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Au Festival d’Avignon, Les Barbares calment le jeu.

C'est la première ce soir. L'ambiance est électrique. Les intermittents occupent la scène de la Cour d'Honneur du Palais des Papes. La majorité du public applaudit alors que mes voisins profèrent des insultes. Je me retrouve trois ans en arrière quand, en 2003, des spectateurs vengeurs s'en prenaient aux comédiens. Deux hommes en viennent aux mains derrière moi en ce traitant de tous les mots. La situation n'a pas bougé et les clivages sont de plus en plus forts. En cinq ans, L'UMP aura divisé ce pays comme jamais. Des « Barbares »?
D'ailleurs, la pièce commence avec trente minutes de retard. Un jeune homme à la guitare, chante sur scène une chanson de Bob Dylan puis de Noir Désir. Mes voisins continuent les insultes (« il y en a assez de ces fainéants ! ») sauf que?le spectacle a débuté. Malaise. « Les Barbares » de Maxime Gorki écrits en 1905 sont toujours d'actualité. Éric Lacascade a vu juste en les mettant en scène pour la première fois au Festival d'Avignon.
Tout commence avec l'arrivée de deux ingénieurs chargés de construire un chemin de fer dans une province reculée de l'Empire Russe. Ils vont bouleverser la vie de toute une ville. Ils ne se gênent pas pour mépriser la population locale, pour jouer les justiciers au mépris des règles élémentaires de la démocratie. L'expertise donne le pouvoir et le contexte doit se plier aux exigences du projet. On connaît la chanson et je reconnais dans l'ingénieur en chef, un certain premier ministre français? Très vite, leurs petits jeux et autres mesquineries les mettent au même niveau que les habitants. La fin est tragique et l'on ne parle même plus de ligne de chemin de fer, mais de décomposition sociale, familiale et politique. J'ai rapidement l'impression d'assister à un thriller sur le changement. Lacascade joue sur des effets de mise en scène de cinéma (ma vue se trouble lors d'un changement de décor !). Il utilise le Rock pour renforcer les enjeux et faire monter la pression. L'espace de la Cour d'Honneur est merveilleusement utilisé : sur une petite scène, les lumières sont braquées sur un groupe pendant qu'autour les corps bougent au ralenti. A un autre moment,  l'expert s'enferme dans son arrogance à l'image des projecteurs qui se referment sur lui. Magnifique. L'utilisation de ces petits espaces est intelligente, car ils obligent le spectateur à porter un regard horizontal sur les effets du changement et non de se concentrer sur une partie de la scène.
Les comédiens sont au centre de ce thriller. Ils sont tous impressionnants à se déplacer d'un point à l'autre, d'un groupe vers l'autre, de la haine à l'amour. Les différences physiques (les deux enfants du maire, l'un gros, l'autre menue) permettent d'identifier leur rôle de bouc-émissaire et de médiateur pendant que le système est au bord de l'explosion. Ils sont symptomatiques et pourtant ils facilitent le lien entre les deux groupes antagonistes. Lacascade, loin de les ridiculiser, les accompagne avec bienveillance.
Je ne vois plus le temps passer. Je suis pris dans ce tourbillon de sons, de lumières et de jeux d'acteurs. Je ne cesse de faire des associations comme si je me faisais mon théâtre au théâtre. Loin de m'attacher à l'un des comédiens, je tisse ma propre toile des relations quitte parfois à me perdre. Mais Éric Lacascade sait me rattraper quand il replace les projecteurs et la musique au c?ur d'un groupe, d'un couple, d'un individu.
« Les barbares » sont un beau moment de théâtre. Certains esprits chagrins s'offusquent de certaines lenteurs et de la liberté prise par Lacascade pour contextualiser la pièce dans notre époque. Qu'importe. « Les Barbares » arrivent au bon moment pour nous rappeler les dangers d'une arrogance venue d'en haut et les effets dévastateurs de l'affrontement entre communautés. Renaud Donnedieu de Vabre n'a pas pu assister à la pièce. Messager du MEDEF, il aurait pu devenir porte-voix des artistes. Hors jeu.

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Par thématiques, les articles du Festival d’Avignon:
“Les sublimes”
“Le théâtre des maux”
.
“Les mondes enfermants”
“Les hors-jeu”

Le palmarés du Tadorne du Festival d’Avignon:

“VSPRS”
d’Alain Platel.
“Paso Doble” de Josef Nadj et Miquel Barcelo.
“Combat de nègre et de chiens” de Koltès par Arthur Nauzyciel.
“Au monde” de Joël Pommerat.
“Human” de Christophe Huysman.
“Rouge décanté” de Guy Cassiers.

“Faut qu’on parle!” d’Hamid Ben Mahi et Guy Alloucherie, “Sizwe Banzi est mort” de Peter Brook, “Récits de juin” de Pippo Delbono et “Pour tout l’or du monde” d’Olivier Dubois.

“La tour de la défense” et “Les poulets n’ont pas de chaises” de Copi par Marcial Di Fonzo Bo.
“Les marchands” de Joël Pommerat.

“Chaise”, “Si ce n’est toi” et “Le numéro d’équilibre” d’Edward Bond.
“Les barbares” d’Eric Lacascade.
“Pluie d’été à Hiroschima” d’Eric Vigner.

“Asobu” de Josef Nadj.
“Mnemopark” de Stefan Kaegi.
“La poursuite du vent” par Jan Lauwers.
“Battuta” de Bartabas.
“Mondes, Monde” de Frank Micheletti.
“Journal d’inquiétude” de Thierry Baë.
“Depuis hier. 4 habitants” de Michel Laubu.

“La course au désastre” de Christophe Huysman.
“Gens de Séoul” de Frédéric Fisbach.


En bons derniers…
“Sans retour”
de François Verret
“Mozart et Salieri”
et “Iliade Chant XXIII” par Anatoli Vassiliev.
“Ecrits de Jean Vilar” par Olivier Py.

“Le bazar du Homard”
par Jan Lauwers.

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Au Festival d’Avignon, Anatoli Vassiliev fait de l’art brute.

Après « Mozart et Salieri », spectacle ringard proposé par Anatoli Vassiliev à la Carrière Boulbon, je persiste pour assister à « Iliade Chant XXIII » dans ce lieu magique. C'est le récit de la vengeance d'Achille contre les Troyens, après la mort de son ami Patrocle. Le Roi Hector, assassiné, sera l'objet de cette vengeance. A l'issue de ces deux heures quarante, je me questionne toujours : comment définir ce théâtre ? Pourquoi ce metteur en scène me tient-il tant à distance? Tout est verticalisé, brutal, et cela fascine certains spectateurs qui sont radicalement en transe face à ce ch?ur de vingt-trois chanteurs. Moi pas. Ils m'ennuient dans leus déplacements et leurs chants m'évoquent une chorale d'enfants de coeur. Les quinze  acteurs parlent toujours avec le même phrasé (style «Comédie Française » et « je vous engueule en même temps ») : cela me glace le sang tant c'est brutal, guerrier, sans nuance comme si Vassiliev faisait fi de la complexité psychologique des personnages. Progressivement, ces acteurs me font peur ; ils ne me regardent jamais : le public existe-t-il ? C'est une relation à sens unique. Nous sommes très loin de la préoccupation des artistes actuels qui s'interrogent sur l'interaction entre l'art théâtral et le public. J'ai l'étrange sensation de régresser, d'être dépendant de cette mise en scène. Comme si Vassiliev ne me laissait aucun espace si ce n'est le sien.
Quant à la danse, elle illustre les propos alors que ce n'est pas sa fonction ! « Iliade Chant XXIII » va donc chercher chez le spectateur sa fascination pour le symbole (les poupées jetées à terre font leur effet, les oiseaux de mauvaise augure transcendent,?), pour le culte du chef et sa recherche d'un au-delà. Anatoli Vassiliev est alors leur gourou. Un tiers du public préfère quitter les gradins ; l'autre s'endormir. Et puis, quelques irréductibles veulent comprendre. Ils attendent le moment où tout pourrait basculer, mais rien ne vient. Ils préfèrent se moquer de ce théâtre prétentieux.
« 
Iliade Chant XXIII » vaut-il un article sur ce blog ? Vassiliev réussit-il à me rendre incompétent pour écrire  sur son théâtre?
Brutal comme questions…

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Au Festival Contre Courant, la belle leçon d’’Edward Bond.

Au c?ur du Festival d'Avignon, existe un petit havre de convivialité et de lien social. Il faut traverser le pont de l'Europe (tout un symbole), se rendre sur l'Ile de la Bartelasse et suivre la ligne droite. Elle nous mène à Contre Courant. Animée par la CCAS (le Comité d'Entreprise des personnels EDF ? GDF), cette manifestation joue la carte d'une programmation de qualité (Edward Bond, Marcial Di Fonzo Bo, Hamid Ben Mahi entre autres). Plutôt que d'être en concurrence, Contre Courant crée une complémentarité avec le Festival d'Avignon en s'appuyant sur les metteurs en scène phare de la 60ème édition, en invitant des compagnies plus confidentielles, pour des spectacles proposés gratuitement, le tour relié à un projet. Il consiste à positionner le théâtre au c?ur du lien social et du monde du travail. D'ailleurs, en arrivant sur les lieux, nous avons la possibilité de visiter une exposition consacrée aux congés payés. C'est bien fait, instructif et les petites tentes posées sur du sable fin font fonctionner l'imaginaire. Je me suis souvenu de la première fois où j'ai vu la mer. Émouvant.
En quittant l'exposition, j'entends du bruit dans un jardin. Là, un miracle se produit sous mes yeux . Edward Bond en personne, assisté pour la traduction par le jeune metteur en scène français Jérôme Hankins , donne une leçon de théâtre à trois jeunes pris dans l'assistance. Une couverture est posée sur la scène. Chacun doit s'approcher d'elle en ayant peur. Parfois, la consigne se complexifie : ils doivent prendre un verre posé par terre et la mettre sur la couverture. L'acteur a peur des deux objets, mais ne sait pas lequel des deux est le plus impressionnant. Les trois adolescents se prêtent à cet exercice non verbal, délicat, difficile, devant une assistance attentive et bienveillante. Un jeune homme avec son t-shirt siglé OM (le football rencontre le théâtre !) s'avance de ce verre tout en faisant bouger son corps. Edward Bond le soutient du regard. Une énergie se dégage de ce duo. « Vous êtes un très bon acteur » lui dit Bond. Émouvant.
À peine remis de cette leçon, « Le numéro d'équilibre » d'Edward Bond mis en scène par Jérôme Hankins, accompagné par une armée de cigales, va faire l'effet d'une déferlante dans ce petit jardin.
Viv est une jeune fille toute seule dans un squat. Elle a tout abandonné pour s'isoler et surveiller un point sur le sol : « C’est le point qui tient le monde en équilibre. Si quelqu'un marchait dessus l’équilibre disparaîtrait. » Nelson, son ami, tente de l'alimenter en lui apportant des chips. Peine perdue. Viv meurt dans les décombres. Malgré l'aide d'un chef de chantier expert en démolition, il ne retrouve jamais Viv. C'est alors que la pièce bascule dans la farce la plus corrosive (la scène où l'assistante sociale en chef questionne et soupçonne Nelson de meurtre est criante de vérité sur le positionnement moralisateur de certains travailleurs sociaux ! Photo ci-contre!). Nelson va errer, trouver sur sa route un faux unijambiste, mais un vrai voleur, sa fausse mère, mais une vraie forte femme. Il finit  par atterrir dans l'appartement du chef de chantier. Celui-ci est atteint de la même obsession que Viv. Il se fixe sur un point d'équilibre (symbolisé par la poussière accumulée dans la cuisine depuis trois ans). Sa femme menace de faire le ménage ; il l'a tue. Le tout finit par une explosion de l'appartement.
« Le numéro d'équilibre » est une puissante métaphore sur nos obsessions, nos mensonges, nos désirs de destruction, nos velléités de domination dès que nos avons un peu de pouvoir (chef, mari,?). C'est une pièce qui touche et prend le spectateur à son propre jeu. La mise en scène arrive subtilement à articuler la farce et la profondeur psychologique des personnages sans s’annuler. Jérôme Hankins n'oublie jamais le sens, là où d'autres plongeraient dans le burlesque. Le public ne s'y trompe pas, ne lâchant jamais son attention malgré les cigales et les bruits de la route.  Il s'appuie sur des comédiens de tous âges, exceptionnels dans leur jeu, peut-être parce qu'ils ont appris les leçons d'Edward Bond. Outre d'être un traducteur, Hankins est un passeur. D'un numéro d'équilibre (le cours traduit aux adolescents) à l'autre (la mise en scène), Jérôme Hankins et ses comédiens font trembler les murs invisibles de ce théâtre de plein air pour nous donner une belle leçon entre l'art et le social.
Contre Courant est un joli numéro.
Pascal Bély
www.festivalier.net

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Au Festival d’Avignon, « Sizwe Banzi est mort ». Sarkozy aussi.

 
Ce texte fut écrit dans les années soixante-dix par un auteur blanc et deux auteurs noirs dans le contexte de l'apartheid en Afrique du Sud. Peter Brook le met en scène avec deux acteurs magnifiques : Habib Dembélé et Pitcho Womba Konga. Cette pièce fait écho avec la situation française actuelle française. C'est une histoire de photos, de cartons, d’un papier.
Nous sommes à l'École de la Trillade, dans l'un des quartiers pauvres d'Avignon, traversé par une grande avenue. Je m'étonne qu'un bâtiment aussi laid et dégradé soit une école primaire?
C’est dans ce cadre qu'un théâtre a été installé. Sur scène, des cartons et des matériaux de récupération font office de décor. Nous sommes dans un théâtre de rue, un soir d'orage dans ce quartier d'Avignon.
Habib Dembélé, alias Styles, arrive sur scène. Il travaille à l'Usine Ford et nous décrit par les moindres faits et gestes comment le contremaître le traite, lui et ses collègues « singes noirs », le jour où le « grand patron américain » vient inspecter les lieux. Les mots font mouche et  Habib Dembélé semble danser en même temps qu'il dénonce avec humour ces pratiques d'un autre temps. Mais Styles rêve d'autre chose. Il s'installe alors comme photographe pour tirer le portrait. Il décrit avec drôlerie comment une famille de trente-sept personnes veut s'immortaliser?quelques jours avant la mort du grand-père. Steves évoque celle de son père et sort la photo de sa poche. L'émotion traverse la cour de l'école. Tout semble suspendu. Progressivement, les photos, les cartons ont une âme. Le papier bouge?
Sizwe Banzi frappe à la porte de la boutique. Il veut une photo pour envoyer à sa femme restée au pays. Il est travailleur étranger et son « pass » est périmé. Il est sous le coup d'une expulsion. Il n'est plus rien. Styles le fait jouer pour lui faire la photo (« tu es le grand patron de l'usine?souris ! Clic ? clac »). Par ce petit jeu de rôles, Style donne plus qu'une photo d'identité ; il le rend humain. Mais il faut trouver un stratagème pour avoir un « pass ». C'est alors que Styles découvre un homme mort avec un « pass » en règle. Sizwe Banzi devient alors Robert Zuellima. Survient  ce qui sera sans doute le plus beau moment de théâtre de cette 60e édition : Sizwe (Pitcho Womba Konga, exceptionnel) se dirige vers le premier rang du public (cf. photo) et clame : « Qu'est-ce qui se passe dans ce foutu monde ? Qui veut de moi ? ?QU'EST – CE QUI NE VA PAS AVEC MOI ? ». Les sans-papiers en lutte aujourd'hui en France semblent crier avec lui. La cour résonne. Les murs d'Avignon et de l'Elysée tremblent. Je n'ose plus bouger. Les photos s'animent, les cartons se soulèvent. Le papier vit?
Peter Brook signe une mise en scène magnifique avec trois bouts de cartons et une planche en bois. Dénué de tout, l'homme est toujours capable de créativité. Peter Brook nous invite à retrouver notre conscience des Droits de l'Homme sans quoi le  « pass » devient la procédure qui masque l'émergence d'un nouvel apartheid. En plaçant des spectateurs sur les deux côtés de la scène, il signifie que nous sommes aussi « acteurs » de ce qui se joue avec les « sans papiers » pris au piège en Europe. Cette mise en scène humaniste, loin d'être culpabilisante, nous aide à ressentir la complexité de cette situation en replaçant l'individu (Sizwe) au centre. C'est une façon de positionner les sans-papiers comme sujet au moment où nous les considérions comme objet, comme variable d'ajustement.
Sans que l’on y prenne garde, les photos jaunissent, les cartons brûlent.
« AVEC VOUS , ÇA VA » semble répondre le public.

Pascal Bély
www.festivalier.net



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Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage

 

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Au Festival d’’Avignon, «Human» de Christophe Huysman voit de haut.

 

J'ai fait une magnifique rencontre, de celle qui marque la vie d'un spectateur. En sortant, je ne me sens pas tout à fait pareil. J'ai envie de voir le monde différemment, je m'encourage à le penser autrement pour ne pas céder au catastrophisme ambiant qui voudrait réduire le regard et diminuer nos possibilités d'interventions. Ce spectacle, « Human », joué loin du tumulte avignonnais à la Chartreuse, est écrit et mis en scène par un poète, Christophe Huysman. Son dispositif scénique est en soi révélateur : c'est sa vision du monde fait de lignes verticales (des mâts chinois) ou horizontales sur lesquelles 6 comédiens se déplacent. En sous-titre du spectacle : « Articulations ». C'est un mot magique pour désigner la reliance si chère à Edgar Morin, historien, sociologue et père de la pensée complexe. Le cirque et la poésie peuvent nous aider à changer le regard, à voir autrement : Christophe Huysman fait non seulement voler les corps, mais aussi les mots.
Ils sont six pour dénoncer avec poésie, la façon dont nous regardons le monde par le petit bout de la lorgnette, nous arrêtant à la moindre difficulté (photo ci contre!). Plus tard, un homme est seul à tourner en rond sur lui-même pour nous parler de sa situation sociale avec un jargon (RMI, Allocation, ASS, ASI,?) qui étouffe progressivement sa voix et sa créativité. Il y a Lili (magnifique Colline Caen) qui cherche absolument à joindre la famille Toulou, mais elle se perd dans la communication verticale. Ils sont deux
hommes à vouloir se prendre dans les bras, à trouver les mots pour le dire, mais il est plus simple de parler à leur place pour mieux les normaliser. C'est ainsi qu'alternent différentes scènes où chacun dénonce le statut donné à l'artiste, au poète par la société du divertissement et du zapping. Maguy Marin n'est donc plus seule à s'inquiéter.
Mais Christophe Huysman va plus loin. Avec ses comédiens, des lignes verticales et horizontales, il crée des articulations où naissent des espaces audacieux: ainsi les mots s'entendent, la poésie éclaire notre chemin dans le chaos. En reliant le vertical au transversal, Huysman fait émerger une nouvelle poésie : les corps s'entremêlent, s'emboîtent, se soutiennent, impulsent d'autres formes. Si un élément flanche, tout s’écroule. L’interdépendance trouve ici sa magnifique traduction.Je suis médusé de voir ce jeu de Legos où je crée moi-même ma carte du monde. C'est de la poésie dans la poésie, si bien que l'on peut parfois se perdre dans cette complexité. Qu'importe, il suffit de se laisser guider par la musique des mots, de sortir de notre conditionnement qui nous oblige à tout comprendre, à tout moment. Ces acteurs sont magnifiques, ils portent la pièce à bout de bras (c'est le cas de le dire) et permettent de m'identifier à l'un, à l'autre. La vision de Huysman n'est pas pessimiste : si nous dépassons nos rigidités, nous pouvons créer un nouvel art conceptuel, basé sur la poésie et joué par des artistes pluridisciplinaires qui relie le corps et le texte. Le chaos est créatif si nous acceptons les articulations. « Human » est une réponse à ceux qui dénonçaient la place faites aux nouvelles formes artistiques lors de l'édition 2005 du Festival d'Avignon.
Avec deux aiguilles, trois mâts chinois, un cadre fixe et une échelle, Christophe Huysman nous emmène loin. Il a prévu l'échelle pour nous aider à monter, des comédiens ? poètes pour nous soutenir et l'art pour voir loin. J'y vais.


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Crédit photo: Magali Fangat / Christophe Raynaud de Lage


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Au Festival d’Avignon, « Battuta » de Bartabas tourne joyeusement en rond.

  En 2003 au Festival d’Avignon, Bartabas avait choqué de nombreux professionnels et spectateurs au sujet de la crise des intermittents. Replié dans son Théâtre Équestre, il était apparu méprisant, autoritaire et loin des réalités économiques et sociales. Sa création d'alors « Loungta, les chevaux de vent » ne fut jamais montrée. J'en garde envers l'homme un ressentiment. Seul l'artiste peut me faire oublier ses paroles.
Trois ans plus tard, je me rends au Domaine de Roberty, près d'Avignon, pour « Battuta » . Le chapiteau est bondé ; le public survolté applaudit à tout rompre. Le dispositif scénique est de toute beauté : au centre, un puits de lumière d'eau descend. Sur chaque côté de la piste, un orchestre : l'un joue une musique classique, presque mélancolique ; l'autre est une fanfare venue de Moldavie. Pendant tout le spectacle, ils se répondent comme dans un dialogue où le blanc et le noir, la vie et la mort s’affronteraient!  Bartabas nous invite au voyage: une population nomade va d'un territoire à l'autre. Elle emmène avec elle roulottes, chevaux et des familles en complète recomposition. Le mariage modifie les équilibres et nous voyons sous nos yeux comment les liens entre individus peuvent changer la donne. J'assiste à une course poursuite entre le père, ses amis et l'homme qui épouse sa fille.
Finalement, tout le monde se court après ! Je souris à certaines scènes (le défilé de quinze roulottes, toutes extravagantes les unes des autres), alors que certaines sont déplacées (le nomade qui vole le sac d’une femme, les jeux virils des hommes). Je m’interroge sur l’omniprésence des policiers sur scène (message subliminal pour soutenir la politique de Sarkosy envers ces populations?).

Malgré tout, je finis par m'ennuyer de ce jeu répétitif. Il n'y a aucun temps mort pour respirer comme si Bartabas évitait le sens. Que veut-il nous dire ? Où est la réflexion que procurent la plupart du temps ses ?uvres ? Bartabas plonge dans le divertissement le plus total alors qu'il est programmé dans un Festival de création. Je ne doute pas qu'il assure la billetterie, mais cela justifie-t-il tout ? Se poser la question du sens n'empêche pas le divertissement. Bartabas en fait l'économie dans un département, le Vaucluse, qui rejette massivement les populations nomades, vote à 40 % pour le Front National. Je sais, j'extrapole, j'en fais un peu trop, ?Mais ce serait tout de même intéressant d'interpeller Bartabas, lui qui ne s'est pas gêné il y a trois ans de donner des leçons de théâtre et de démocratie?

Pascal Bély
www.festivalier.net

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Au Festival d’Avignon, « Mnemopark » devrait inquiéter…


Derrière ce titre, une inquiétude, des questionnements, une réflexion. Existe-t-il beaucoup d'?uvres qui autorisent une telle cogitation ? Cela dit, « Mnemoark » du Suisse Stefan Kaegi n'est pas  la « révélation » du Festival, comme le laisse entendre la rumeur. Il faudrait pour cela que l'art transcende les clivages. C'est loin d'être le cas avec cette oeuvre réductrice.
Ils sont cinq, âgés de plus de soixante ans, passionnés de modélisme. Ils ont reproduit la ligne de chemin de fer de leur canton, en Suisse. Ils sont accompagnés d'une comédienne et d'un autre passionné, français celui-là, originaire d'Avignon. Ils nous proposent pendant plus d'une heure trente un voyage dans leur région, à l'heure de la mondialisation. J'ai parfois l'impression d'assister à un film documentaire (le petit train dispose d'une minuscule caméra, les passionnés n'hésitent pas à prendre le caméscope pour nous offrir sur un écran géant des panoramas saisissants !). La comédienne, avec son sifflet, est la chef de gare. Elle ordonne les arrêts et les départs pour permettre à chaque passionné d'expliquer, à leur échelle (réduite), les effets de la mondialisation. Si la France s'inquiète de la Chine et des musulmans, la Suisse est préoccupée par l'Inde qui déstabilise tout à la fois le marché de la viande bovine et la culture en imposant ses choix cinématographiques bolywoodiens ! Parfois, avec la comédienne, nos amis modélistes s'amusent à un jeu : celui qui gagne a le droit de revenir dans le temps et d'être un personnage de modèle réduit.


Avec mes yeux de professionnel, je reconnais dans ce dispositif la notion d'objet flottant développé par le psychiatre Philippe Caillé à travers l'outil du « jeu de l'oie » qui permet d'aider les familles et les équipes à sortir des situations bloquées :« Les “objets flottants” développés par Philippe CAILLÉ et Yveline Rey consistent en stratégies, techniques, outils qui, au sein de la relation d’aide, favorisent l’établissement d’une zone neutre. Cet espace intermédiaire de liberté garantit la possibilité d’un dialogue innovant. Le jeu de l’oie systémique est un des “objets flottants” médiateur de la communication. Il dérive du jeu de l’oie traditionnel mais n’en conserve que l’idée d’un parcours semé d’embûches, matérialisé par un tableau très simplifié ». « Mnemopark » est donc un jeu de l'oie avec ses cases (les arrêts des gares) et médiatise la communication entre les personnes âgées, leur région, la globalisation et les spectateurs. « Ce parcours, qui se déploie dans plusieurs directions, permet à la fois de réinformer les consultants ( couple, famille, institution…) sur eux-mêmes et de complexifier la vision parfois réductrice de l’intervenant sur le problème. En substance, ce jeu de l’oie (Loi) systémique aboutit à une “co-construction” qui favorise un élargissement du champ. En ” dépliant” les strates successives de la structure qui relie les événements historiques, les valeurs, les sentiments et les jeux interactionnels de l’ici et maintenant, il contribue à modifier les regards et en conséquence les attitudes de chacun. ». Stefan Kaegi sait-il qu'il a transposé le « jeu de l'oie » sur la scène? Quand « Mnemopark » prend cette dimension thérapeutique, l'émotion est palpable surtout lors du jeu où les passionnés remontent leur passé. Mais cette dimension est noyée dans le dispositif, dans le jeu du jeu.

Avec mes yeux d'occidental curieux de tout, ouvert aux articulations complexes, la vision de la globalisation à travers ces personnes âgées est passéiste, égocentrique. Elles sont ridicules à s'amuser ainsi devant nous et le public l'est tout autant d'assister à ce petit jeu. Il n'hésite d'ailleurs pas à se marrer lorsque le provençal prend la parole. On rit de lui comme s'il était une bête de foire. Je me surprends à me moquer d'eux. J'ai honte.
Avec un regard d'indien, cette pièce est raciste. Elle ridiculise leur culture, positionne l’étranger comme un terroriste qui fait exploser les gares Suisses (si, si je vous assure?c'est le même amalgame que musulman = poseur de bombe). Surtout, elle voit l'Inde comme un peuple sous-développé qui envahit la Suisse avec ses tournages de films depuis qu’elle est en guerre avec le Cachemire. Que n'aurait-on pas dit et écrit si des passionnés de modélisme étaient de la  Creuse ? Mais voilà, la Suisse n'est pas dans l'Europe?
Finalement, aucune vision ne me satisfait, que je sois occidental ou indien. « Mnemopark » pour expliquer la mondialisation à l'échelle du territoire, se base sur un modèle binaire. L'utilisation du modèle réduit aurait pu faciliter une méta ? vision. On ne me propose qu'une vision réductrice, collée à la voie de chemin de fer. Stephan Kaegi ne voit pas la mondialisation comme un processus qui ouvre, diffuse la démocratie,  crée ce qui n'existe pas encore,  réduit ce qui perd du sens, menace en l'absence de projet global. Si tel était le cas, il aurait conçu une ?uvre d'art profondément innovante qui transcende les clivages, loin des idéologies. En se calquant sur les théories de José Bové (cité à plusieurs reprises), il charme le public français qui pousse rarement la réflexion plus loin que son pré-carré, vote « non » à la constitution, facilite Le Pen au deuxième tour d'une élection présidentielle et se prépare de nouveau à voter pour des candidats contestataires.  
« Mnemopark » révèle notre réduction. Je tente d'ouvrir en écrivant ce modeste papier. C'est ma seule réponse pour refuser que l'on transforme la scène de théâtre en modèle réduit. J'ai tant besoin d'ouverture?

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Stefan Kaegi au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles en 2008 avec “
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Le palmarés du Tadorne du Festival d’Avignon:



“VSPRS”
d’Alain Platel.
“Paso Doble” de Josef Nadj et Miquel Barcelo.
“Combat de nègre et de chiens” de Koltès par Arthur Nauzyciel.
“Au monde” de Joël Pommerat.
“Human” de Christophe Huysman.
“Rouge décanté” de Guy Cassiers.

“Faut qu’on parle!” d’Hamid Ben Mahi et Guy Alloucherie, “Sizwe Banzi est mort” de Peter Brook, “Récits de juin” de Pippo Delbono et “Pour tout l’or du monde” d’Olivier Dubois.

“La tour de la défense” et “Les poulets n’ont pas de chaises” de Copi par Marcial Di Fonzo Bo.
“Les marchands” de Joël Pommerat.

“Chaise”, “Si ce n’est toi” et “Le numéro d’équilibre” d’Edward Bond.
“Les barbares” d’Eric Lacascade.
“Pluie d’été à Hiroschima” d’Eric Vigner.

“Asobu” de Josef Nadj.
“Mnemopark” de Stefan Kaegi.
“La poursuite du vent” par Jan Lauwers.
“Battuta” de Bartabas.
“Mondes, Monde” de Frank Micheletti.
“Journal d’inquiétude” de Thierry Baë.
“Depuis hier. 4 habitants” de Michel Laubu.

“La course au désastre” de Christophe Huysman.
“Gens de Séoul” de Frédéric Fisbach.


En bons derniers…
“Sans retour”
de François Verret
“Mozart et Salieri”
et “Iliade Chant XXIII” par Anatoli Vassiliev.
“Ecrits de Jean Vilar” par Olivier Py.

“Le bazar du Homard”
par Jan Lauwers.

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EN COURS DE REFORMATAGE

En Avignon, Marcial Di Fonzo Bo et Copi font leur festival.

La présence de Marcial Di Fonzo Bo au Festival d’Avignon est en soi un événement. C’est un grand acteur, aujourd’hui metteur en scène et membre du collectif « Le théâtre des Lucioles ». Mais surtout, il affirme son positionnement en programmant trois œuvres de Copi, « La Tour de la Défense », « Les poulets n’ont pas de chaises » et « Loretta strong ». Il rend ainsi hommage à cet auteur et dessinateur du Nouvel Observateur, décédé en 1987. Pour cela, Martial Di Fonzo Bo investit le Lycée Mistral. Comme pour Olivier Py l’an dernier, je retrouve l’ambiance de la troupe de théâtre installée dans la durée : les enfants qui courent, le public au bar, et un magnifique chapiteau crée par le Théâtre Dromesko. Cette atmosphère contribue à soutenir l’œuvre de Copi.

« La tour de la Défense » se joue dans le gymnase du lycée. Le dispositif bi-frontal met l’appartement au centre et permet de l’apprécier dans toute sa complexité à partir du regard horizontal. Luc et Jean vivent ensemble dans cet appartement avec vue panoramique sur la capitale. Tout paraît transparent (leur mode de vie gay et les excentricités qui vont avec) mais leur solitude individuelle ne fait aucun doute. Ils semblent vivre l’un à côté de l’autre. Daphnée, leur voisine de palier, leur rend régulièrement visite. Sous acide en permanence, elle n’assume plus son rôle de mère à l’égard de sa petite fille, âgée de 3 ans. Micheline, travestie la nuit, est invitée pour ce réveillon du jour de l’an. Elle est là par hasard, mais rien n’est moins sûr. Ahmed fait irruption comme amant présumé de Daphnée et « arabe » de son état. Il s’engage avec courage et détermination à préparer ce réveillon de folie. Entre un énorme serpent qui sort des toilettes (il finit au four farci avec un rat), les évanouissements répétés de Daphnée, les engueulades du couple, et la découverte macabre de la petite fille dans une valise, rien ne nous est épargné. L’absurdité des situations est portée par une mise en scène exceptionnelle. Elle repose sur le jeu des acteurs (cela peut paraître évident, mais méfions-nous des évidences !) : Marina Foïs est sublime, touchante et Pierre Maillet est criant de vérité en travelo. L’ensemble de la troupe porte l’œuvre de Copi comme un défi qu’il faut relever dans ce Festival. Je le vois, je le sens. Aucun ne se positionne en meneur du jeu parce que l’enjeu n’est pas là : ce qui est central, c’est leur isolement, leur solitude affective et la fonction de la provocation comme seul mode d’expression de leur sentiment. Le rire du public traduit la tension souterraine de l’histoire, mais aussi la gêne que provoque le comportement déviant. Pourtant, Martial Di Fonzo Bo arrive à jouer l’homosexuel comme vous et moi ! Une performance d’acteur ! Au final, « La tour de la Défense » est un beau moment de théâtre qui positionne Copi comme un auteur d’Avignon. Le Festival finira bien par lui faire la cour.

Le deuxième spectacle, « Les poulets n’ont pas de chaise » se joue un soir de finale de la coupe de monde de football. Décidément, tous les matchs de l’équipe de France m’ont poursuivi de Marseille à Montpellier, jusque dans la cour du Lycée Mistral ! Si la France a perdu ce soir-là son idole et son trophée (belle image que ce sale coup de tête qui finalement vaut de l’or…Futé ce Zidane !), Martial Di Fonzo Bo a gagné le public ! « Les poulets.. » est un bijou de créativité et de croisement des arts. Les dessins de Copi sont à la fois projetés sur un fin tissu blanc qui sépare la scène du public, mais joué par une troupe d’acteurs exceptionnels. Les dessins provocateurs de Copi, publiés la plupart par Le Nouvel Observateur dans les années 60 – 80, deviennent vivants ! L’alternance des saynètes, leur appui par la vidéo, l’orchestre musical en direct, donne au tout l’impression de voir un dessin animé, un film au ralenti. Martial Di Fonzo Bo est magistral et mène son groupe comme un coq dans un poulailler. C’est drôle, instructif pour qui ne connaît pas l’univers de Copi. Mais surtout, la mise en scène est d’une telle créativité qu’elle positionne Martial Di Fonzo Bo comme le crayon de Copi. Ces poulets ne sont décidément pas prêts de passer à la casserole !

L’entracte permet de se remettre de ces émotions et de goûter à l’ambiance si calme de la cour du Lycée (sic). Le dernier spectacle de cette soirée, « Loretta Strong » déçoit. C’est l’histoire du cosmonaute qui vient d’apprendre par la radio que la terre a explosé. Seule, elle se retrouve au milieu du chaos à devoir survivre, à devoir aimer (quitte à ce que cela soit avec un rat !). Martial Di Fonzo Bo est suspendu au dessus du public, à la mort. J’ai du mal à rire, à me laisser aller. Le texte est lourd comme Loretta au-dessus de ma tête. Je m’ennuie comme une farce un peu longue dont on attend la fin pour applaudir et dire merci, soulagé. C’est peut-être la pièce de trop, jouée sur un coup de tête. Sacré Zidane !

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EN COURS DE REFORMATAGE

Au Festival d’Avignon, le homard réchauffé de Jan Lauwers.

En 2004, au Festival d'Avignon, « La chambre d'Isabella » du metteur en scène Flamand et plasticien Jan Lauwers fut un triomphe. En 2005, « Needlapb 10 » était une série d'idées de spectacles qu'il souhaitait expérimenter avec les festivaliers. Ce fut un bide même si le concept de laboratoire était intéressant. En 2006, Jan Lauwers nous propose « Le bazard du Homard » dont nous avions pu voir un (mauvais) extrait l'an dernier. De 15 minutes de cuisson, nous en prenons pour 1h30. Au final, un plat indigeste, mal préparé. Ce sont les restes de la veille dont il faut bien se débarrasser pour ne pas gâcher la nourriture. En 2006, ayant encore le goût de « La chambre d'Isabella » dans la bouche, le public d'Avignon n'est pas très regardant sur le met. La malbouffe traverse aussi les arts vivants?

De quoi s'agit-il ? D'une histoire de homard décliné à toutes les sauces. Au commencement, un serveur dans un restaurant fait tomber le crustacé sur la veste blanche d'Axel. Celui-ci vient de perdre son fils, Jef, d'un arrêt cardiaque au bord de la mer (le homard, la mer?Vous suivez ?). Sa femme, Theresa, ne s'en remet pas. Axel est professeur de génétique. Il a du génie pour avoir créé deux clones : un ours (Sir John Ernest Saint James?Hilarant, non ?) et Salman (le premier clone humain). Très vite, il s'aperçoit que Salman ne pourra jamais remplacer son fils perdu. Pas plus que Mo, le réfugié. Quant à Nasty, la jeune fille à la beauté éphémère?J'arrête là. Écrire la suite de l'histoire nécessite l'assistance d'un psychiatre. Il est impossible de décerner le sens au premier, deuxième, troisième degré. Pour combler le vide abyssal, Jan Lauwers empile les métaphores les unes sur les autres en souhaitant que le spectateur fasse lui-même sa sauce. On lui raconte l'histoire de l'histoire, au cas où il ne comprendrait pas qu'il est au théâtre. L'imagination du public est tellement contrôlée que cela en devient autoritaire. On agrémente le tout de quelques chansons insipides (même la Star Academy renverrait ces chanteurs de pacotille à leurs charmantes études), de vidéos consternantes de prétention. Pour donner à ce homard un goût presque avarié, on l'embellit d'une danse déjà vue et revue dans les différentes ?uvres de Lauwers. La chorégraphie voudrait nous faire ressentir la vie dramatique de nos protagonistes : elle renforce surtout l'amateurisme ambiant et le bâclage du tout. Ce collectif nivelle toutes les disciplines vers le bas. Chaque acteur semble s'ennuyer ferme et se demande ce qu'il fait dans ce mauvais cauchemar.
Jan Lauwers utilise la trame qui avait fait le succès de la chambre d'Isabella : un savant mélange de danse, de chanson, de théâtre, et d'art contemporain articulé autour d'une magnifique histoire de vie qui faisait résonance avec le public. Avec ce bazar, Jan Lauwers brouille les cartes par orgueil, à partir d'une histoire à plusieurs entrées (se croit-il le David Lynch du théâtre ?). Au final, « Le bazar du homard » fait de la philosophie de comptoir.
Je conseille à Jan Lauwers de s'éloigner pendant quelque temps du Festival d'Avignon pour laisser la place à d'autres mets.  Ce homard est trop difficile à digérer. Isabella le renverrait sûrement en cuisine.

Crédit photo: Fred Nauczyciel.

?????? “Le bazard du Homard” de Jan Lauwers.

 

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Au Festival d’Avignon, « Mozart et Salieri » façon Poutine.

Je ne compte pas épiloguer très longuement sur cette pièce affligeante. « Mozart et Salieri. Requiem » mis en scène par Anatoli Vassiliev se joue dans le beau site de la Carrière de Boulbon. Un décor en carton pâte et une alcôve en plexiglas posent le cadre de cette pièce ringarde. Le spectacle est composé de deux parties. La première étant « la scène dramatique » Mozart et Salieri d’Alexandre Pouchkine où se joue la légende selon laquelle Saliéri empoisonne son concurrent. La deuxième est un Requiem de Vladimir Martynov. Ni l’une, ni l’autre ne donnent à l’ensemble une cohérence artistique.
La relation entre Mozart et Saliéri est réduite à sa plus simple expression : les acteurs déclament leur texte comme dans les années cinquante à la Comédie Française. Les costumes renforcent le côté kitch de cette mise en scène d’un autre âge. La chorégraphie des musiciens et du chœur des anges fait davantage référence à une danse folklorique qu’à un travail sur les corps. La relation complexe entre les deux compositeurs aurait pu inspirer. En outre, Anatoli Vassiliev fait le choix d’accompagner l’intensité dramatique par toute une série de rites religieux. J’ai l’étrange sensation d’être à la messe. Ce choix artistique est paresseux. Je ne tarde pas à prendre mon blog de papier pour écrire : « Rendez-nous Jan Fabre ! » pour le montrer à mes voisins de côté et de derrière ! L’arrivée d’un diable avec un sexe de bois en érection finit par provoquer l’hilarité générale quand j’évoque l’arrivée de Sarkosy.
Plus sérieusement, cette pièce dégage une atmosphère pesante, malsaine comme si la mise en scène était l’oeuvre d’un homme influencée par un contexte totalitaire en Russie. Mais je m’égare…

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