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Au Festival d’Avignon, «Faut qu’on parle!»…plus fort.

Hamid Ben Mahi est un danseur de hip – hop. Né en 1973, il a vécu pendant dix ans dans la cité des Aubiers à Bordeaux. Associé au metteur en scène Guy Alloucherie, il nous propose, à partir de sa vie, une tranche d’histoire contemporaine. Sur la petite scène de la Chapelle des Pénitents Blancs, un écran vidéo trône au milieu d’un mobilier des années soixante-dix. Je reconnais certains meubles de mon enfance et je ressens d’emblée une proximité avec cet artiste issu de la classe ouvrière. Il nous parle de sa vie, de son voyage en Algérie avec Guy Alloucherie pour revoir son père qu’il n’a pas vu depuis plus de vingt ans. Il danse sa rage, sa soif de rechercher le fin mot de l’histoire (pourquoi ses parents sont-ils venus en France ?). Il ponctue son cheminement de faits racistes dont sa famille et lui-même ont été les victimes. « Faut qu’on parle !» entre de plein fouet avec le contexte actuel, où la France a l’image d’un pays raciste, bien loin de la patrie des droits de l’homme qu’elle s’évertue encore à faire croire.
C’est une pièce émouvante car je connais la valeur d’une parole qui se libère. Pour toute une génération d’enfants d’immigrés, cette parole résonne peu ou violemment et nous avons du mal à reconnaître notre rôle dans cette histoire complexe. On sous-estime dans ce pays les pathologies issues de ce déni (Ben Mahi les évoque dans son spectacle). Il nous donne une leçon de psychologie clinique : nier l’autre dans son existence revient à le positionner comme un objet. En reliant sa danse au théâtre, Hamid Bel Mahi devient sujet. Il s’expose. Être danseur de hip – hop ne suffisait peut-être plus. Face à nous, le comédien naît au même titre que le sujet.
En s’associant avec Guy Alloucherie, cette démarche artistique dépasse le témoignage : en effet, il s’agit de nous interpeller, de nous toucher. Cette parole libère tout autant le danseur que nous-mêmes. De l’entendre, je me sens dégagé d’un poids, prêt à écouter l’Histoire, leurs histoires. Malgré tout, le fait que cette pièce soit jouée dans le plus petit lieu du Festival n’est pas sans poser question : cela ne métaphorise-t-il pas la place du Hip – Hop dans la culture Française, l’enfermement du théâtre social qui dénonce plus qu’il ne propose, et la timidité d’un Festival qui a du mal à introspecter la société Française ?
Magré tout, je quitte la Chapelle des Penitents blancs, ému, touché. Je sais que nos histoires sont liées, que cet homme a de l’avenir. « Faut qu’on parle ! » crée du lien. Ce n’est pas si mal dans une société que certains voudraient cloisonnée pour mieux la contrôler.

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Par thématiques, les articles du Festival d’Avignon:
"Les sublimes"
"Le théâtre des maux"
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"Les mondes enfermants"
"Les hors-jeu"

Le palmarés du Tadorne du Festival d’Avignon:

"VSPRS"
d’Alain Platel.
"Paso Doble" de Josef Nadj et Miquel Barcelo.
"Combat de nègre et de chiens" de Koltès par Arthur Nauzyciel.
"Au monde" de Joël Pommerat.
"Human" de Christophe Huysman.
"Rouge décanté" de Guy Cassiers.

"Faut qu’on parle!" d’Hamid Ben Mahi et Guy Alloucherie, "Sizwe Banzi est mort" de Peter Brook, "Récits de juin" de Pippo Delbono et "Pour tout l’or du monde" d’Olivier Dubois.

"La tour de la défense" et "Les poulets n’ont pas de chaises" de Copi par Marcial Di Fonzo Bo.
"Les marchands" de Joël Pommerat.

"Chaise", "Si ce n’est toi" et "Le numéro d’équilibre" d’Edward Bond.
"Les barbares" d’Eric Lacascade.
"Pluie d’été à Hiroschima" d’Eric Vigner.

"Asobu" de Josef Nadj.
"Mnemopark" de Stefan Kaegi.
"La poursuite du vent" par Jan Lauwers.
"Battuta" de Bartabas.
"Mondes, Monde" de Frank Micheletti.
"Journal d’inquiétude" de Thierry Baë.
"Depuis hier. 4 habitants" de Michel Laubu.

"La course au désastre" de Christophe Huysman.
"Gens de Séoul" de Frédéric Fisbach.


En bons derniers…
"Sans retour"
de François Verret
"Mozart et Salieri"
et "Iliade Chant XXIII" par Anatoli Vassiliev.
"Ecrits de Jean Vilar" par Olivier Py.

"Le bazar du Homard"
par Jan Lauwers.

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Au Festival d’Avignon, « Asobu » de Josef Nadj m’’a perdu.

J'attendais ce rendez-vous depuis si longtemps. L'univers du chorégraphe Josef Nadj fut une découverte il y a quelques années au Festival d'Avignon. L'an dernier, « Last Lanscape » et « Comédia tempo » m'avaient transporté dans un autre monde. Il a le talent incroyable de déconstruire pour reconstruire une nouvelle réalité.
« Asobu » au Palais des Papes est donc l’un des événements de la 60ème édition du Festival d’Avignon.
À la sortie, je suis vide. Rien ne vient, aucune image en particulier. Je suis perdu, bloqué. Que s'est-il donc passé ?
En arrivant au Palais des Papes, je ne suis pas encore entré dans le Festival. Je sors de « La poursuite du vent » déboussolé ; je suis dans l'entre-deux : entre la fin du Festival « Montpellier Danse » et l'univers du théâtre. Je flotte et « Asobu » me coule?
Je suis au 5e rang ; sur la gauche. De biais. Je suis décentré, c'est le cas de le dire. Je perçois donc l'envers du décor. De l'imaginaire de Nadj, je ne vois que le réel pendant plus d'une heure (les danseurs qui se changent, qui préparent leur « coup », ?). Je cherche les enchaînements. Je veux comprendre l'univers d'Henri Michaux, poète inconnu pour moi, à qui est dédié le spectacle. En vain. Je cherche à décoder le langage métaphorique de Nadj ! Un comble alors que je suis capable de me laisser transporter dans des univers bien plus conceptuels ! Je vois un groupe se créer devant moi, où se croisent les arts, l'Occident et le Japon, l'individu et le collectif. Je ne suis pas du voyage. L'immensité de la Cour d'Honneur m'écrase, moi qui suis plus habitué à voir Nadj dans l'intimité des lieux.
Je me sens collé au réel. Comme le souligne fort justement René Solis dans sa critique du spectacle pour Libération : « On ne s’y perd pas, dès lors que l’on accepte de ne pas s’y reconnaître. Le titre signifie «jeu» en japonais ; un jeu du labyrinthe si l’on veut, où le besoin de trouver la sortie devient vite secondaire, tant la curiosité s’y conjugue au présent. »
Tout est dit.
« Je suis passé à côté » devient mon leitmotif.
Et si Nadj m'avait perdu ? Certes, mais je me sens bien seul dans le concert de louanges des critiques et du public. Alors ?
Alors, rien.
Voilà, c'est dit.
Écrit.
A digérer.

Crédit photo : © Christophe Raynaud de Lage.

 


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Au Festival d’Avignon, le fantôme d’Isabella ressuscite Claire Goll dans «La poursuite du vent».

Ce samedi 8 juillet à 18h au Théâtre Municipal d’Avignon, je débute mon périple festivalier avec émotion, mais aussi avec une certaine appréhension : « Vais-je tenir la distance ? ». Pour me rassurer, j’ai rendez-vous avec Viviane de Muynck. J’ai souvent fait référence à « La chambre d’Isabella » sur ce blog ici et . Elle nous a manqué l’an dernier et ce n’est pas sa courte apparition en 2005 dans « Needlapb 10 » du metteur en scène flamand Jan Lauwers qui a pu calmer l’attente. Car Viviane De Muynck est une actrice exceptionnelle, au parcours atypique (elle était secrétaire de direction avant de tout lâcher pour devenir comédienne). Elle a bouleversé de nombreux spectateurs en incarnant Isabella, 104 ans, aveugle et pleine d’énergie
En solo, elle signe son retour en Avignon avec « La poursuite du vent ». Elle incarne Claire Goll. Née en 1910, après une enfance difficile, elle s’installe à Zurich où elle fréquente le mouvement pacifiste et les dadaïstes. C’est en 1917 qu’elle rencontre le poète français Yvan Goll et se lie aux artistes cubistes et surréalistes. Avec son mari, ils composent des recueils de poésie. Après son décès, Claire Goll poursuit son œuvre littéraire et publie en 1976 ses mémoires (« La poursuite du vent »). La révélation de ses amitiés, mais surtout de ses inimitiés choque et suscite la polémique.
C’est donc une femme à la vie chaotique qui se présente à nous. Avec Claire Goll, je parcours cette période créative où Picasso côtoie Malraux, où le dadaïsme traverse les arts. J’apprends la relation fusionnelle qu’elle entretient avec son mari. Mais surtout ses jugements à l’emporte-pièce ponctuent de nombreuses anecdotes sur les amis et ennemis qui fréquentent le couple. La mise en scène de Jan Lauwers joue sur l’ambiguïté. Ce n’est pas Isabella qui interprète Claire Goll. En effet, tout oppose les deux pièces : collectif contre solo, objets omniprésents sur le plateau de « La chambre d’Isabella », plateau dépouillé ici ; danse et théâtre en 2004, texte seul ici. Toutefois, l’histoire de Claire Goll est vue avec les yeux d’Isabella : empathie dans la mise en scène, jeu charismatique de Viviane De Muynck pour incarner Claire Goll, regard distancié porté sur sa vie et magnifique jeu de lumière. Mais à mesure que la pièce avance, je m’ennuie (à l’exception de la dernière scène où Claire Goll pleure son mari et qui sort le public de sa torpeur). J’attends Viviane De Muynck là où elle ne peut plus aller, mais elle ne va pas là où j’attends qu’elle me surprenne (vous suivez ?!). Jan Lauwers a donc pris peu de risques comme s’il hésitait à exposer Viviane de Muynck après le phénoménal succès de « La chambre d’Isabella ».
En quittant le théâtre, je ressens de la tristesse : l’histoire de Claire Goll m’a peu touché et j’ai perdu Isabella. Cela n’est pas sans résonance. Comme quoi, le théâtre entremêle les  histoires et tisse entre spectateurs et comédiens des liens indestructibles.

Crédit photo : © Christophe Raynaud de Lag

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"Au monde" de Joël Pommerat.
"Human" de Christophe Huysman.
"Rouge décanté" de Guy Cassiers.

"Faut qu’on parle!" d’Hamid Ben Mahi et Guy Alloucherie, "Sizwe Banzi est mort" de Peter Brook, "Récits de juin" de Pippo Delbono et "Pour tout l’or du monde" d’Olivier Dubois.

"La tour de la défense" et "Les poulets n’ont pas de chaises" de Copi par Marcial Di Fonzo Bo.
"Les marchands" de Joël Pommerat.

"Chaise", "Si ce n’est toi" et "Le numéro d’équilibre" d’Edward Bond.
"Les barbares" d’Eric Lacascade.
"Pluie d’été à Hiroschima" d’Eric Vigner.

"Asobu" de Josef Nadj.
"Mnemopark" de Stefan Kaegi.
"La poursuite du vent" par Jan Lauwers.
"Battuta" de Bartabas.
"Mondes, Monde" de Frank Micheletti.
"Journal d’inquiétude" de Thierry Baë.
"Depuis hier. 4 habitants" de Michel Laubu.

"La course au désastre" de Christophe Huysman.
"Gens de Séoul" de Frédéric Fisbach.


En bons derniers…
"Sans retour"
de François Verret
"Mozart et Salieri"
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par Jan Lauwers.

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« After / Before » au Festival de Marseille Company.

Le Festival de Marseille, installé au Parc Henri Fabre, donne l’impression d’un camp retranché dans ce quartier chic. En effet, depuis l’an dernier, la Vieille Charité au coeur du Vieux Panier, n’est plus son lieu névralgique. Ce transfert a certes permis au Festival de se rapprocher symboliquement du Ballet National de Marseille dont le bâtiment jouxte le parc. Pour le reste, ce lieu confirme une tendance lourde depuis onze ans : le festival se coupe de la ville, privilégie la classe bourgeoise et les salariés des entreprises. L’observation du Parc, lors de deux soirées, est riche d’enseignements.

En arrivant, quelques âmes perdues piquent — niquent avec les enfants. Ils ne sont pas nombreux, mais leur présence rassure sur l’aspect convivial du Festival (sic).
Juste après, sur la droite, trône l’accueil du Festival. De jolies hôtesses attendent comme lors d’un défilé de mode pour maison de haute couture. À l’heure où les institutions culturelles subissent la baisse des subventions, leur grand nombre contraste.
Sur ma droite, un restaurant installé provisoirement. Point d’étudiant (les prix sont élevés) mais plutôt une classe moyenne aisée. Il leur faut du courage pour supporter la longue file d’attente quand vient l’heure de payer.
Tout près, un jardin éphémère. Comme le fait remarquer un spectateur : « c’est le seul jardin que je connaisse où il n’y a rien à bouffer ». Certes, mais la question n’est peut-être pas là. Pourquoi un jardin aussi laid ?
Après ce jardin, deux hôtesses attendent, assises à une table. Au fond, des salariés d’entreprise dînent ou prennent l’apéritif (je ne vois pas bien). Evidement, je demande si je peux m’y rendre afin de pouvoir acheter une bouteille d’eau. « Vous n’êtes pas invité », me rétorque-t-on avec condescendance. Trop occupés à déguster leurs agapes, ces salariés voient-ils les perturbations chorégraphiques de Bernard Menaut (série d’improvisations où le public est souvent sollicité. Hilarant la plupart du temps !) Rien n’est sûr. Toujours est-il que le contraste est saisissant : Menaut, ses deux musiciens et une danseuse peinent à perturber cet agencement savamment élaboré. Autant leur chorégraphie trouve la poésie et leur dynamique dans les rues de la ville, autant elle tombe à plat dans cet environnement si policé.
Le clivage est tout autant observable le mardi 4 juillet. À 19h, Pierre Rigal pour « Érection » et The Guests Company pour « Popular Music » sont programmés, isolés, à l’écart, dans le Grand Studio du Ballet National de Marseille. J’en sors à 21h15. Je ne trouve ni de quoi boire, ni manger alors que les agapes pour les salariés des riches entreprises se tiennent au fond du Parc. A 22h, Fréderic Flamand propose « Metapolis II ». Il me reste peu de temps. Avec d’autres spectateurs, nous devons marcher jusqu’à la Plage du Prado pour pouvoir nous restaurer un peu. Je ressens ce moment comme une disqualification pour le public. Mais ce n’est rien à côté de la désinvolture affichée par le Festival lorsqu’il vend des places sur les marches à 10 euros, au mépris des règles élémentaires de sécurité.
Je pourrais évoquer ce public…majoritairement blanc alors que la ville de Marseille est de toutes les couleurs. Comment ne pas s’étonner de voir les salariés de ces entreprises suivre le match de foot sur leur téléphone portable pendant la si belle chorégraphie d’Emmanuel Gat. Dois-je évoquer les commentaires entendus lors de cette soirée à la fin du spectacle ? Pour « Métapolis II » le contraste est encore plus saisissant : la classe bourgeoise et politique aux premiers rangs, de prés le public d’entreprise, puis en hauteur et sur les marches le public des habitués et les moins fortunés.
À ma connaissance, Le Festival de Marseille est le seul, qui sépare autant les publics. Il y a comme un paradoxe à se réclamer « manifestation pluridisciplinaire » et faire en sorte que les publics ne se mixtent pas. Il y a comme un malaise à utiliser la culture comme produit d’appel auprès des entreprises alors que la mission de Service Public exigerait une ouverture vers la population de Marseille par des propositions artistiques plus en lien avec cette ville cosmopolite.
Au final, le Festival de Marseille ne peut accompagner dans la durée le public vers des œuvres pluridisciplinaires à l’instar d’Avignon, de Montpellier Danse ou du KunstenFestivaldesArts de Bruxelles. Pour cela, il faut une autre vision de la société. Une autre culture du lien.

Crédit photo: © Gérard Ceccaldi et Aurélie Martin.

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Les solos de Montpellier Danse au Festival de Marseille.

Cette semaine, j'ai assisté à quatre solos : « Érection » de Pierre Rigal au Festival de Marseille (programmé en Arles lors du festival « duos et solis » en mai dernier), Didier Théron (« Bartleby »), Yann Lheureux (« Fragments intimes ») et Hooman Sharifi (« We failed to hold this relaity in mind »).
Ces quatre solos sont interprétés par le chorégraphe. Ils n'occupent d'ailleurs pas la même place dans les festivals. À Marseille, « Érection » est programmé dans une petite salle du Ballet National loin des festivités mondaines du Parc Henri Fabre (lieu central du Festival). Cette année, Montpellier Danse positionne le solo au c?ur de son projet et offre à deux d'entre eux le cadre prestigieux de l'Opéra Comédie.
Le solo exerce un effet grossissant, telle une loupe, sur le sens d'un festival, sur le rapport entre la danse et le public, sur le lien complexe entre le chorégraphe et le danseur. Le solo peut-être considéré parfois comme une pratique autobiographique, à la limite de l'acte thérapeutique, tant pour le danseur que pour le spectateur. Si le collectif peut masquer le vide du propos (suivez mon regard?), le solo ne peut être approximatif. C'est un puissant face à face entre le danseur et nous, entre le réel et le sublime.

Yann Lheureux avec « Fragments intimes » tente ce face à face. Otage libéré d'Irak, une nuée de micros l'attend pour une conférence de presse. Entre lui et nous, c'est un affrontement douloureux qui se met en place. Il raconte son calvaire et le ponctue de quelques (rares) beaux mouvements. Yann Lheureux se réfugie derrière son dispositif scénique pour nous parler, mais cela ne marche pas. C'est parfois violent quand il fait allumer la salle pour nous questionner, telle une assemblée de journalistes. Nous devenons acteurs de sa propre pièce, sans pouvoir réagir. Coincé dans ce paradoxe, le malaise est palpable dans la salle. C'est un solo figuratif où le texte prend le pas sur la danse (ai-je envie que l'on me raconte une histoire ?). Entre lui et nous, le lien est trop distant pour que l'ensemble donne du sens. Au final, une ?uvre ratée.


À l'opposé, Hooman Sharifi, comme Radhouane El Medeb la semaine dernière, ne fait pas de l'art figuratif. Bien au contraire. Le lien est direct, comme une mise à nu. Comment lui et nous pourrions former un groupe pour retrouver l'imagination, l'empathie alors que la multiplication des images de guerre nous rend finalement de plus en plus à distance? C'est un homme imposant qui nous fait face. Il a quitté l'Iran à l'âge de 14 ans pour venir vivre en Europe. Chorégraphe d'une compagnie, il fait un break pour créer ce solo. Un tapis perse est projeté sur un écran vidéo. Il fait des gestes brusques sur une musique traditionnelle perse. Comme Yann Lheureux, il fait allumer la salle pour nous regarder, droit dans les yeux. Il n'hésite pas à nous sourire, à être ému. Mais son invitation à créer ce lien m'endort. Comme si la distance entre lui et moi était trop forte. Je ne suis pas prêt pour répondre à sa proposition, encore moins pour m'approprier son langage. Je reviendrais, car ce chorégraphe a du charisme.


Pierre Rigal, avec « Érection », réussit le face à face. À l'issue de trente minutes d'un solo époustouflant, le public ressent cette empathie, ce lien exceptionnel avec l'artiste et son oeuvre. Ils sont indissociables. Pierre Rigal parle tout autant de lui que de nous à partir d'un constat à priori simple : comment l'homme passe-t-il de la position couchée à la position debout ? Ce mouvement du corps ponctue en permanence notre vie. Pïerre Rigal le traduit avec justesse, beauté et empathie. D'un concept, il en fait un lien entre lui et nous, aidé par un fascinant metteur en scène, Aurélien Bory. Ce dernier, à partir d'un dispositif scénique basé sur des jeux de lumière, offre à Pierre Rigal un espace de créativité que Yhann Lheureux n'a pas. Mais surtout, « de l'homme couché à l'homme debout » provoque une résonance positive chez le public. Il nous invite à voir autrement ce processus que nous pensons linéaire. Le dernier tableau est extraordinaire : il se recouche en position f?tale et son image réduite est projetée sur son ventre. Le concept de Pierre Rigal est sublimé. Chapeau.


Toujours sur le terrain du concept, Didier Théron a choisi de s'incarner dans un autre,  « Bartleby », personnage de Dostoïevski, tourmenté et révolté. Sur la scène de l'Opéra ? Comédie de Montpellier trône un énorme lapin en plastique. Cette présence provoque l'absurde ; elle étonne. Le contraste entre l'animal et Bartebly est si fort que je dois aller à un autre niveau pour me projeter dans son univers. Ce lapin, tel un objet flottant, nous aide à entendre la révolte de Bartleby d'autant plus que Didier Théron le porte avec un charisme impressionnant C'est ainsi que ce solo se révèle être un bel apprentissage pour le public à ressentir la danse comme un langage.

Montpellier Danse, en plus d'avoir ouvert son espace aux pays méditerranéens, a permis au solo d'avoir une jolie place. Comme si tout était lié : pour s'ouvrir à la différence, le public est invité à travailler le lien avec le danseur. C'est une jolie métaphore et un beau projet.

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Le son et lumière de Frédéric Flamand.

L'arrivée de Frédéric Flamand à Marseille à la suite de Marie ? Claude Pietragalla était une ouverture intéressante pour que je m'intéresse à ce chorégraphe. À l'automne dernier, j'ai subi « La Cité Radieuse » dans un contexte défavorable pour porter un regard distancié sur la ville de Marseille (grève dans les transports).
La présence de Flamand au Festival de Marseille pour « Métapolis II » est donc une occasion de l'approcher avec de meilleures intentions. Peine perdue. Je n'aime pas cette danse-là. Elle ne m'apporte strictement rien. La forme pourrait évoquer de la danse contemporaine. Mais c'est un trompe l'?il. Le fond est classique, conventionnel : c'est un enchaînement de regards sur la ville qui s'empilent les uns sur les autres, sans lien, sans message global. Où nous emmène-t-il dans cette ville qu'il imagine ? Le sait-il lui-même ? Les rapports humains sont réduits à leur plus simple expression, à l'image des mouvements du corps qui empruntent toujours les mêmes codes. Leur espace est d'autant plus limité que le groupe étouffe toute créativité. Les trois ponts qui circulent sur scène limitent la fonction des danseurs à des machinistes. C'est caricatural et sans réflexion globale. Les danseurs sont finalement des faire-valoir et leur corps font radicalement écran entre la vision de la ville de demain et nous. Les applaudissements sont polis, car nous sommes entre gens de bonne compagnie. Je ne suis pas rassuré: Marseille pourrait ressembler à ce « Métapolis II », ville clivée par excellence et sans âme. Le Festival de Marseille a de beaux jours devant lui, à moins que?

Crédit photo: © Pipitone

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A Montpellier Danse, Nacera Belaza et son temps du repli.

À la lecture de la présentation du spectacle, je comprends que Nacera Belaza, chorégraphe en résidence au Blanc – Mesnil, a vécu une période de repli sur elle-même. Ce qu’elle en écrit est intelligent : « Être danseuse et chorégraphe sont pour moi deux postures indissociables. Le point de vue de l’une alimente celui de l’autre, si je vois « clair » dans mes pièces c’est parce qu’aussi je suis à l’intérieur. J’ai souvent la sensation de les construire du dedans et du dehors. Mon espace de travail, lui, a toujours été un lieu privilégié qui m’a permis d’explorer mes principales préoccupations telles que : le silence, la lumière, le vide, l’obscurité, la vie, la fin, l’être humain…Tout cela à travers le corps. Cette recherche a nécessité par conséquent un véritable repli afin de nous couper du bruit de la rue et de nos vies ».
À présent, Nacera Belaza souhaite s’ouvrir, « refaire surface » et nous faire part de sa vision de l’être humain. C’est ambitieux, mais la danse m’a déjà habitué au défi de nous aider à comprendre notre complexité. Je suis donc curieux à l’idée de l’accueillir d’autant plus que je ne la connais pas. Le Théâtre de Grammont est comble, composé de pas mal de professionnels et d’amis de la chorégraphe, pour assister à « Titre provisoire / un an après… ».
Tout commence par une attente de dix minutes que le public semble ne pas supporter. Un magnifique jeu de lumières baigne la scène agrémentée d’un bruit d’une forte pluie tombant sur un toit. Cette alchimie m’évoque le repli sur soi, le travail intérieur, la découverte de nouveaux sens. Là où certains spectateurs manifestent leur angoisse du vide, je ressens la présence de l’artiste dans ce chaos. Progressivement, une silhouette se dessine à travers la vidéo. Je ne vois pas bien s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. L’ambiguïté est jubilatoire. Puis, par une étrange transformation, là voilà, humaine, qui arrive lentement sur la scène en hochant la tête. Sa venue rassure le public. Elle est suivie par deux danseuses, habillées à l’identique, dansant les mêmes mouvements. On croirait deux clones. C’est alors que le trio se met en place pour danser une valse où les gestes se répètent (rondeur, révolte, cassure). Ce langage du renouveau, du « refaire surface » est pauvre, presque anesthésiant. L’ennui me gagne. Cela ne m’évoque plus rien. À qui s’adresse-t-elle ? D’une posture de repli, Nacera Belaza nous offre une ouverture à partir d’un langage fermé. C’est comme si elle voulait expliquer la psychologie avec la musique des chiffres ! Je ressens progressivement un malaise…je ne me sens pas à ma place, comme un voyeur.
La fin du spectacle semble approcher. Elle reste seule et se met à tourner en rond. D’une ouverture, je ne sens que de la fermeture. Elle quitte la scène pour réapparaître sur l’écran vidéo. Elle danse au ralenti. Le langage ne change pas. Elle est dedans ; le public dehors.

Au final, « Titre provisoire / un an après… » est une œuvre égocentrique dont je ne doute pas de la valeur thérapeutique pour son auteur. Cela aurait pu être une danse autobiographique capable de faire résonance avec notre histoire. De résonance, je n’en ai pas entendu l’écho.

Créditphoto : G. Nicolas

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A Montpellier Danse, Radhouane El Meddeb déroute.

Le Festival Montpellier Danse nous invite à découvrir Radhouane El Meddeb, jeune chorégraphe tunisien, mais aussi comédien dans son pays et en France auprès de Jacques Rosner. Deux de ses créations nous sont proposées : “Pour en finir avec moi” et «Hùwà» qui, à l'instar de Nacera Belaza, traduisent une recherche personnelle.
«Pour en finir avec moi» est un solo dansé par Rahouane El Meddeb. C'est un homme plutôt rond, loin du physique d'un danseur occidental. Sa danse, minimaliste, est d'une précision, d'une poésie touchante. Il avance à petits pas, produit parfois des mouvements brusques pour ensuite redevenir rond. Son cheminement dans l'espace reflète son introspection faîte d'avancées et de recul dans un contexte tunisien pour le moins difficile dans la promotion de la différence. Son talent réside dans sa capacité à nous émouvoir lorsqu'il nous recherche du regard, à nous inclure dans son évolution personnelle. Je ressens chez cet homme un profond désir d'être aimé, d'être reconnu pour ce qu'il est. Il reçoit du public de chaleureux applaudissements comme un signe d'encouragement à poursuivre sa quête artistique. Espérons qu'il puisse à terme s'entourer d'autres danseurs pour donner à sa chorégraphie toute la portée politique et sociale qu'elle pourrait avoir.

Son deuxième solo, «Hùwà», dansé par Lucas Hamza Manganelli provoque un malaise perceptible à la fin de la représentation. Alors que les klaxons traversent les murs du Théâtre du Hangar (le foot réussit à s'immiscer partout?), le danseur arrive nu sur scène. Il marche à petits pas pour se poster face à nous, le regard fixe. Il balaie de gauche à droite pour revenir au centre. Ce regard m'émeut et me terrifie en même temps. Je ressens tout à la fois de l'humiliation et une détermination sans faille à nous défier. S'ensuivent alors de très beaux mouvements qui métaphorisent la difficulté de changer et l'impossibilité de rester le même. Cette recherche, loin de mener vers l'autonomie, le guide vers?Dieu. C'est à ce moment que le solo bascule vers la lourdeur, la répétition, la soumission. Changer pour aller vers Dieu engendre décidément toujours les mêmes postures, les mêmes effets. Radhouane El Meddeb nous impose alors ses états de la révélation divine. Parce que précisément ces états provoquent ce qu'il danse, cela ne me touche pas et ne me touchera jamais.

« Hùwà » aura quelques difficultés à s'immiscer dans le paysage chorégraphique en France : parce que nous sommes un pays laïc, la Danse n’est pas le langage des religions. L’est-elle du foot?…

Pascal Bély – “Le Tadorne”
Crédit photo: Eric Boudet

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EN COURS DE REFORMATAGE

A Montpellier Danse, « Bleu de terre rouge » laisse de marbre.

Au studio des Ursulines, Rita Quaglia et Lluis Ayet sont sur scène pour évoquer leur voyage à Jérusalem en compagnie d’un photographe. Comment faire part de ce voyage en articulant la danse et la photographie et faire ainsi ressentir toute la complexité de cette ville ? Comment relier  le langage du corps avec celui des images ? Ce joli défi esthétique est en parti réussi. La scénographie est de toute beauté lorsque les deux danseurs bougent des panneaux où sont projetés des éclats de photo. Cette mise en espace nous immerge dans une ville fragmentée, où les communautés se cloisonnent et n’arrivent plus à communiquer. La bande-son facilite l’immersion. Je ressens le talent d’Annie Tolleter, scénographe, déjà remarquée dans « La place du singe » de Mathilde Monnier et Christine Angot lors du Festival d’Avignon en 2005.
Mais cette esthétique masque le propos chorégraphique, souvent réduit, face à l’imposante mise en scène. Je n’arrive plus à percevoir le lien entre la danse et la photographie comme si la forme prenait le pas sur le fond. Surtout, je ne ressens pas Jérusalem à travers les corps. Les deux  danseurs semblent ne jamais communiquer. De murs, je ne vois pas de pont. Toutes ces fragmentations empêchent d’avoir accès au ressenti du photographe, au lien qu’il a pu entretenir avec les danseurs si bien que « Bleu de terre rouge » m’est apparu froid comme une mécanique bien huilée. À trop vouloir se perdre dans les rues de Jérusalem, Rita Quaglia et Lluis Ayet ne voient plus le  territoire et me perdent avec leur plan si détaillé.

Créditphoto : D Ben Loulou.


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EN COURS DE REFORMATAGE

Le public de Montpellier Danse chorégraphie « Ha ! Ha ! » de Maguy Marin.

En mars 2005, Jerôme Bel avec «The show must go on» provoquait un joli séisme au Théâtre des Salins de Martigues en interrogeant, par la provocation, les raisons pour lesquelles nous venions le voir 
En juillet 2005, le Festival d'Avignon positionnait le public dans un autre rapport à l'art théâtral en proposant des ?uvres métaphoriques et des performances. Le débat « texte ou pas » clivait la presse nationale. 
En mai 2006, Le KunstenFestivaldesArts de Bruxelles poursuivait cette dynamique en invitant le spectateur à repenser le rationalisme pour se projeter dans un monde plus complexe où les aléas et les incertitudes seraient source de créativité. 
Montpellier Danse ne pouvait donc pas rester à l'écart de ce mouvement de fond. La chorégraphe Maguy Marin, avec «Ha ! Ha !» a eu le courage d'interroger la fonction du rire dans une société qui fuit la recherche du sens. Comment expliquer le désir croissant du public à vouloir se détendre dès qu'il va au théâtre ? Comment interpréter la part dominante des émissions de divertissement entre 18h et minuit sur les chaînes de télévision ? À quoi font référence les expressions si souvent entendues, prononcées le plus souvent sur un ton moqueur : «Pourquoi te prends-tu la tête ?», «Si en plus il faut penser au travail quand je vais voir un spectacle !». Cette recherche du divertissement gagne progressivement le public de la danse. Que se joue-t-il ? Dans le contexte actuel français, le rire, loin d'être créatif et libératoire, cache, masque la complexité des situations. Il s'articule sans aucun problème à la pensée linéaire, au discours politique le plus simpliste. Une société qui veut rire de tout, se distraire à tout prix, prépare le fascisme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Courageusement, Maguy Marin a décidé  de réagir. Il y a urgence à renvoyer un questionnement au public, de peur de voir en France et en Europe, l'art disparaître. Pour cela, nous avons à nous repositionner : il n'y a plus d'un côté les artistes qui proposeraient une création pour, de l’autre, des spectateurs consommateurs passifs. Même Helena Waldmann a compris la nécessité d'interpeller le public lors de « Letters from Tentland Return to sender » vu une semaine auparavant.
Je ne souhaite pas faire part de ce qui s'est passé à l'Opéra Comédie de Montpellier, dimanche soir. Il y aurait un paradoxe à expliquer un processus qui vous empêchera de le vivre. Toutefois, avant de courir voir cette ?uvre, sachez que Maguy Marin inverse les prémices : nous sommes les acteurs, les danseurs sont les spectateurs. De la sorte, elle propose un art conceptuel et c'est à nous de recréer le concept. Ce nouveau positionnement nous aide à redevenir acteur, à sortir de la soumission imposée par la société du divertissement. Elle provoque un électrochoc salutaire en nous accompagnant à retrouver la posture du dedans ? dehors qui seule permet de recréer un lien avec l'art, avec les artistes.
Oui, grâce à Maguy Marin, je n'ai plus honte de me prendre la tête. Elle me redonne la force de continuer ce blog, de poursuivre le chemin tracé depuis tout jeune : c'est la recherche du sens qui fait une vie. Maguy Marin a porté ma voix, celle de beaucoup d'autres. Elle m'a libéré des vexations dont je peux parfois faire l'objet (la dernière en date : “à quoi ça sert de voir tous ces spectacles ? N’as-tu pas envie de lâcher ?” ; le tout dit en riant !).
J'ai crié « Bravo » pour masquer les insultes d'une partie du public. À ceux qui ne perçoivent pas la menace sur l'art dans notre pays, rendez-vous dans les villes où Maguy Marin proposera « Ha ! Ha ! ». Revenez sur ce blog. Échangeons. Passionnons-nous. C'est l'une des ripostes au totalitarisme ambiant.

Sous les pavés, l'art et le social?

Pascal Bély – www.festivalier.net

Crédit photo: Chri;stian Ganet