre Meunier au Théâtre du Merlan.


Pour le Théâtre du Merlan, situé au nord de Marseille, « comment, entre refoulement et exhibitionnisme, représenter le sexe » ? Le théâtre, espace chaotique par excellence, pourrait donc s’emparer du sujet, pour proposer une troisième voie, « lever le voile » et « aller à la rencontre de l’imprésentable ». C’est à l’auteur et metteur en scène Pierre Meunier avec « Sexamor » que revient la responsabilité de répondre aux programmateurs du Merlan lors d’un cycle sur le sexe (sic).  Leur créativité est sans limites pour attirer vers eux les spectateurs déboussolés du centre-ville de Marseille et le cas échéant, ceux des quartiers nord dont on se demande s’ils n’ont pas déserté l’endroit. Le sujet, vu sous cet angle, ne relie pas les habitants de la ville…

Pierre Meunier se tient debout, entouré de poids suspendus avec lesquels il fait tanguer ses mots. Il clame tel un navigateur et part vers sa « destinée ». Métaphore d’un spectacle qui aura bien du mal à se délester de ses lourdeurs comme en témoigne l’arrivée sur scène de la promise (Nadège Prugnard). Emprisonnée dans une bulle (symbole du préservatif ?) suspendue et actionnée par deux machinistes, la scène n’en finit pas et le sens se dilue dans les contractions du plastique. Poussif.

Les voilà maintenant réunis pour vivre une série d’épreuves, de parcours d’obstacles où l’on navigue entre fête foraine, concours Lépine pour stimuler l’amour, séances sado-maso (autant mettre à contribution l’univers mécanique du plateau et les machinistes). Les textes sont souvent de toute beauté, où les mots jonglent, étourdissent et projettent le spectateur sur l’aire de jeux du fantasme amoureux. Mais, la poésie se perd dans cette scénographie envahie d’objets mécaniques, où l’un est toujours à la commande pendant que l’autre s’exécute. Le sexe est effleuré, bien souvent cantonné au dilemme posé par le Merlan donc rarement transcendé. La relation ne prend pas corps comme s’ils jouaient côte à côte. Cela devient puéril, sans beaucoup d’intensité dramatique, où la scène est un espace de démonstration plus que d’interpellation. Certes, on ne se décourage jamais. On attend juste d’en finir d’être observateur.

Le propos, si conformiste, serait-il à l’image d’un pays qui s’ennuie, même au lit ?

Pascal Bély – www.festivalier.net

A voir le reportage de France 3 sur CultureBox.

“Sexamor” de Pierre Meunier a été joué du 1er avril au 3 avril 2009 au Théâtre du Merlan de Marseille.

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600ème article sur le Tadorne: “Un hiver bouleversant”.

2009 a commencé sur le blog par le bilan culturel 2008. Vous avez apprécié celui consacré à la danse contemporaine.  Je m’étonne toujours de pouvoir relier les ?uvres, preuve que le spectacle vivant n’est constitué que de passerelles.

Démonstration.

Dynamiser les liens entre le blog, les spectateurs et les artistes.

  Le chorégraphe Michel Kelemenis a accepté ma présence aux répétitions d’ « Aléa » et de « viiiiite ». Cette expérience a renforcé mon écoute et élargit mon regard sur la danse. Je suis prêt à poursuivre ce travail. Quel artiste serait candidat pour prolonger?

Autre ouverture, grâce au débat. Celui autour du« bruit des os qui craquent » de Suzanne Lebeau avec Laurent Bourbousson, un des contributeurs du blog (il participe également à un processus de création au Ring, théâtre en Avignon).

Plaisir renouvelé avec deux blogueurs (« Un soir ou un autre », « Images de danse ») grâce à la chorégraphe Perinne Valli. Cette forme ouvre, renforce, dynamise la « critique ». Les artistes et les lecteurs semblent adhérer. Qui serait candidat pour poursuivre ?

Un autre projet pour le blog.

  Le metteur en scène David Bobée avec « Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue » m’a bouleversé. Avec Elsa Gomis, nous avons mis en résonance cette ?uvre avec d’autres jusqu’à réécrire le projet du blog qui nous conduira cet été au festival « Mens alors ! » et à couvrir autrement le Festival d’Avignon (le programme est décrypté ici). J’ai compris qu’il fallait élargir le positionnement du blogueur en écrivant au-delà de la scène, en s’ouvrant différemment aux institutions culturelles. Certaines commencent à réagir. Tout est à construire… en marchant. La chorégraphe Mathilde Monnier semble être dans la même démarche. Qui d’autre ?


De la tension dans les salles.

  La tension est palpable dans les salles. Certains spectateurs sont impatients et peinent à prendre le temps de se poser tandis que quelques théâtres sont déboussolés en l’absence d’un projet global. Le chorégraphe Alain Buffard en a payé les frais au Théâtre du Merlan à Marseille. Il en faudrait un peu plus pour décourager Maguy Marin. Avec « Turba », elle a provoqué quelques remous. Bouleversant. La chorégraphe Nacera Belaza pertube aussi les salles avec “le cri“. Il y a de quoi. Le metteur en scène japonais Oriza Hirata avec « Sables et soldats » projette les spectateurs dans un autre espace. Beaucoup résistent. Pas moi. Mais j’ai ressenti parfois le besoin de me sentir moins sur « la brèche ». Le collectif « ildi !eldi » avec « Vice-versa » m’y a joliment aidé tandis que la belle troupe d’étudiants – acteurs de l’Université de Provence m’a enchanté avec « personne ne voit la vidéo » de Martin Crimp dans une mise en scène de Nanouk Broche. Quant à Kettly Noël, sa « correspondance » fut une danse d’actrices. Inoubliable. Dans ce contexte, on a déjà oublié « Evelyne », star déchue de la compagnie marseillaise, « La Zouze » tandis que le festival chorégraphique des Hivernales en Avignon s’est perdu dans l’étrangeté de sa thématique. Reste Pierre Rigal avec “Press » qui nous a gentiment mis la pression, mais dont le propos aurait pu nous épargner le consensus.

Le printemps s’annonce riche : un festival à suivre à Marseille (Komm’n’act), un festival de danse brésilienne à Berlin en avril, le KunstenFestivaldesArts à Bruxelles en mai, Uzès Danse et Montpellier Danse en juin. Entre temps, des projets avec le Théâtre des Salins à Martigues et des liens à venir avec d’autres institutions. Pendant ce temps, Pascal Bély, le consultant en conduite du changement auprès des services publics ,crée des ponts avec son blog, le « Tadorne ».

Des « pontdornes ». Joli nom pour une passerelle ?

Pascal Bély – www.festivalier.net

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Le spectateur suspendu dans « Sables et soldats » d’Oriza Hirata.

On ose à peine applaudir. Le public quitte peu à peu les gradins pendant que les artistes entrent et sortent de scène, en rejouant inlassablement leur traversée du désert. Alors qu’un message écrit en haut d’un mur, nous informe que « la représentation est finie » et nous souhaite de « bien rentrer », nous sommes une dizaine de spectateurs à ne plus vouloir partir. Il plane un doute et me revient la phrase de Samuel Beckett dans « Fin de partie »: «Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir». À ce moment précis, le théâtre est intemporel et flotte une atmosphère enveloppante d’apocalypse avec ce sentiment étrange qu’un autre monde est peut-être possible, qu’un « autre soi » est en marche.  Avec « Sables et soldats » créé au Théâtre2Gennevilliers, Oriza Hirata nous convie dans un espace paradoxal où le sable mouvant posé sur une scène suspendue par des cordes s’inscrit dans une mise en scène répétitive : tout change, mais rien ne change. C’est dans ce paradoxe qu’Hirata puise l’extraordinaire force poétique de cette ?uvre qui voit la rencontre improbable, en plein désert, de civils et de militaires où le sable fait vaciller notre civilisation qui ne sait plus très bien où elle va, où ce sable est le territoire vivant de notre inconscient individuel et collectif en période de « bataille intime ».


C’est une guerre entre soldats français et l’ennemi où se croisent un couple français de jeunes mariés en voyage de noces, une femme à la recherche d’un mari soldat disparu, d’un père et sa fille à la poursuite d’une mère qui s’est enfuie. Autant de destins qui s’enchevêtrent, où le rôle de l’un pourrait se jouer dans la vie de l’autre. Si bien que le spectateur n’observe pas. Il s’immisce dans les articulations, les contraires, les paradoxes grâce à son écoute: entre une guerre globale et le chaos le plus intime, entre le bruit des balles médiatiques et des armes silencieuses parfois enfouies comme des vestiges archéologiques, entre mouvement linéaire des acteurs et perte du sens de l’orientation, entre une France en guerre et ses soldats qui « ne font que marcher » (allusion aux valeurs universelles de paix que Sarkozy piétine ?).

Cette scène est sublime, car s’y joue une part de nous-mêmes dans une guerre « mondialisée »: on n’y évoque que l’amour, l’enfance, l’autre – soi disparu. Chacun semble chercher l’objet perdu, la quête d’un idéal, la part de soi enfoui par une histoire qui n’est pas la sienne.

Cette ?uvre finit donc par cheminer intérieurement. Elle n’intimide pas. Elle donne la vie. Elle est un espace de liberté qui fait de vous un spectateur – écoutant, un sujet, à la fois fragile et fort car respecté.

« Sables et soldats » d’Oriza Hirata est une oeuvre qui s’étire en longueur parce que nous sommes parfois un peu courts. Elle s’inscrit dans la temporalité de l’humanité qui la hisse au rang d’un chef d’?uvre théâtral intemporel.

Pascal Bély

www.festivalier.net

“Sables et Soldats” d’Horiza Hirata est joué jusqu’au 11 avril 2009 au Théâtre2Gennevilliers.

Photo: : pierregrosbois.net


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Oriza Hirata sur le Tadorne:
Rencontrer Oriza Hirata.

Au Festival d’Avignon, Fréderic Fisbach rend les gens de Séoul ennuyeux.


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Correspondances (Nadia Beugré, Kettly Noël, François Bergoin).

Pour Louis Jouvet, il faut une dose de vanité pour oser monter sur scène et une autre pour y rester : « Le renoncement de soi pour l’avancement de soi-même ». Trois ?uvres m’ont permis de ressentir ce dépassement de soi, ce qui échappe à l’acteur et confère à l’art ce « je ne sais quoi » d’indispensable pour donner du sens à la vie.

Le Théâtre du Merlan à Marseille nous a donné rendez-vous pour deux propositions. La première est un solo de trente minutes, « un espace vide : moi », de la chorégraphe et interprète ivoirienne Nadia Beugré.  Le titre surprend par sa formulation paradoxale. Je suis au premier rang ; la scène paraît si immense qu’elle est délimitée par quelques roses plantées dans des pots. Est-ce un cimetière, un jardin, les deux ? Nadia soufre. Son corps courbé se relève parfois, mais ses mots, sa plainte, sont étouffés. Un musicien l’accompagne, mais elle est seule dans cette introspection. Sa danse semble être un rituel de passage pris dans un entre-deux, dans lequel elle nous maintient à (bonne?) distance. Son corps imposant, se perd, se cache, s’ouvre à nouveau. Elle danse le « je » et le « nous », porte-parole des femmes d’Afrique. C’est la danse d’une femme qui souffre dans un « espace vide » que notre présence ne comble pas. Passivité du spectateur face à une artiste dont on souhaite le dépassement du « soi » dans un collectif divers et coloré pour inscrire son art dans une transmission porteuse d’ouverture.

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=cR7qHosU8_k&w=425&h=344]

Une heure plus tard, la chorégraphe Kettly Noël (haïtienne, elle vit et travaille à Bamako) nous propose avec Nelisiwe Xaba, « Correspondances », duo décapant où s’enchevêtre le burlesque (Laurel et Hardy rôdent sur scène) avec une tragédie des temps modernes où la relation de pouvoir régule leur animalité, leurs pulsions de guerrières. Ces deux femmes ont appris à se connaître par correspondance, en couchant sur le papier bien des mots, pour les chorégraphier ensuite. La scène est cet espace où elles se déshabillent (au sens propre comme au figuré), où elles multiplient les contextes pour complexifier leur identité et leur relation. Ainsi, la femme de pouvoir déterminée devient fragile et leur duo fait émerger le mythe de Marylin Monroe. Puis la danseuse se piège dans les filets de la chorégraphe ou de la musique d’une boîte de nuit : moments subtils tandis que la femme se moule dans le corps et les mots de l’autre.  Leur rencontre les fait renoncer à leurs postures égo-centrées et révéle la figure de l’acteur dans laquelle nous projetons nos peurs, nos désirs et nos fantasmes. La danse peut alors véhiculer ce langage intrapsychique qui nous relie à elles. C’est ainsi que la dernière scène nous propulse tel un retour aux sources, à la recherche de l’objet perdu de l’enfance.  A moins que cela ne soit l’origine du monde ? Sublime.


Le couple, toujours lui. Le service culturel de la ville de Gardanne nous a réservé une bien jolie surprise en programmant « Occident » d’après Rémi de Vos, mise en scène et joué par François Bergoin avec Catherine Graziani. Pièce à la noirceur décapante qui voit un couple tout à la fois se déchirer, maintenir l’équilibre précaire de leur relation de pouvoir, dans un contexte social et politique qui exclut la différence. C’est un théâtre où l’acteur s’accroche aux mots de Rémi de Vos telle une bouée de secours alors qu’il tangue, danse, sur  un plateau fait de matelas mousse. La mise en scène accentue les injonctions paradoxales qui minent et nourrissent le couple (« si tu m’aimes, ne m’aime pas ») en multipliant les espaces par l’utilisation intelligente de la vidéo et des parois amovibles du décor.

« Occident » est un hymne à la complexité, au refus du réductionnisme. Un hommage à l’acteur qui renonce au “je” au prix d’un jeu sans cesse déstabilisé par les mots, le bruit sourd du chaos et les rires nerveux du public. La puissance d’« Occident » est de propulser l’acteur et le spectateur dans un espace d’où l’ont peut voir le jeu et donner à chacun la force d’en modifier certaines règles.

Envahissons les théâtres. Renonçons. Avançons.

Pascal Bély

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“Un espace vide: moi” et “Correspondances” de Kettly Noël et Nelisiwe Xaba ont été joués le 8 mars au Théâtre du Merlan à Marseille;

“Occident” de Rémi De Vos par la Compagnie Théâtre Alibi (Bastia) a été joué le 6 mars 2009 à la Maison du Peuple de Gardanne. Cette pièce sera reprise au Festival Off d’Avignon à la Manufacture.

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Crise à l’Université: le Making of, par Nanouk Broche et Martin Crimp.

Ils sont 23 comédiens des cursus théâtre de l’Université de Provence. Ce soir, ils occupent la scène du Théâtre Antoine Vitez, les coulisses, les gradins. Les spectateurs sont cernés, encerclés, contenus, presque choyés. Ces jeunes nous ont à l’?il, mais avec bienveillance ! Le plateau est une esplanade d’où se dégage une fraternité qui réchauffe. Pas de rideau ici : les comédiens sont aussi machinistes, spect’acteurs silencieux et “observateurs – metteurs en scène”. Ils sont enthousiastes, manifestement heureux d’habiter la scène. Ce sont de beaux conquérants. Ils sont notre avenir de spectateur et de citoyen. Ils sont ma base, mes racines, mes espoirs.


Entre enseignement et direction d’acteurs, la metteuse en scène Nanouk Broche réussit à créer des ouvertures pour eux (que de belles individualités) mais aussi pour nous. « Personne ne voit la vidéo » de Martin Crimp (dénonciation de la société britannique, contaminée par l’idéologie néolibérale de Thatcher) multiplie différents espaces où les jeux sur scène s’articulent avec le montage de la pièce à l’image d’un « making of ». Cette trouvaille, loin d’être un gadget, est la réponse du « théâtre » à l’envahissement des valeurs de la sphère financière et marchande dans les liens interpersonnels (jetez un coup d’?il sur les sites de rencontres sur internet où l’on se vend avec le même vocabulaire que celui du management et du marketing). En proposant d’inclure métaphoriquement le « montage » sur scène, elle permet au groupe de jouer sa partition silencieuse, de projeter le texte de Grimp dans l’espace collectif où nous sommes inclus. La présence immobile de certains comédiens n’est pas sans rappeler les expressions artistiques urbaines actuelles telles que le « freeze » où les citoyens provoquent un happening dans l’espace public.

Cette mise en scène vous absorbe, fait de nous un voyeur (l’une des valeurs de nos sociétés « transparentes ») et nous conduit à « travailler », à ne pas se laisser envahir par  (les) l’accessoire(s), à revenir aux corps et aux mots, à reprendre place sur le terrain politique par le théâtre. Alors qu’une actrice « pilier de bar » joue avec l’accent de Jean-Claude Gaudin (délicieux), je fais le lien avec la pensée politique locale qui paralyse l’innovation et la visée.

A l’image d’un jeu de pistes, le spectateur circule pour chercher le sens, comme si nous n’avions pas le choix. Pendant deux heures, la tension ne baisse jamais, car Nanouk Broche véhicule de belles valeurs alors que Crimp donne à entendre la dégénérescence du lien social et amoureux. L’Université porte ce soir des valeurs d’avenir: loin de l’individualisme (un rôle est joué par plusieurs comédiens), rejet de la réduction (la scène est ouverte), utilisation de la technologie au service du sens et de l’humain (beau moment alors que deux acteurs soulèvent à bout de bras un tableau blanc où se projette la vidéo d’un visage, telle une peinture postmoderne).  

Lors du salut final, je me prends à rêver d’envahir la scène pour une fête dont les clameurs rejoindraient les chants guadeloupéens et s’inscriraient dans le manifeste poétique d’Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau.

Pas de doute, le théâtre est « un produit de haute nécessité ».

Pascal Bély

www.festivalier.net


Cela ne peut signifier qu’une chose :

non pas qu’il n’y a pas de route pour en sortir,

mais que l’heure est venue d’abandonner toutes les vieilles routes.

Aimé Césaire.

Lettre à Maurice Thorez.

“Personne de voit la vidéo” de Martin Crimp (making of) par Nanouk Broche est joué judsqu’au 7 mars 2009 au Théâtre Antoine Vitez d’Aix en Provence, à l’Université de Provence.

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Aux Hivernales d’Avignon, la danse contemporaine fut.

Rarement un festival m’a positionné dans un espace aussi inconfortable qui coupe la parole, sidère, écarte, isole. J’ai cherché sa dynamique, mais ne reste que des images d’une galerie d’art contemporain où la danse, faute d’en être le commissaire, ne fut qu’un faire – valoir! Le thème de l’étrange choisi par « les Hivernales » d’Avignon pour décliner sa programmation n’a pas facilité les processus d’ouverture, instrumentalisant la danse dans des champs pluridisciplinaires à défaut de l’enrichir. Pour chaque proposition, je me suis souvent contenté d’observer une dynamique qui se jouait en dehors de mes affects, de tout contexte sociétal à croire que la danse n’aurait donc rien à nous dire en ces temps perturbés ! J’ai plusieurs fois eu la sensation de me trouver dans un espace d’art contemporain, en décalage avec ma place de spectateur assis, accentuant la distance entre le propos, la dynamique de scène et la salle.

Avec Joseph Nadj dans « Entracte, j’ai additionné les images, les propositions à un rythme si effréné que j’en ai perdu le sens. La danse n’a qu’un espace réduit pour s’articuler avec l’orchestre de jazz et les nombreuses formes métaphoriques issues de l’imaginaire florissant de Nadj. Au final, la danse s’est appauvrie, victime de la saturation. Incontestablement, l’expérience de Joseph Nadj avec le peintre Miquel Barcelo lors du festival d’Avignon 2006 a laissé des traces, l’orientant vers la performance. La scène est-elle alors l’espace le plus approprié ? 

La chorégraphe, interprète et plasticienne Anna Ventura nous a proposé une relecture du Faune à partir de la mise en scène des différents textes de Mallarmé et en s’appuyant sur une proposition plastique (une petite scène de glace) pour nous emmener dans un univers tout à la fois poétique et chorégraphique. Je n’en suis resté qu’à la forme. Ici aussi, l’articulation entre l’?uvre plastique et la scène ne développe pas suffisamment d’espace pour être touché. La performance fige le regard sur ce bloc de glace, le conduit à observer bien plus l’artiste à l’?uvre que l’?uvre elle-même. La danse ne joue pas sa fonction de catalyseur, car sa gestuelle plastique finit elle aussi par saturer un imaginaire finalement peu stimulé.


[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=7ZrKWrwmHtI&w=425&h=344]

Saturation aussi avec « Black !…White ? » de la chorégraphe sud-africaine Nelisiwe Xaba qui croise danse, animation vidéo et stylisme pour explorer les stéréotypes raciaux et sociaux. Une heure pour observer statiquement et de loin  une proposition où l’on filme la danse, où les corps entrent en symétrie avec les objets, réduisant un propos complexe à une ligne de démarcation entre le noir et le blanc. Complètement décalé.

mr zero

Le seul à avoir réussi l’inscription de la danse dans un champ pluridisciplinaire est Alexandre Castres avec « Monsieur Zéro, famous when dead ? ». En questionnant l’image de sa mort à partir d’un personnage de théâtre, il parvient là où tant d’autres ne ce sont pas aventuré : nous inclure, nous parler. Ici, un homme danse avec des objets comme prolongement et non comme une fin en soit. Mais le voyage, manifestement trop court, semble s’être abîmé sur une petite scène inappropriée au propos. Pourquoi si peu ?


Pourquoi tant, serais-je tenté de demandé à Thomas Lebrun ? Pourtant, point d’objets ici à part quelques cravates (joliment alignées pour former la robe de monsieur) et des masques. « Switch » aurait pu être une proposition intéressante sur la notion d’identité, décrite avec pudeur et parfois panache par quatre danseurs. Alors que le masque de soi est porté par d’autres, on se débat avec cette danse qui nous perd. Thomas Lebrun s’engage tant dans son propos qu’il semble ne plus se préoccuper de nous donner des repères. L’homme « masqué » danse et finit par devenir étrange. Étranger. Danse hivernale ?

Pascal Bély

www.festivalier.net


“Les hivernales” en Avignon du 19 au 28 février 2009.

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A lire sur les Hivernales 2009: Aux Hivernales d’Avignon, étrange spectateur.

Alexandre Castres à Uzès Danse.

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EN COURS DE REFORMATAGE

L’étonnante génuflexion de « Vice-Versa ».

Le bonheur est total.

Cela n’a coûté que quelques euros pour un moment unique de théâtre décomplexé et complexe, respectueux, drôle, intelligent, créatif, accessible, ouvert, communiquant, contagieux, stimulant.

Quelques euros pour une table, une lampe au plafond qui monte et descend comme le jouet d’un enfant, deux comédiens échappés d’un film de Woody Allen, une « actrice – metteuse en scène » qui se délecte de brouiller les genres et la vue du spectateur, aidée par des projecteurs de chaque côté, pour plateau de télévision ou de cinéma c’est au choix , selon votre humeur. Cela ne dure que 45 minutes, car le temps ici n’est plus un repère. Cela dépasse effectivement toutes les bornes.

Quelques euros  et c’est à Montévidéo, institution marseillaise positionnée autour des écritures contemporaines.

« Vice – Versa » : tout est dans ce titre jubilatoire du roman de l’écrivain britannique Will Self où il est question d’un rugbyman qui se découvre un vagin dans la cuisse.

« ildi !eldi » : tout est dans le nom de cette compagnie, dans ce ping-pong de corps exclamés, articulés aux mots, où la ponctuation (symbolisée par des arrêts sur images lors des jeux d’acteurs) est une respiration pour repartir à nouveau vers cette intrigue inextricable !

Il y a dans cette mise en scène une créativité propre à cette génération de trentenaire, qui ose arborer le T-shirt avec le logo de la compagnie en lieu et place du célèbre “Che“, qui intègre les codes de la culture internet et de la télévision tout en veillant toujours à ce que le théâtre ait le dernier mot !

« Vice – Versa », c’est une relation qui se tend et se détend tel un élastique entre un patient et son médecin, et qui finit par vous toucher là où cela fait mal mais avec respect et proximité. Ces trois-là ne jouent pas de haut, mais à côté du spectateur tout en gardant la bonne distance qui sied aux acteurs affranchis.

Et l’on se surprend d’être heureux au théâtre, apaisé de ressentir tout à la fois le travail de chacun d’entre eux (Sophie Cattani, François Sabourin et Antoine Oppenheim) et leur dynamique fraternelle dont on a trop vite oublié qu’elle aide à partir au combat.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“VICE – VERSA” de Will Self par le collectif Ildi! eldi a été joué du 17 au 25 février 2009 à Montévidéo à Marseille.

En tournée:
Les 27 et 28 mars à la ferme du buisson (Noisiel)
Les 2-3 et 4 avril la rose des vents (Villeneuve d’Asque)
Du 14 mai au 6 juin au théâtre de la cité internationale (Paris)
Les 13 et 14 juin à l’hippodrome (Douai)
et pour un nouveau projet en collaboration avec Dan Safer aux Subsistances (Lyon) les 23-24-25 et 26 avril

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