Chaque mois d’octobre à Marseille se déroule un festival pour le moins atypique. «Dansem» diffuse des créations au croisement de la danse et de la performance du bassin méditérannéen dans des lieux parfois improbables. Ce soir, le nom de code du rendez-vous («Les bancs publics») sonne comme une invitation alléchante! J’ignore cette salle et pour cause. Nichée au cœur du quartier de la Belle de Mai, elle est une scène d’expérimentations culturelles. Ce festival se positionne donc clairement sur la recherche artistique ; comme le souligne un spectateur fumant sa cigarette sur le trottoir : «c’est sûr, ici, ce n’est pas le Zénith».
La première pièce, «Poussée» du chorégraphe tunisien Nejib Ben Khalfallah surprend par sa sincérité dans un milieu (la danse) peu enclin à nous montrer l’envers du décor. Deux musiciens, un danseur (en kilt, un Ipod à la taille et un masque sur le visage !) et Nejib Ben Khalfallah lui-même sont réunis au cours d’un processus de création en proie aux doutes du chorégraphe. A terre, un sac de voyage vidé progressivement de ses fragiles matériaux (magnétophone, photo, bouteille d’alcool,…). Nous sommes bien en Tunisie, pays riche sur les dépliants touristiques, mais pauvre en moyens alloués à la danse. Sur scène, ce milieu masculin (quoique très ambiguë!) se fragilise dès que les tâtonnements du chorégraphe émergent. À la danse quelque peu «stéréotypée » et provocante du danseur, répond la recherche du chorégraphe dont les mouvements empruntent des chemins chaotiques émouvants, mais jamais brouillons. L’écoute de l’enregistrement d’une conférence « occidentale » sur la danse perd le créateur, mais lui donne la force de s’affranchir des concepts fumeux et foireux. Le chorégraphe semble bien plus libre que son danseur, à moins que cela ne soit l’inverse ! Ce danseur en kilt est-il l’inconscient du chorégraphe ? Metaphorise-t-il le désir d’émancipation du Maghreb? C’est au spectateur de dénouer les fils d’un processus qui s’éloigne d’une linéarité enfermante : qui domine qui, qui s’émancipe de qui et de quoi ? Cette création rend possible tous les angles de vue comme si Nejib Ben Khalfallah cherchait toujours, loin des certitudes. Ces messages paradoxaux, voir confus, servent de fil rouge et confèrent à cette «Poussée» de bien jolies naissances créatives comme en témoigne la dernière scène où la transe solitaire du chorégraphe émeut jusqu’aux frissons.
La deuxième proposition, « Toy Toy » de Sabine de Viviès, jouée à 22 heures, nous replonge dans une œuvre très conceptuelle. Elle a le mérite de défricher de nouveaux territoires autour des articulations entre la danse et la vidéo comme une métaphore du « dedans – dehors ». Je suis convié au coeur d’un voyage intérieur, comme une immersion dans un univers féminin, non violent, très doux. Je ressens de l’apaisement à regarder ces deux femmes se chercher l’une et l’autre. C’est une création qui explore les possibles, ouvre quand tout est fermé, projette, élève quand l’attention est clouée au sol. C’est la danse d’un regard qui s’ouvre de soi vers l’autre, du vertical à l’horizontal. J’aime ce moment de création : j’y décéle l’obstination de ces femmes à nous proposer cette ouverture de la relation.
Pour une soirée, l’avenir de la création est passé par Tunis et Marseille. « En se fouettant pas mal du regard oblique », ces bancs publics avaient ce soir des petites gueules bien sympathiques.
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