Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Aux Rencontres d’été de La Chartreuse, Hervé Loichemol fait fondre la crédibilité de la justice italienne.

« En 1988, Adriano Sofri, ancien dirigeant de Lotta Continua, fut accusé par un repenti d’avoir commandité l’assassinat du commissaire Calabresi 16 ans plus tôt. Après une dizaine de procès entachés d’irrégularités, d’incohérences et de manipulations, il fut condamné à 22 ans de prison avec deux de ses camarades. Recours juridiques, manifestations de solidarité, publications, spectacles, appels divers et demandes de grâce n’y ont rien fait : enfermé dans la cellule nº 1 de la prison de Pise, Sofri n’en sortira qu’en 2015. Il aura alors 73 ans. Pas très loin de là, son dénonciateur vend des crêpes. ».
Ce préambule, écrit par le metteur en scène Hervé Loichemol pour présenter « Lever les yeux au ciel » de Michel Beretti, pose le contexte de l’histoire, mais aussi la colère de l’auteur envers la justice italienne. Dans le cadre feutré de La Chartreuse de Villeneuve Lez Avignon se joue une œuvre politique qui auraient eu sa place au Festival d’Avignon aux côtés de Peter Brook et d’Edward Bond. Pour nous raconter ce scandale, Hervé Loichemol a presque crée deux pièces dans une seule mise en scène.
La première voit trois acteurs s’affairer à nous décrire les faits: d’un côté une petite partie du Pôle Nord fond d’année en année du au réchauffement de la planète; de l’autre un homme qui est en prison alors qu’il n’a rien à y faire. En fait, de l’infiniment grand à l’infiniment petit, le processus est le même : cela ne devrait pas exister. Alors que nous sommes capables de nous émouvoir pour un scandale écologique, nous laissons un pays européen bafouer les droits de l’homme les plus élémentaires. Ce rapprochement des faits pourrait paraître incongru, voire culpabilisant. Sauf qu’en posant les éléments du contexte antarctique, les comédiens nous préparent à l’écologie politique. Ils nous accompagnent, car le sujet a de quoi nous faire fuir : la justice italienne n’est pas une problématique facile à comprendre. Avec humour et gravité, ils passent d’une scène à l’autre, sans qu’il y ait toujours un lien de cause à effet, comme pour mieux nous démontrer l’absurdité de cette décision de justice. La mise en scène épouse à la fois l’aspect chaotique de l’Italie et la complexité de la situation d’Adriano Sofri.
Avec empathie et détermination (mention toute spéciale à Marie-Catherine Theiler), les comédiens nous tiennent en haleine pendant plus d’une heure. Ils réussissent à établir une proximité avec le public en créant les conditions de l’incarcération. Troublant.
La deuxième partie du spectacle est extraordinaire. Un homme en costume s’assoit face à nous. Il joue Adriano Sofri. Il nous raconte sa vie de prisonnier et ses déboires avec la justice italienne. Le théâtre opère la magie : il libère la parole de cet homme, sa cellule à Pise est dans la Cave des 25 toises de La Chartreuse. Et pour que ses mots ne s’évadent  pas, il prend une caméra et nous filme. Notre image est projetée sur un écran. Nous sommes renvoyés à nous-mêmes, à notre conscience de citoyen européen. Ce positionnement à priori flou prend alors sa dimension.  Le Pôle Nord et Adriano Sofri sont liés. Si l’un craque, l’autre aussi. Tous les deux sont interdépendants, car reliés au projet européen.
À nous de faire en sorte qu’il ne fasse pas seulement partie du décor d’un théâtre.

A voir, des extraits vidéo du spectacle.


Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Au Festival d’Avignon, la Pluie d’été d’Eric Vigner aurait suffi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y a d'abord un décor le plus original jamais vu jusqu'à présent : six alcôves, un dispositif bi-frontal et un plateau style pop-rock des années 70. Je suis au Cloître des Carmes pour « Pluie d'été à Hiroshima » du metteur en scène Éric Vigner. En réalité, deux oeuvres nous sont proposées l'une après l'autre : « Pluie d'été » et « Hiroshima mon amour » de Marguerite Duras.
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette « Pluie d'été » est inoubliable ! Six jeunes comédiens fougueux déclinent avec ravissement le texte de Duras. Je me surprends de les suivre du regard comme si je découvrais un nouveau monde. Car, je dois bien l'avouer, je n'ai jamais été un lecteur de Marguerite Duras par peur d'approcher son écriture. Or, Éric Vigner désacralise Duras pour la mythifier. Le décor y contribue (nous sommes dans un ailleurs) et le jeu des acteurs est sublime parce qu'ils font des mots de Duras une sorte de musique qui m'enveloppe.
Voir et entendre Nicolas Marchand (à droite sur la photo) dans le rôle d'Ernesto procure du plaisir. Je souris avec lui, avec eux. À dix ans, il ne veut plus aller à l'école « parce qu'à l'école, on m'apprend des choses que je ne sais pas ». C'est à partir de cette phrase paradoxale que gravite l'univers d'Ernesto et de sa famille. Ils construisent ensemble une réalité qui nous élève. D'ailleurs, nous devons lever la tête pour voir le jeu. Ernesto est cet autre que nous aimerions être. J'ai profondément aimé ce moment de théâtre parce qu'il donne des sensations physiques et mentales proches de l'extase. Comment voulez-vous que j'écrive là-dessus!
Je n'ai pas le temps de me reposer que le deuxième texte de Marguerite Duras se joue. « Pluie d'été à Hiroshima » commence alors que je pense au devenir d'Ernesto.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Elle, c'est Jutta Johanna Weis, la Française de Nevers tondue en 1945. Lui, c'est Atsuro Watabe, le Japonais qui a survécu au bombardement sur Hiroshima. Ils se cherchent en tournant autour de la scène. Ils dialoguent via une bande-son. Je m'étonne de cette mise en scène qui n'apporte rien au texte de Duras, mais qui le rigidifie dans un jeu ampoulé. Puis ils se parlent en face à face. Je comprends difficilement Asturo Watabe (comme s'il machait un chewing-gum) ; je m'agace à voir cette actrice française s'exprimer comme une bourgeoise qui aurait perdu son sac à main au Monoprix du coin. Pour en rajouter dans le grotesque, la mort rode, symbolisée par des comédiens qui portent des serpillières noires où pendent de chaque côté des lumières. C'est laid et ridicule. Mes voisins souffrent. Je piétine. C'est un massacre qui dure
quarante-cinq minutes.  Je ne m'explique pas cette erreur de mise en scène. Éric Vigner a-t-il été aveuglé pour ne pas voir l'absence totale de crédibilité de ces deux acteurs?
Le public applaudit chaleureusement les six comédiens de « Pluie d'été ». Nous leur signifions qu'ils ne sont pour rien dans ce qui a précédé. Ernesto ne peut sauver ces deux acteurs en perdition. Il a déjà assez à faire avec nos désirs.

Pascal Bély – www.festivalier.net


Le  bilan du Festival d’Avignon 2006, c’est ici!

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Avec “Au monde”, Joël Pommerat révèle son théâtre d’’ombres et de lumières.

J’ai découvert Joël Pommerat, jeune auteur et metteur en scène. Il  présente pour la première fois au Festival d'Avignon, deux pièces de son répertoire : « Au monde » et « Les marchands » vues à quelques heures d'intervalles, par ce samedi caniculaire. C'est un univers théâtral qui positionne le spectateur au centre d'une réflexion globale sur la famille et la société de consommation.
« Au monde » est la proposition la plus réussie. La plus troublante aussi. Celle qui résonne chez chacun de nous, car elle évoque un système connu de tous : la famille. Dans le cas présent, nous sommes plongés au c?ur d'une entité familiale où les intérêts économiques (la succession du père, grand patron de l'industrie) s'entrechoquent avec la fragilité psychologique de ces hommes et femmes qu'a priori tout oppose. Le décor est noir à l'image de cette famille précipitée dans l'obscurité de ses secrets ; blanc comme l'ouverture vers l'extérieur, vers la rue bruyante. A partir de ce jeu de contrastes, Joël Pommerat scrute la famille. Ces différents angles de vue m'amènent parfois à me frotter les yeux pour vérifier que je n'ai pas rêvé. La musique appuie l'intensité dramatique comme le bruit de fond du secret familial qui se transmettrait de génération en génération. Les lumières et les changements de décor incessants produisent une étrange sensation : tout change, mais rien ne change même si le jeu des alliances et des coalitions peut donner l'impression du mouvement. Entrer dans cette famille, c'est être pris dans un jeu d’équilibristes dangereux. Et pourtant, elle est assiégée de partout.  Il y a d'abord le retour du fils cadet, Ori, parti depuis cinq ans après avoir servi dans l'armée de l'air. Il revient, menacé d'aveuglement (dans tous les sens du terme), et va prendre malgré ses hésitations, la succession de son père. Il commence à se taper la tête contre les murs à force de ne plus voir la réalité, à s'enfermer dans sa chambre pour réfléchir à ce qu'il veut faire réellement de sa vie ; il sort le soir, alors que rode un individu qui assassine les femmes.
Il y a la fille aînée, enceinte, qui n'évoque jamais cet enfant à venir, mariée à un homme brillant. Il provoque en permanence la famille en affirmant, à qui veut bien les entendre, ses croyances d'un monde transparent, où tout pourrait se dire. Plus il clame, plus il s'enferme comme s'il suffisait d'affirmer des vérités pour qu'elles se jouent.
Il y a la cadette, célibataire et présentatrice de télévision. Belle, elle déborde d'amour, mais prise au piège de ses jugements de valeur, elle enferme tout ce qu'elle touche. Elle finit par animer une émission de télévision avec des chiens qui jouent aux humains.
La troisième fille s'appelle Phèdre. Elle est adoptée pour remplacer une s?ur morte. On ne cesse de la prendre pour ce qu'elle n'est pas, de la couvrir de baisers, jusqu'au père qui n'hésite pas à la consoler, une fois la nuit tombée.
Au beau milieu de ce huit clos étouffant, il y a cette jeune femme qui ne parle pas le français. Elle est employée pour aider la fille aînée, mais elle semble occupée à toute autre chose. Elle symbolise l'ouverture, le mouvement, la libération de la femme. Elle apparaît parfois comme dans un rêve: elle chante, telle une tragédienne, des chansons de variétés. On croirait entendre et voir Dalida. Elle sait, elle sent ce qui se joue. Sa seule présence pourrait conduire la famille vers la guérison.
Car, rien n'est fermé dans cette pièce à l'image du dernier tableau où les trois s?urs unies nous proposent un nouveau modèle horizontal à même d'affronter la complexité.
Entre chronique sociale, économique, familiale, Joël Pommerat nous donne à voir une ?uvre de toute beauté. Les scènes dépassent rarement cinq minutes  et j'assiste, médusé, à du théâtre qui s'apparente parfois à un film de cinéma. Mais surtout, Joël Pommerat imbrique tout : la société médiatique transforme la communication au sein des familles, elle met tout au même niveau, et cautionne un  capitalisme joué par des managers aveugles. C'est ce tout qui donne à cette ?uvre théâtrale sa force et son actualité. Les comédiens sont exceptionnels dans l'espace qui leur est donné. Dans leurs déplacements, leurs corps sont langage. La mise en scène suggère et c'est au spectateur qu'il revient de faire les hypothèses à partir de ses résonances sur sa propre histoire familiale. Entre cinéma et théâtre, Joël Pommerat crée un nouveau territoire où ne sommes plus seulement assis dans la salle mais dans une sorte d'entre-deux entre l'art et la psyché. Pour l'instant, je n'arrive pas à l'écrire autrement. C'est peut-être ce que l'on nomme le flou artistique.

Pascal Bély
www.festivalier.net

Revenir au sommaire Consulter la rubrique théâtre
Voir aussi la critique sur
“Les marchands” de Joël Pommerat.

Le  bilan du Festival d’Avignon 2006, c’est ici!


 

Le palmarés du Tadorne du Festival d’Avignon:

“VSPRS”
d’Alain Platel.
“Paso Doble” de Josef Nadj et Miquel Barcelo.
“Combat de nègre et de chiens” de Koltès par Arthur Nauzyciel.
“Au monde” de Joël Pommerat.
“Human” de Christophe Huysman.
“Rouge décanté” de Guy Cassiers.

“Faut qu’on parle!” d’Hamid Ben Mahi et Guy Alloucherie, “Sizwe Banzi est mort” de Peter Brook, “Récits de juin” de Pippo Delbono et “Pour tout l’or du monde” d’Olivier Dubois.

“La tour de la défense” et “Les poulets n’ont pas de chaises” de Copi par Marcial Di Fonzo Bo.
“Les marchands” de Joël Pommerat.

“Chaise”, “Si ce n’est toi” et “Le numéro d’équilibre” d’Edward Bond.
“Les barbares” d’Eric Lacascade.
“Pluie d’été à Hiroschima” d’Eric Vigner.

“Asobu” de Josef Nadj.
“Mnemopark” de Stefan Kaegi.
“La poursuite du vent” par Jan Lauwers.
“Battuta” de Bartabas.
“Mondes, Monde” de Frank Micheletti.
“Journal d’inquiétude” de Thierry Baë.
“Depuis hier. 4 habitants” de Michel Laubu.

“La course au désastre” de Christophe Huysman.
“Gens de Séoul” de Frédéric Fisbach.


En bons derniers…
“Sans retour”
de François Verret
“Mozart et Salieri”
et “Iliade Chant XXIII” par Anatoli Vassiliev.
“Ecrits de Jean Vilar” par Olivier Py.

“Le bazar du Homard”
par Jan Lauwers.

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Au Festival d’Avignon, Fréderic Fisbach rend les gens de Séoul ennuyeux.

Ce dimanche après-midi, la température est devenue folle sur Avignon (39°). Je lis sur le visage des festivaliers la fatigue liée à cette canicule historique. Dans ce contexte, « Gens de Séoul » tombe très mal. C'est une pièce japonaise d'Oriza Hirata, surtitrée et mise en scène par Frédéric Fisbach.
Sur une petite scène, en dispositif bi-frontal, seize comédiens jouent la vie d'une famille japonaise installée en Corée. Nous sommes en 1909 et la ville de Séoul s'apprête à être totalement annexée par le Japon. On se croirait dans un salon de thé où l'on reçoit à intervalles réguliers des visiteurs.  L'observation de cette famille aurait pu nous faire ressentir ce contexte, et le processus complexe de la colonisation. Or, à mesure que les deux heures du spectacle s'écoulent, le public sombre dans la torpeur. Rien n'est fait pour l'aider à saisir la finesse de cette écriture. La scène est beaucoup trop réduite: elle concentre sur quelques mètres, le jeu relationnel de cette famille en proie à des conflits les plus souvent insidieux. Cela demande une attention constante, perturbée par la lecture en continu des surtitrages.
Pour compliquer définitivement le tout, Frédéric Fisbach nous donne à voir un jeu dans la pièce. Tous les protagonistes qui ne jouent pas circulent autour de la scène, élaborent des affiches qu'ils placardent contre les murs latéraux. Des images vidéo se projettent sur ces dessins. Il se joue donc quelque chose que le texte ne dit pas. La multiplication des points de vue finit par épuiser le spectateur. Je n’arrive plus à relier et je m’agace de ces mouvements ampoulés, rigides. Fréderic Fisbach sous-estime les effets d'une telle mise en scène sur le public. Je souris a à la lecture d'une interview pour le Festival d'Avignon : « Je m'appuie beaucoup sur son écriture (celle d’
Oriza Hirata, NDLR)
, mais je cherche à la pousser à bout en la plaçant dans un système qui ne lui ai pas adapté. C'est une façon de la tordre un peu. ». A ce niveau de suffisance, le public japonais finit par partir au bout d'une heure.
Quant au public français, il aura l'honneur de retrouver Frédéric Fisbach comme Directeur associé du Festival en 2007. Nous n’avons pas fini de nous tordre le cou.

Pour réagir, cliquez ci-dessous sur “ajouter un commentaire“. Une fenêtre s’ouvre alors. Tapez votre texte puis recopiez les trois lettres qui vous sont proposées dans la petite case. A bientôt de vous lire.
Pour revenir à la page d’accueil, cliquez ici.


Le  bilan du Festival d’Avignon 2006, c’est ici!

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Au Festival d’Avignon, Guy Cassiers met le sujet à vif. Exceptionnel.

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=qKMmNu664MQ&w=480&h=295]

Il est 22h30 au Cloître des Célestins. La chaleur est étouffante. Comme si de rien n'était, Dirk Roofthooft se prépare dans un coin de la scène. Il porte une veste en laine. Il rappe sa voûte plantaire en émettant des petits grognements. La lumière s'éteint sur le public. Cet acteur exceptionnel découvert l'an dernier avec Jan Fabre, va bouleverser le public avec un monologue de plus d'une heure trente. « Rouge décanté » est adapté du livre éponyme autobiographique de Jeroen Brouwers « qui raconte les deux années passées avec sa mère et sa grand-mère en Indonésie dans le camp d'internement japonais de Tjideng (actuelle Djakarta) où ont été parqués les citoyens hollandais entre 1943 et 1945 ». Il avait cinq ans au moment des faits. À la mort de sa mère qu'il ne voit plus, il en a quarante. Il commence alors d'incessants allers ? retours entre les images de ce camp, ses ressentiments envers sa mère et son amour pour Lisa qui vient de mettre au monde sa petite fille. Cet homme libère cette parole, relie passé, présent, futur pour se retrouver. Il s’est longtemps perdu dans un espace vide où le beau n'existe pas, où la fonction maternelle fait souffrir, où la terreur de ses cinq ans s'est transformée en refoulements. Les atrocités vécues dans ce camp l'ont éloigné durablement du sublime, des émotions alors que sa femme vient d'accoucher. Face à nous, cet homme se reconstruit. Les transformations de l'espace scénique l'accompagnent dans ce cheminement. Du petit coin où il vit  reclus au début du monologue, il se lève pour affronter son passé. Le décor suggère le camp avec des petits bassins comme les rues de Djakarta. Il doit regarder cette réalité. Se regarder. C'est alors qu'il nous tourne le dos ; son visage se projette sur un écran en lamelles de bois qui s'ouvrent et se ferment, entre conscience et inconscience. Le décor parle aussi, se teinte de rouge et de blanc pour décanter la mémoire. Les caméras disposées aux quatre coins de la scène ne le lâchent pas comme pour mieux le soutenir dans sa démarche. Elles l'accompagnent comme un thérapeute. Elles lui renvoient son image, à partir d'angles de vues nichées au fond de son inconscient. Guy Cassiers ose créer un petit  espace scénique où l'acteur revit une scène sexuelle entre fantasme, rêve et réalité. La projection de son ventre se superpose sur son visage resté figé sur le grand écran. Il revient dans le ventre de sa mère. Magnifique. Sublime. 

Je reste accroché à ses lèvres comme suspendu à sa mémoire qui devient la notre. Comment de telles atrocités ont-elles pu se commettre ? Pourquoi l'humanité perpétue-t-elle encore aujourd'hui des crimes contre l’humanité? Dirk Roofthooft est Jeroen Brouwers. Mais il incarne bien plus que l'auteur. Son jeu transmet  au public cette mémoire, comme un bien commun, pour ne rien oublier. Il donne à voir ce qu'un homme peut faire pour revenir sujet : affronter le passé, le parler, ritualiser pour retrouver le sens et les sens.
En offrant à Guy Cassiers la scène du Cloître des Célestins, le Festival d'Avignon a vu juste. Il décante l'histoire universelle pour faire remonter à la surface de l'art théâtral un texte qui ne sera plus jamais enfoui sous le poids du déni.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Rouge décanté” de Guy Cassiers avec Dirk Roofthoot a été joué au Festival d’Avignon le 22 juillet 2006. En tournée (Martigues le 27 novembre 2009).

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Au Festival d’Avignon, Michel Laubu ne compte que 4 habitants.

Le thème du voyage, de l'imaginaire est au c?ur de cette 60e édition du Festival. Joseph Nadj n'a pas pu me faire décoller avec le trop hermétique «Asobu ». Malgré le souffle de ses machines, François Verret, ne m'a pas donné le billet aller pour « Sans retour » (il fallait bien que je case ce jeu de mots facile !).
Michel Laubu et son « Turak Théâtre » n'ont pas mieux réussi avec « Depuis hier. 4 habitants ». Pourtant, le lieu s'y prête. Nous ne sommes qu'à quelques mètres de la Maison Jean Vilar et du Palais des Papes, dans ce si joli jardin de la rue de Mons. Une centaine de spectateurs prend place face à ce dispositif scénique pour le moins original. C'est un petit espace fait d'objet de récupération. En attendant l'arrivée des comédiens, des violons mécaniques jouent de la musique et des vieilles machines à café envoient de la vapeur. Ils arrivent à trois pour faire fonctionner ce bric-à-brac. À chaque extrémité du dispositif, deux se positionnent dans des petites cahutes en bois tandis que Michel Laubu, le marionnettiste, est au centre. Il a ramené des matériaux après un voyage en kayak sur la Durance dont du bois patiné par l'érosion des courants. « Depuis hier. 4 habitants » est une galerie de quatre portraits avec un questionnement pour le moins complexe : « Sommes-nous au même moment dans quatre endroits du monde ?  Sommes-nous au même moment dans quatre endroits du monde ? Sommes-nous au même endroit à quatre instants différents ou avec le même individu à quatre moments de sa vie ? ».
Le résultat de ce questionnement est mitigé. Michel Laubu brouille les repères narratifs pour nous inviter à construire notre histoire alors que les objets sont omniprésents. Ils n'ont pas le pouvoir de me déconstruire: ils sont instrumentalisés et une technique linéaire régit leurs attitudes. Tout est trop bien huilé. Même si je ris à certaines scènes, je reste collé à cette mécanique. Je m'étonne même de ne rien ressentir comme si mon rire répondait aux rouages parfaits de l'objet. Seul un comédien peut réussir ce tour de force de m'emmener loin des sphères du réel.

J'ai passé un agréable moment, mais « Depuis hier. 4 habitants » sera vite oublié par le temps qui passe. Il n'y a plus qu'à souhaiter que le dispositif scénique devienne objet de récupération. Dans les mains des comédiens, il sera patiné et posé sur la scène comme  élément de décor d’une pièce d’Eric Lacascade!


Pour réagir, cliquez ci-dessous sur “ajouter un commentaire“. Une fenêtre s’ouvre alors. Tapez votre texte puis recopiez les trois lettres qui vous sont proposées dans la petite case. A bientôt de vous lire.
Pour revenir à la page d’accueil, cliquez ici.


Le  bilan du Festival d’Avignon 2006, c’est ici!

Par thématiques, les articles du Festival d’Avignon:
“Les sublimes”
“Le théâtre des maux”
.
“Les mondes enfermants”
“Les hors-jeu”

Le palmarés du Tadorne du Festival d’Avignon:

“VSPRS”
d’Alain Platel.
“Paso Doble” de Josef Nadj et Miquel Barcelo.
“Combat de nègre et de chiens” de Koltès par Arthur Nauzyciel.
“Au monde” de Joël Pommerat.
“Human” de Christophe Huysman.
“Rouge décanté” de Guy Cassiers.

“Faut qu’on parle!” d’Hamid Ben Mahi et Guy Alloucherie, “Sizwe Banzi est mort” de Peter Brook, “Récits de juin” de Pippo Delbono et “Pour tout l’or du monde” d’Olivier Dubois.

“La tour de la défense” et “Les poulets n’ont pas de chaises” de Copi par Marcial Di Fonzo Bo.
“Les marchands” de Joël Pommerat.

“Chaise”, “Si ce n’est toi” et “Le numéro d’équilibre” d’Edward Bond.
“Les barbares” d’Eric Lacascade.
“Pluie d’été à Hirosch
ima”
d’Eric Vigner.

“Asobu” de Josef Nadj.
“Mnemopark” de Stefan Kaegi.
“La poursuite du vent” par Jan Lauwers.
“Battuta” de Bartabas.
“Mondes, Monde” de Frank Micheletti.
“Journal d’inquiétude” de Thierry Baë.
“Depuis hier. 4 habitants” de Michel Laubu.

“La course au désastre” de Christophe Huysman.
“Gens de Séoul” de Frédéric Fisbach.


En bons derniers…
“Sans retour”
de François Verret
“Mozart et Salieri”
et “Iliade Chant XXIII” par Anatoli Vassiliev.
“Ecrits de Jean Vilar” par Olivier Py.

“Le bazar du Homard”
par Jan Lauwers.

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Au Festival d’Avignon, avec Edward Bond et Alain Françon, les spectateurs n’ont plus de chaises.

 

 

Deux pièces d'Edward Bond mis en scène par Alain Françon sont proposées en cette journée caniculaire de vendredi. « Chaise » et « Si ce n'est toi ».

La première nous convie dans un huit clos où une femme cache depuis vingt-six ans Billy. Elle l'a recueillie en 2051 alors qu'il était abandonné dans la rue. De peur d'être repéré par le Bureau des Enquêtes sociales, Billy n'est jamais sorti de ce deux pièces. Il a l'âge mental d'un adolescent qui passe sa journée à s'inventer un monde imaginaire à travers des dessins dont il tapisse le mur. Jusqu'au jour où Alice aide une prisonnière qui attend le bus avec un militaire. Prétendant porter une chaise à celui-ci, elle en profite pour fraterniser avec cette femme au bord de l'épuisement. Cette ouverture lui sera fatale. Billy perd Alice et se retrouve livré à lui-même dans une ville hostile.
Avec « Si ce n'est toi », nous sommes toujours en 2077. Un couple vit dans un appartement dénudé où seules une table et deux chaises font office de décor. Jams est un soldat et travaille pour un État répressif qui aseptise et contrôle la population. Sara est une femme soumise qui se réfugie dans ses habitudes et ses névroses. Mais un homme venant de l'autre bout de la ville (là où les suicides collectifs se multiplient) frappe à la porte et se présente comme le frère de Sara. Il s'assoit sur une chaise qui n'est pas la sienne. Il devient alors le grain de sable qui fait dérailler cette machine savamment huilée.
Ces deux pièces décrivent un monde où les hommes ne sont plus en capacité de penser par eux-mêmes. En dehors des alternatives binaires et illusoires que l'État leur propose, il n'y a aucune échappatoire, si ce n'est la mort. La maladie mentale est alors de ressentir, d'avoir des émotions, de transcender le réel par l'imaginaire et la créativité. Les comportements sont prévisibles et l'État, loin de produire des richesses et du bien public, réglemente et codifie la pensée à partir d'un système de surveillance sophistiqué. La puissance de l'écriture de Bond est de mettre en jeu ce que nous ressentons de l'évolution de nos sociétés. Il ne ferme pas tout. Dans les deux pièces, le public peut encore s'identifier: à cette femme qui apporte un soin relationnel à cette prisonnière en fin de vie quitte à se mettre en danger ; à cet homme qui, prit dans le conflit interminable du couple, croit au lien fraternel, à la force des souvenirs d'enfance.
Alain Françon s'appuie sur un groupe de comédiens exceptionnels. Ils paraissent lessivés lors des applaudissements comme si se projeter dans l'univers de Bond en 2077 avait épuisé leurs ressources d'acteurs. Je suis également fatigué tant l'intensité dramatique de la mise en scène positionne le public au centre jusqu'à déplacer le décor dans les gradins à la fin de « Chaise ». Françon nous intègre lorsqu'il accentue les contrastes entre l'État lointain, observateur, jugeant et contrôlant et les hommes et femmes en perte de conscience. Or, l'État, c'est nous qui le construisons. Certains spectateurs refusent peut-être de se positionner en prenant partie pour tel personnage contre l'autre. Françon nous oblige à voir le tout en interpellant notre conscience : la mort des protagonistes n'est pas seulement le fruit d'une interaction qui dysfonctionne dans la famille, dans le couple. Elle est le résultat d'un système que nous élaborons par nos lâchetés et notre désir de nous laisser aller à des facilités. Celles-ci reviennent à nier la complexité de l'être humain, à ne plus le voir comme un sujet en construction à partir de son inconscient.
A la sortie de « Si ce n'est toi », je rencontre un jeune couple d'enseignants. Autour d'un verre, nous échangeons sur ce théâtre qui bouleverse. À notre façon, nous avons entendu Bond et Françon : ensemble, loin des clichés et autres schémas réducteurs, nous échangeons, nous construisons, nous évoquons nos ressentis. Pour maintenir vivante la conscience humaine.


Pascal Bély
www.festivalier.net

Pour revenir à la page d’accueil, cliquez ici.

Le  bilan du Festival d’Avignon 2006, c’est ici!
Par thématiques, les articles du Festival d’Avignon:
“Les sublimes”
“Le théâtre des maux”.
“Les mondes enfermants”
“Les hors-jeu”
Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Au Festival d’’Avignon, François Verret s’isole avec « Sans retour ».

Depuis quelques jours, la danse fait  une entrée remarquée  au Festival d'Avignon. Nous en faisions l'écho hier à propos de la Compagnie Kubilaï Khan Investigations qui  présentait le magnifique « Gyrations of barbarous tribes » au Théâtre des Hivernales. Le chorégraphe Franck Micheletti y dessine un nouvel espace de croisement des cultures, de pluridisciplinarité qui s'appuie sur la force d'un groupe métissé où quatre danseurs du Mozambique côtoient ceux de la compagnie. Ils nous ont donné avec enthousiasme des clefs pour sortir de l'isolement pour approcher autrement la différence

Dans le même objectif, mais avec une autre démarche, le chorégraphe belge Alain Platel des Ballets C. de la B. a fait sensation hier soir avec « VSPRS » dans la cour du Lycée Saint Joseph. J'avais vu ce spectacle à Bruxelles en mai dernier lors du KunstenFestivalDesArts. Mon article faisait référence à mes résonances provoquées par « VSPRS ». Deux mois après, j'ai vu cette ?uvre enrichie de mes réflexions. La fascination pour le travail de Platel demeure. Il réussit avec ses onze danseurs et ses musiciens à concevoir un nouvel espace de créativité et de lien social. Les fous (puisque c'est d'eux dont il s'agit) ont comme point de départ ce que nous leur laissons (c'est-à-dire pas grand-chose) pour créer des interactions entre l'art, le sublime, et le religieux. Alain Platel frappe fort pour faire bouger nos consciences. Il nous donne l'énergie pour changer de regard sur la différence par l'art. Sans aucun doute, « VSPRS » restera le spectacle phare de cette 60e édition parce qu'il est au c?ur de la reconstruction du lien social.

« Sans retour » du chorégraphe François Verret n'aura pas de tels honneurs. Et pourtant, sa dernière création était attendue. Je me souviens encore de « Chantier Musil » vu au théâtre des Salins de Martigues au printemps 2005. J'en garde l'image d'un chorégraphe créatif, qui sait relier les arts du cirque et la danse pour un propos porteur de sens sur le monde, notre société et la place des artistes. Avec « Sans retour », François Verret a l'idée de nous proposer un voyage en bateau avec un équipage traquant une baleine. Il s'est inspiré de la lecture de « Moby Dick » d'Herman Melville, illustrée par la lecture de strophes extraites de « The Fiery Hunt » de Charles Olson. Sur scène, trois énormes souffleries et quelques éléments dans un décor blanc sont censés nous faire voyager. Le groupe largue les amarres, en quête d'un idéal, pour se réinventer, seul et à plusieurs. Il est prêt à tout pour tuer cette baleine quitte à s'aveugler du pouvoir qu'il confie au capitaine. Les souffleries sont alors au maximum pour freiner les individualités et le projet. Pour appuyer son propos, François Verret joue son propre rôle, métaphore de celui qui tire les ficelles de ce monde qui part dans tous les sens. Une jeune femme en retrait derrière un pupitre crie et chante les strophes. La pression sur l'équipage est insoutenable. Notre groupe se reconstitue après la mort de la baleine et crée un nouvel espace où les individus pourraient vivre autrement, ensemble.
En cinquante minutes, François Verret produit quelques beaux effets, mais sa vision de ce nouvel espace est enfermante, sans perspectives. La pluridisciplinarité au c?ur de cette traversée est quasiment absente (seul le danseur Dimitri Jourde de la Compagnie Kubilaï Khan Investigations, vu hier dans « Gyrations of barbaroustribes”  impose par sa présence). Les autres (trapézistes et circassiens) semblent porter à bout de bras ce voyage sans finalité. Quand le calme revient, ils paraissent tous désemparés, épuisés par ces souffleries qui les empêchent d'être des artistes. Entre le metteur en scène qui tire les ficelles et la chanteuse qui nous décrit le voyage (depuis quand me raconte-t-on une histoire quand je vais voir de la danse ?), tout paraît sous contrôle. Pour finalement savoir ce que nous savons déjà : les rapports sociaux dysfonctionnent, le lien social est malmené, les jeux de pouvoir personnels prennent le pas sur le projet. Il peut toujours mettre ses souffleries en marche, utiliser toutes les métaphores qu'il veut, sous-utiliser ses magnifiques acteurs, il n'a strictement rien à proposer. Il emprisonne la jeunesse dans une analogie qui n'ouvre pas.
Le public applaudit par convenance pour saluer ces artistes qui auraient mérité d'intégrer des compagnies métissées, ouvertes vers le monde et suffisamment mis en puissance pour être force de proposition. Finalement, François Verret est une métaphore à lui tout seul : celle d'un personnel politique enfermé dans des schémas linéaires de diagnostic.
La presse nationale légèrement complaisante parle, à propos de « Sans retour » d'un “nouveau départ“. Sauf que Platel et Micheletti sont déjà loin.

Pascal Bély
www.festivalier.net



Revenir au sommaire Consulter la rubrique danse du site.
“VSPRS” d’Alain Platel.

Gyrations of barbarous tribes” du Kubilaï Khan Investigations .

Le bilan du Festival d’Avignon 2006, c’est ici!

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Une journée avec Le Tadorne au Festival d’Avignon : la mise à nu.


Pour la critique de”Faune(s) ” d’Olivier Dubois, c’est ici.


Hier, “Le Tadorne” m'a offert une journée à ses côtés au Festival d'Avignon.
En dépit de ses m?urs grégaires, le Tadorne demeure farouche et cultive l'indépendance.
J'apprécie donc tout particulièrement d'être son équipière pour la journée.
Première étape : le Théâtre des Hivernales. La Compagnie Kubilai Khan Investigations présente “Gyrations of barbarous tribes“. Une heure de danse?
Nous sortons et ne parvenons pas à nommer ce que nous avons vu?.
Avec le recul d'une journée, je peux quand même détailler les faits : deux danseuses, quatre danseurs (dont le chorégraphe Frank Micheleti), trois musiciens, divers instruments de musique (percussions, table de mixage, violon, guitare électrique, bérimbau, balafon ou balle de tennis), deux paravents dorés seulement pour le décor, plusieurs rythmes dans la chorégraphie (vibrante jusqu'au paroxysme, organisée, déstructurée, organique toujours).
Pour le reste, on ne pas dire ce que l'on a vu.
Parce que ce que l'on a vu est trop beau pour être vrai.
Parce que ce qu'on a reçu ne peut être partagé.
Si la transmission a effectivement le beau rôle, comment décrire l'énergie, la joie, et le sentiment de liberté délivrés dans le spectacle ?

Alors même que ma journée de festivalière en herbe vient de débuter, je me demande comment je vais pouvoir poursuivre le programme prévu par Le Tadorne…!

Pas très bien hélas pour Christophe Huysman qui nous reçoit ensuite dans le cadre de La Chartreuse de Villeneuve-lès-avignon pour La course au désastre“.
Il dit 53 de ses poèmes pendant que 759 de ses Polaroids, sont projetés derrière lui.
Débits rapides de la voix et des images, je ne parviens pas à m'imprégner de son monde. Car c'est bien de son intime dont il s'agit. Sans détours, par les paroles et par les images, Christophe Huysman donne à voir son mal être. Pour avoir vu et entendu sa souffrance, je ressens de la gêne.

Mais nous n'avons pas le temps de nous appesantir sur cette Course au désastre, déjà bien éprouvés, nous courrons retrouver le Sujet à vif, toujours dans le cadre du Festival d'Avignon.
L'endroit est délicieux, ombragé, et doux. Un certain apaisement me gagne. Et ô joie ! Le spectacle débute par une nouvelle chorégraphie de Frank Micheleti !
Il présente le solo d'un jeune danseur éthiopien : Junaid Jenal Sendi. Je perçois les lointains échos de Gyrations of barbarous tribes mais ne comprend pas le sens. A l'image du jardin de la vierge qui nous accueille, « Mondes, Monde » est agréable et rafraîchissant.  Je flotte hélas à sa surface sans pouvoir saisir son propos.

Après un bref entracte, l'imposant Olivier Dubois entre alors en scène avec sa dernière création, « Pour tout l'or du monde ».
Placide et encostardé, il dépose avec précision de longs tubes de métal sur le sol. Une fois l'espace délimité, il vient progressivement y danser.
Je retrouve l'esprit de dérision souvent ressenti ce matin. En plus ravageur.
Olivier Dubois ironise sur l'académisme de la danse classique, l'aspect torturé de certaines partitions contemporaines et sur le sensuel des chorégraphies du r'n'b.
Il est drôle et émouvant. Drôle, car il maîtrise à merveille les expressions de son visage et crée un décalage entre le sérieux de son langage et le ridicule de sa mise en scène. Émouvant, parce qu'Olivier Dubois est gros et qu'il nous dit : « Regardez mon corps, je peux tout danser ! »
Au-delà, il nous interroge. Qu'est-ce qui est ridicule ? Son corps ou les codes de la danse ?
Dans tous les cas, le spectacle d'Olivier Dubois est drôle et futé, tout ce que j'aime.

Après une pause pique-nique-détente sur l'île de la Barthelasse, nous assistons à la mort d'Eva Peron dans le cadre du Festival Contre ? Courant organisé par la CCAS.
Le génial Marcial Di Fonzo Bo interprète et met en scène les derniers jours de la Madone argentine. Comme le décrit le Festival: « L'icône adulée du peuple se transforme sous la plume de Copi en une harpie cruelle et vulgaire ».
Mais ses acolytes ne valent pas mieux, affreux sales et méchants, l'argent et le pouvoir les motivent. Seule la dévouée infirmière est animée d'un c?ur pur?
C'est laid et c'est beau en même temps et je ne peux m'empêcher de faire le rapprochement avec l'univers d'Almodovar.

La journée s'achève et sa ligne directrice se dégage?il s'agit avec évidence de la mise à nu. Mise à nu des artistes et, dans le même temps, mise à nu des spectateurs.

Pour réagir, cliquez ci-dessous sur “ajouter un commentaire“. Une fenêtre s’ouvre alors. Tapez votre texte puis recopiez les trois lettres qui vous sont proposées dans la petite case. A bientôt de vous lire.
Pour revenir à la page d’accueil, cliquez ici.


Le  bilan du Festival d’Avignon 2006, c’est ici!

Par thématiques, les articles du Festival d’Avignon:
“Les sublimes”
“Le théâtre des maux”
.
“Les mondes enfermants”
“Les hors-jeu”

Le palmarés du Tadorne du Festival d’Avignon:

“VSPRS”
d’Alain Platel.
“Paso Doble” de Josef Nadj et Miquel Barcelo.
“Combat de nègre et de chiens” de Koltès par Arthur Nauzyciel.
“Au monde” de Joël Pommerat.
“Human” de Christophe Huysman.
“Rouge décanté” de Guy Cassiers.

“Faut qu’on parle!” d’Hamid Ben Mahi et Guy Alloucherie, “Sizwe Banzi est mort” de Peter Brook, “Récits de juin” de Pippo Delbono et “Pour tout l’or du monde” d’Olivier Dubois.

“La tour de la défense” et “Les poulets n’ont pas de chaises” de Copi par Marcial Di Fonzo Bo.
“Les marchands” de Joël Pommerat.

“Chaise”, “Si ce n’est toi” et “Le numéro d’équilibre” d’Edward Bond.
“Les barbares” d’Eric Lacascade.
“Pluie d’été à Hiroschima” d’Eric Vigner.

“Asobu” de Josef Nadj.
“Mnemopark” de Stefan Kaegi.
“La poursuite du vent” par Jan Lauwers.
“Battuta” de Bartabas.
“Mondes, Monde” de Frank Micheletti.
“Journal d’inquiétude” de Thierry Baë.
“Depuis hier. 4 habitants” de Michel Laubu.

“La course au désastre” de Christophe Huysman.
“Gens de Séoul” de Frédéric Fisbach.


En bons derniers…
“Sans retour”
de François Verret
“Mozart et Salieri”
et “Iliade Chant XXIII” par Anatoli Vassiliev.
“Ecrits de Jean Vilar” par Olivier Py.

“Le bazar du Homard”
par Jan Lauwers.

 

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Au Festival d’Avignon, Thierry Bae vend son journal avec moins d’inquiétude.

J'ai vu «Journal d'inquiétude» de Thierry Baë lors de l'édition 2005 du Festival «Danse à Aix» disparu depuis. Dans un contexte de repli du festival sur lui-même, ce spectacle avait renforcé un sentiment d’entre soi, dynamique mortifère.  La suite des événements m'a donné raison. Avec un peu de recul et dans le contexte d'Avignon, je serais moins sévère même si le côté nombriliste de l'?uvre continuerait sûrement  à m'agacer. Ci-dessous, ma critique de l'époque?

journal22-a54c5.jpg

«Thierry Baë arrive sur la scène du 3bisF, lieu de création artistique attaché au Centre Hospitalier psychiatrique de Montperrin d’Aix en Provence. C'est un homme de 46 ans, au beau parcours de danseur (je l'avais remarqué dans «Les Philosophes» de Joseph Nadj en Avignon il y a quelques années). Il a un micro caché dans les cheveux (décidément, les artistes y succombent tous?). Sa voix dicte ses mouvements de danse. L'exercice dure (péniblement?) vingt minutes. On saura plus tard qu'il est atteint d'une maladie pulmonaire qui l'empêche de faire de gros efforts.
Un film est projeté durant trente minutes sur le processus de création de l’oeuvre présentée ce soir. Tout commence par une rencontre avec Patrice Poyet, Directeur du Festival «Danse à Aix», à qui Baë promet la présence de Mathilde Monnier et de Joseph Nadj dans ce prochain spectacle. Poyet succombe (le succès est assuré), prêt à signer le contrat. Il s'ensuit  des rencontres ratées avec Nadj, Monnier et d'autres danseurs. C'est le film d'un naufrage annoncé. A la fin de la projection du film, Joseph Nadj apparaît sur scène et reproduit, sous les indications de Baë, la chorégraphie du départ, la grâce et le talent en plus. Malaise? J'assiste en direct au suicide professionnel de Baë! (NDLR : La tournée du spectacle et sa présence au Festival d'Avignon me donneront tort !)
C'est un spectacle chorégraphique où l'on m'impose trente minutes de film ; où le directeur du Festival “Danse à Aix” est un des acteurs principaux ; où un danseur en fin de carrière se fait voler la vedette par son mentor, valeur sûre pour tout programmateur  (d’ailleurs, Nadj sera lui même directeur associé de la prochaine édition du Festival d'Avignon en 2006?La boucle est bouclée).
Il aurait été sûrement plus risqué pour Thierry Baë de transmettre à un jeune danseur; d'éviter dans la dernière partie d’accompagner le geste à la parole (ou inversement!); de nous montrer un processus de création par la danse (et non à partir d'un film). Au lieu de cela, j'ai l’étrange sensation de connivence, d'un monde fermé, impitoyable, qui se regarde fonctionner. Quant à moi, j’observe ce joli petit monde avec dépit et amusement en attendant d’autres propositions qui, je le sais, ne manquent pas d’audace dans l’univers de la danse”.

Pascal Bély – Le Tadorne