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Au Festival “Mens alors!”, Sylvain Groud relie l’art et le handicap.

CieSylvainGroud-Bataille-intime-DavidMorganti-01.jpgAu c?ur du massif du Trieves, à quelques kilomètres de la petite ville de Mens, une foule compacte se presse à l'entrée de la grange du Percy. Les bénévoles du festival Mens Alors ! indiquent au public que la jauge est déjà atteinte et que les prochains à entrer seront mal assis. Qu'importe ! Les festivaliers s'entassent pour voir “Bataille intime“, le duo de Sylvain Groud et Bruno Bayeux.
Utilisant en guise de rideau d'immenses portes qui accueillent et masquent la lumière au fond de l'espace scénique, les danseurs ont pour unique décor deux chaises et quelques vêtements posés au sol. Gestes du quotidien exécutés de manière hachée. Interruptions, paroles de Roland Topor déclamées de façon tantôt posée, tantôt interrogative, tantôt hargneuse. Il est question d'un meurtre. Le duo s'agite, se repousse, joue en miroir puis privilégie l'asymétrie. Il est question de maladie mentale. Il est question de schizophrénie. J'apprécie la clarté du propos, l'intelligence de la « mise en danse » de Sylvain Groud, je suis ravie. Le reste du public aussi.
Nous retournons donc le lendemain voir une autre de ses créations, dansée cette fois dans le gymnase du collège de Mens. Accueillis dès l'entrée par six danseurs valides, nous emplissons peu à peu le gymnase où nous découvrons tout au long d'un spectacle déambulatoire le travail réalisé avec des danseurs handicapés moteurs. Seuls, en duo avec des danseurs valides ou encore à deux, les danseurs à mobilité différente nous donnent à voir une danse où le regard, la douceur et la joie de donner sont l'essentiel.
Et ces danseurs donnent tellement que la majorité des spectateurs est bientôt en larmes.

16482391.jpg Il est difficile de traduire en mots ce que nous avons vécu. Les danseurs à mobilité différente nous ont montré qu'avec une économie de gestes il était possible de transmettre beauté et émotion. Un peu comme dans le “36, avenue Georges Mandel”  de Raimund Hoghe jouée dernièrement au Festival d’Avignon. Sans pathos et sans compassion, Sylvain Groud fait la démonstration que la danse peut être autre chose que performance physique et technique.
Lors du débat public organisé le lendemain les spectateurs ont l'occasion de dialoguer avec les artistes, de rapporter ce qu'ils ont ressenti et de remercier.
Mens Alors !
se veut un festival d'« Échange et Création ».  Cette allégation n'a rien de mensonger

Elsa Gomis
www.festivalier.net
?????? “Bataille intime” et “De l’art et du handicap” ont été jouées les 9 et 10 août 2007 dans le cadre du Festival “Men’s alors!” .


L’édition 2009 de “Mens Alors!”:

Festival de Mens Alors ! Episode 1 : il n'y a pas qu'Avignon?

Festival de “Mens Alors” ! Episode 2 : attention fragile.

Festival de « Mens Alors ! ». Episode 3 : Oh, mon château !

Festival de « Mens Alors ! ». Episode 4: peut-on héberger Google?

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Au Festival d’Avignon, le Roi Lear est déjà dépassé.

file-6408-1W.jpgC'est le dernier spectacle de mon aventure festivalière. Je ne ressens pas la tristesse de l'an passé mais plutôt un soulagement comme si cette 61e édition, au parcours chaotique, finissait par me lasser, d'autant plus que « Nine Finger » vu quelques heures auparavant, m'a laissé sans voix et avec peu d'énergie. A quoi bon ce Roi Lear mis en scène par Jean-François Sivadier pour quatre heures d'un drame shakespearien ? C'est sans compter sur cette troupe qui sait fidéliser son public.
« La vie de Galilée » présentée au Festival en 2005, avait connu un joli succès d'estime au c?ur de la programmation contestée de Jan Fabre. Deux années plus tard, « Le Roi Lear » reprend les mêmes recettes : comportements d'observateurs des comédiens alors que le public s'installe ; prolongement de la scène jusqu'au fond des gradins ; positionnement inchangé des acteurs dans la hiérarchie des rôles ; reproduction quasi identique de la mise en scène. Bref, je n'ai plus qu'à me laisser aller d'autant plus que « Le Roi Lear » emprunte un peu trop (facilement) les effets du théâtre de guignol, agréables en cette fin de festival. Le divertissement est total : je ris, j'applaudis des deux mains d'autant plus que Norah Krief (le fou) et Nicolas Bouchaud (le roi Lear) portent à bout de bras le premier acte. Euphorisant !
La deuxième partie ne tient plus la distance. À la déchéance du Roi s'ajoute une scène qui se fragmente progressivement (le décor, sur roulettes, ouvre de nouveaux espaces que le jeu des acteurs peine à occuper). L'orchestre, auparavant positionné en coulisses, est visible sans que l'on en comprenne la raison. Mais surtout, Stephen Butel (Edgar) et Christophe Ratandra (une des filles de Lear) manquent cruellement de crédibilité dans leur rôle: quasiment travestis (l'un sous la boue, l'autre avec une perruque), ils assument difficilement ces transformations (jusqu'à frôler la caricature). L'ennui gagne et certains spectateurs ne tiennent plus la distance à une heure du matin. Jean-François Sivadier montre là ses limites dans le passage de la tragi-comédie à la tragédie. Il cherche, tâtonne, à l'image de ce décor roulant sur une scène glissante alors que seule la scénographie prend de l'ampleur à mesure qu'avance le drame (magnifiques jeux de lumière).
Je me surprends à me lever pour applaudir la troupe. Il est quasiment certain qu'à ce moment précis, je salue le divertissement et ma performance d'avoir réussi le pari de ce 61e Festival d'Avignon: devenir le ?spect-acteur? si cher à l'artiste associé, Frédéric Fisbach. Pour le reste, je m'étonne du décalage entre le théâtre de Jean-François Sivadier, de Ludovic Lagarde avec celui de nos voisins flamands, allemands et polonais. Il est vrai que ?Le Roi Lear? et ?Richard III? sont sûrement compatibles avec le projet de Christine Lagarde, actuelle Ministre de l’économie et accessoirement de la culture.

Pascal Bély
www.festivalier.net


?????? ?Le Roi Lear? de Jean-François Sivadier a été joué le 27 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 1ère partie : Edgar Morin, l’artiste associé.

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 2ème partie : le poids des mots.

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Le percutant festival de Sasha Waltz.

Les hangars (toujours aussi hideux) du parc des expositions d'Avignon accueillent « Insideout » de la chorégraphe berlinoise Sacha Waltz. Perdu au sud de l'agglomération, cet endroit (vestige du pire de l'architecture française) sied parfaitement à l'une des propositions inoubliables de cette 61e édition : l'écrasement du laid par vingt danseurs, dix musiciens, une nouvelle ville à l'intérieur du bâtiment avec ses escaliers, ses guichets, ses annonces sonores (il est interdit de penser, de…), ses pièces, ses jardins suspendus, ses prisons, ses places publiques, ses plages, ses chambres froides. Une ville nouvelle dans un édifice construit dans les années soixante. La création dans du moderne vieillisant. Le festival de Sacha Waltz dans le Festival d'Avignon. Les spectateurs dans l'acteur, l'acteur dans le spectateur. Vous l'aurez deviné, point de gradin, ni de haut vers le bas et inversement, mais vive la circularité, le mouvement, la construction de son propre spectacle.
insideout-02-A.Rival.jpgEn arrivant, un homme me confie en anglais une lorgnette ; je ne comprends strictement rien. Mais à quoi sert-elle ? Pour voir quoi ? Scruter qui ? Je m'avance ; un bruit du tonnerre. Des pièces partout, danseurs à terre. Je suis immédiatement happé par un jeune homme, enfermé, assis, qui parle à travers la vitre. Son corps se plie, se déplie. Je l'observe, ému : il est beau même enfermé. Voyeur, j'aimerais changer la donne, casser la vitre, le libérer de cet espace. Tout est posé : Sacha Waltz, à partir des différents tableaux auxquels je vais assister, travaille mon positionnement, mon lien à la culture, à la danse, à l'autre, à l'Autre. De l'observateur passif, je deviens le spectateur actif. C'est ainsi que l'on s'étonne d'observer aussi le public se déplaçant de pièce en pièce comme il le fait au musée ou dans un grand magasin. Waltz a donc quatre-vingt-dix minutes pour transformer la donne, métamorphoser le lien, pour que spectateurs et artistes créent, par la rencontre, l'?uvre collective. Elle nous donne les ouvertures, les fentes ( !), les passerelles et le stress pour pouvoir nous ouvrir, circuler, bouger, changer, renaître, abandonner, imaginer, revenir, perdre la tête, pleurer, rire, passer son chemin ! Elle nous propose d'entrer en résonance avec l'histoire des artistes par une proximité quasi corporelle, par l'émotion que procurent ordinairement de vieilles photos d'album de famille. Certains portent leur histoire (familiale) comme un fardeau, d'autres s'enferment dans leurs névroses. Il faut parler, relier pour ne pas se laisser emmurer. Osons nous revoir dans l'intergénérationnel, réinterrogeons notre passé commun !  
05.jpgEt c'est toujours une question de regard : là où je ris, d'autres ont peur. Là où je pleure (j'ai vu le train partant vers Autchvicht où des yeux, des bras, par des tous carrés dans le mur font danser une jeune fille dont les jambes sont prolongées par des bas remplis de sable. Voudrait-elle disparaître avec eux ?), d'autres ne s'arrêtent même plus. Car Waltz joue aussi avec notre corps : il peut s'immiscer partout (ne mettre que la tête pour apercevoir, insérer la main dans des fentes, s'appuyer contre un mur coulissant, s'asseoir comme nous le faisions petit pour voir le théâtre de guignol). Et je marche, je marche. J'ai mal à force de rencontrer ces artistes qui me renvoient toujours une émotion, une image. Je rêve eveillé, je cauchemardise à force de violence, de sirène : Waltz nous montre aussi la société que nous produisons à force de contrôle, de consommation (que de vitrines où manequins vivants et objets insignifiants captent notre regard !). Elle arrive avec le groupe « Musikfabrik » à rendre l'ambiance sonore de nos sociétés ivres de pouvoir, de possession et de concurrence. Par ce parcours chaotique, Waltz nous invite à nous libérer de nos aliénations pour reconstruire une histoire, nous remettre dans une posture de coconstruction. Elle nous prépare, à sa façon, à repenser notre lien à l'art (qui ne peut plus être une marchandise au risque de produire de nouveaux totalitarismes), à nous interroger sur nos comportements de consommateur de tout (que laissons-nous au désir, à la frustration de ne pas avoir ?). Waltz nous met en posture de créer le mouvement là où nous avons figé névrotiquement.
« Insideout » , dedans-dehors, pascal ? pascal fils de?,  parler ? s'entendre parler, faire ? penser le faire, passé ? présent ? futur, « insideout » – festival d'Avignon ? l'art européen, ???.Tout est ouvert??.

Pascal Bély
www.festivalier.net

?????? « insideout » a été joué le 13 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: André Rival.

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La fille collante de Roméo Castellucci au Festival d’Avignon.

Je m'obstine à vouloir comprendre l'univers de Roméo Castellucci. Découvert en 2005 lors du festival d'Avignon avec «Berlin »et « Bruxelles », revu au KunstenFestivalDesArts en 2006 avec « Marseille », je me sens à côté, rarement enthousiaste, mais toujours curieux. Cette obstination est une quête d'un absolu, de l'objet perdu comme si mon inconscient poursuivait l'aventure d'année en année.
file-5499W.jpgEn 2007, Avignon nous propose « Hey Girl ! » à l'Église des Celestins vers une heure du matin. Le choix du site et du moment n'a rien du hasard : Roméo Castellucci a une haute idée de son travail pour que la fatigue des spectateurs et l'aura du lieu produisent leurs effets. A deux heures trente du matin, les rues désertes d'Avignon sont à l'image de ma vision : je ne vois rien et ne ressens plus grand-chose. « Hey Girl ! » est une injonction paradoxale : pour en parler, ne rien dire ; pour voir, écouter ; pour écrire, projeter le film de cette soirée.

Deux jours après, rien ne sort, tout est dedans comme un processus où je crée un rapport à l'art, où se construisent de nouveaux liens entre la scène et ma place de spectateur. Roméo Castellucci interroge ma perception de l'art, du symbole. Il déconstruit (à l'image du premier tableau où le corps émerge d'un chaos gluant, telle une naissance) pour que je puisse relier à ma guise les différentes scènes. Il y a donc un décalage entre la réactivité du blog (qui impose d'écrire rapidement de peur de perdre le processus) et l'?uvre de Castellucci qui demande du temps. Il y a d'ailleurs un élément étrange : tout au long de la représentation, je n'ai cessé de revenir au point de départ à savoir scruter la glu rose qui dégoulinait lentement de la table comme si tous les autres symboles proposés (et Dieu sait qu'il n'en manquait pas !) s'inscrivaient dans la temporalité de cette glu. Je peux donc écrire sur cette table?mais pour le reste ?
Trois jours après, « Hey Girl ! » semble devenir une ?uvre mineure où des images «flash » ressurgissent comme un diaporama où plus grand-chose ne se relie. Le sort de cette jeune fille, blonde et au look ado, dépend de beaucoup trop de symboles pour que je puisse y trouver ma part de vérité. Plongé dans une esthétique qui le dépasse, Castellucci a peut-être oublié qu'à trop jouer avec les formes, le sens se dilue. La glu continue de s'étaler dans mon cerveau comme si cette renaissance poursuivait son travail.
Je crois malgré tout à la force des symboles  (une église, une heure du matin) pour accepter de n'avoir pour l'instant plus rien à écrire, mais tout encore à relier.

Pascal Bély
www.festivalier.net

?????? « Hey Girl ! » de Roméo Castellucci a été joué le 12 juillet dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 1ère partie : Edgar Morin, l’artiste associé.

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 2ème partie : le poids des mots.

 
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Au Festival d’Avignon, Eléonore Weber rend le théâtre vivable.

C'est la jolie surprise du début du Festival ! À la Chapelle de Pénitents Blancs, Éléonore Weber, cinéaste, auteure et metteuse en scène, nous propose « Rendre une vie vivable n'a rien d'une question vaine ». Ils sont quatre, la trentaine, filmés par un vidéaste, invités à se mettre à nu, entre confidences intimistes et chroniques sociales. Je les imagine facilement se retrouver en fin de journée ou un samedi matin au café du coin dissertant sur leur questionnement du moment, centré sur le « moi je » à la recherche d'un « nous » porteur de sens.
file-9997W.jpgIls sont perdus : cela se voit, se ressens. Ils cherchent leur identité (sexuelle, mais aussi politique) en phase avec une époque où l'incertitude construit le chemin (c'est peut-être pour cette raison qu'ils se révèlent profondément attachants). Ils sont drôles dans leurs recherches, touchants dans leur fragilité, beaux quand ils s'effleurent avec l'air de ne pas y toucher. Au delà des mots et des gestes, Éléonore Weber évoque cette génération sacrifiée sur l'autel de l'idéologie prônée par le Medef (l'amour selon Laurence Parisot est répété comme un slogan publicitaire) pour assurer la pérennité du capital des « baby-boomers ».
file-9977W.jpgCertes, ce n'est pas un cri de révolte, mais juste un regard posé avec délicatesse et fermeté sur des femmes et des hommes fermés dehors mais ouverts dedans (à moins que cela ne soit l'inverse). La vidéo apporte (enfin) une belle touche artistique : elle accentue leur fragilité, leurs corps presque lisses, leurs regards fuyant le groupe tout en s'appuyant sur un détail du corps de l'autre. Sur scène, ils cherchent la communication, tombent ou mettent le masque, jouent leurs désillusions et leur soif d'amour qui les maintient debout. On pourrait s'étonner de la vacuité de leur propos, mais je suis touché par cette mise en espace des sentiments individuels et collectifs. Éléonore Weber révèle ses comédiens (tous exceptionnels avec une mention toute particulière pour Joano Preiss, magnifique) par un jeu de déplacements subtils où le pas de l'un entraîne celui de l'autre, où s'habiller pour se déshabiller est un geste chorégraphique. La dernière scène où chacun tente de s'en sortir quand tout est en concurrence, est le point d'orgue de cette pièce étonnante telle une performance, fragile comme une danse.
On quitte ce quatuor avec regret (comment oublier Mathieu Montanier, grand corps presque malade), soulagé d'avoir fait une belle rencontre dans ce festival, curieux sur leur avenir, intéressé sur les prochaines propositions d'Éléonore Weber.
Ce n'est pas vain d'aimer les artistes.

Pascal Bély
www.festivalier.net


?????? « Rendre une vie vivable n'a rien d'une question vaine » d’Eléonore Weber a été joué le 9 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 1ère partie : Edgar Morin, l’artiste associé.

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 2ème partie : le poids des mots.

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Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

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La marche funèbre de Faustin Linyekula au Festival d’Avignon.

Je suis impatient de cette rencontre avec Faustin Linyekula. Je ne suis pas le seul, car comme me le fait remarquer ma voisine en attendant l'ouverture des portes, « l'Afrique, la danse, Mozart, un chanteur lyrique, la vidéo, cela donne envie ». Je suis plus mesuré, dans la mesure où l'addition des pratiques artistiques ne donne pas toujours une ?uvre. Et puis, Christophe Fiat est passé par là?
Pour ma part, je pense à toute autre chose en arrivant au gymnase du lycée Mistral pour « Dinozord : the dialogue series III » de Faustin Linyekula.  Je revois Raimund Hoghe, chorégraphe allemand, lors de son passage à Montpellier Danse. Pendant plus de quatre-vingt-dix minutes, « Meinwärts » reliait l'histoire de l'Allemangne nazie aux morts du sida. Une recherche sur le deuil pour le deuil que Raimund Hoghe restitua avec distance et émotion. Le chorégraphe et auteur congolais Faustin Lynyekula n'est pas encore prêt, mais son travail de deuil est sur les traces de Raimund Hoghe. Pour l'instant, il crée dans un fouillis où tout est posé, où la danse côtoie le texte, la vidéo, Mozart et un chanteur lyrique haute-contre. Tout se vaut pour exprimer la douleur, la colère, l'inquiétude face à l'avenir de son pays. Mais le spectateur peut-il seulement tout recevoir, en vrac, sans un minimum d'articulations ?
Faustin est triste, tel son visage blanc de clown sans nez rouge. Kabako, son ami, disparu pendant la dictature (l'ex-Zaïre), fut enterré avec des inconnus (« Mozart le fut aussi », lui rétorqua le metteur en scène Peter Sellars). Quelques années plus tard, il retourne à Kizangani pour lui donner une digne sépulture . C'est à ce rituel auquel nous sommes conviés avec quatre danseurs, un comédien et un contre-ténor. Telle une procession, les corps traduisent cette marche où, sortis de terre, alignés les uns à côté des autres, ils vont se métamorphoser pour se déployer le temps de réhabiliter les morts, de permettre le devoir de mémoire. Il s'agit de penser le présent pour imaginer le futur. Les rituels  du deuil saccadent la chorégraphie (des lettres cachées que l'on sort d'une malle, la musique de Mozart pour transcender le réel), tandis que le comédien joue brusquement la comédie pour se plaindre du spectacle auprès du public (salutaire mise à distance). Un reportage sur le rêve des Congolais, l'enregistrement audio d'un ami toujours emprisonné, la danse hip-hop de Dinozord s'ajoutent comme autant de pièces d'un puzzle que l'on peine à rassembler.
Tel un patchwork vivant du souvenir, « Dinozord : the dialogue series III » crée un lien trop distant avec le public. Il ne hiérarchise pas assez: Mozart est au même niveau qu’un reportage vidéo (où les paroles des habitants ont été entendues maintes fois ailleurs). Les séquences se suivent comme des petits cailloux qui seraient semés sur le chemin du deuil et nous sommes derrière, en queue de cette procession. Je veux bien me laisser guider, car ces acteurs sont beaux, que Faustin est profondément engagé (il est à la fois aux commandes de son ordinateur dans l'ombre et sur scène pour ne pas qu'il s'oublie) mais je me sens observateur d'une ?uvre politique alors que les occidentaux sont directement concernés par l’avenir de ce pays. Tout se bouscule comme si l'art ne pouvait nous aider : il est lui aussi pris en otage d'un dispositif scénique trop sophistiqué pour exprimer une histoire à fleur de peau.
Le théâtre aurait pu être une belle sépulture pour Kabako.

Pascal Bély.
www.festivalier.net


?????? « Dinozord : the dialogue series III » a été joué le 8 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

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Le beau manifeste de Novarina au Festival d’Avignon.

file-2069W.jpgValère Novarina investit la Cour d'Honneur. Le décor surgit des catacombes du Palais des Papes (pyramides ouvertes, presque taguées, et brèches béantes). En m'installant, je suis intimidé, comme si cette cour m'imposait son mythe. Elle m'assagit et m'enlève les mots de la bouche. Justement, avec « L'acte inconnu » de Valère Novarina, les mots sont sur scène et forcent mon écoute, requiert ma totale disponibilité. Je le suis, car la première heure est un enchantement, un hommage à l'écriture, au théâtre, aux acteurs, au spectacle vivant, au public, au Festival d'Avignon, à la Cour. Douze comédiens, vingt-deux accordéonistes, un « ouvrier du drame » content les mots surgis de notre imaginaire d'enfant, de notre folie d'adulte, de nos inconscients collectifs. Il n'y a rien à comprendre (quelques spectateurs, décidément très impatients cette année, s'en vont) mais tout à ressentir, à voir. Valère Novarina nous invite à lâcher prise, à perdre le contrôle de la situation pour se laisser guider par ces artistes hors pair (mention spéciale à Dominique Pinon, exceptionnel). J'écoute sans relâche l'histoire des mots, la naissance du comédien. Je ressens comment le théâtre a participé à la survie de l'humanité. Ce soir, il est une évidence. Avignon fait résonner le théâtre comme jamais, au moment où la France s'est donné un Président peu porté sur la chose. Car « L'acte inconnu » est une ?uvre politique qui fait du spectacle vivant le vecteur du sens. Il est incontournable. Il s'impose.
file-3369W.jpg Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point Novarina fait du bien, libère le rire, permet aux corps de se dégager des contingences sociales. Il réhabilite le spectateur, tenté par d'autres formes artistiques, qu'il retient par la main !  Entre théâtre de rue, cirque (pour l'ambiance !), ballet (pour les envolées), opéra (pour dix minutes hilarantes, à en pleurer), mime, performance (pour clamer à ce point un texte aussi décomposé), il réussit à relier tout ce qu'il nous a été proposé précédemment par les trois artistes associés du Festival (Thomas Ostermeier, Jan Fabre, Joseph Nadj). Il leur rend hommage en déconstruisant les mots, en poétisant le théâtre, en le modernisant par cette mise en scène décomplexée (mot tant à la mode, mais sincère ici). Novarina est à l'écoute de ce qui se dit, se joue en Avignon et ailleurs. Il remet tout en perspectives là où d'année en année, le spectateur se perdait dans le foisonnement des formes. Les mots sont de retour, mais autrement. C'est l'une des plus belles réponses au désarroi de juillet 2005, où certains journalistes proclamaient la mort du théâtre.
Malgré tout, cette reconstruction du langage peut parfois lasser le public notamment lorsque Novarina introduit la philosophie ( les mots retrouvent leur agencement classique dans un français quelque peu ampoulé). La pièce flotte et l'ensemble se désarticule comme si la magie n'opérait plus.
Il est alors le philosophe qui abuse la scène. En profite-t-il trop ? L'ennui est perceptible dans la Cour d'Honneur et la pièce s'étire en longueur. Entre déconstruction et reconstruction, Novarina se perd à l'image d'un final plus chaotique qu'autre chose. N'est-ce pas le signe que tout reste ouvert, possible ?
« L'acte inconnu » est un acte de résistance au nivellement par le bas de notre société médiatique. C'est un pied de nez à cette société du divertissement qui envahit toujours plus le « Off »  et polluent nos antennes.
Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point « L'acte inconnu » fait du bien?

Pascal Bély
www.festivalier.net


?????? L’acte inconnude Valère Novarina a été joué le 8 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 1ère partie : Edgar Morin, l’artiste associé.

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 2ème partie : le poids des mots.

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Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

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« Tendre Jeudi » par Mathieu Bauer au Festival d’Avignon : “tournez manège !”

Premier spectacle, première canicule, premier bide du Festival d’Avignon. L'équation est imparable. Et pourtant, « Tendre jeudi » d'après le roman de John Steinbeck et interprété par le sympathique « Sentimental Bourreau » de Mathieu Bauer a de quoi séduire. La scène est à l'articulation d'un concert rock, d'une projection cinématographique et du théâtre de rue : tout est en place pour positionner le spectateur au c?ur d'un enchevêtrement. Au final, il reste collé au ras du sol.

 

Nous sommes en Amérique, après la seconde guerre mondiale, dans une petite rue d'un port de pêche, « la rue de la sardine ». C'est une communauté qui vit à la marge où solidarité, combines en tout genre, prostitution et recherche scientifique se côtoient pour former une belle fresque humaine. Doc, le personnage principal, est en proie au démon de la solitude affective que ses travaux sur les poulpes, serpents et autre animaux gluants ne peuvent combler. La rue se mobilise pour que Suzy, jolie fille fraîchement débarquée et prostituée débutante, succombe au charme de ce scientifique hors norme pendant que le groupe lance une tombola douteuse pour lui offrir un nouveau microscope. Pour nous restituer l'atmosphère de cette Amérique, Mathieu Bauer ponctue l'histoire de morceaux musicaux bien choisis, mais peine à trouver les articulations qui permettraient à « Tendre jeudi » d'être une pièce décalée et innovante. Je me surprends à attendre patiemment qu'il se passe quelque chose.

file-3260W.jpgLa mise en scène est lourde : elle ne parvient pas à reconstituer le groupe, ni la complexité des individus. Elle flotte, tâtonne, balade le spectateur d'un bout à l'autre de la scène à la recherche du sens. Tout est joué au premier degré (la rencontre amoureuse) et l'atmosphère devient pesante, niaise et nous fait oublier le contexte social et politique de l'époque. C'est lisse, aseptisé à l'image du jeu des comédiens qui endosse difficilement leur rôle d'acteur ? chanteur.  Il faut attendre la dernière partie où Mathieu Bauer transcende le roman de Steinbeck pour en faire une ?uvre théâtrale. Ironie du sort, c'est le cinéma qui l'aide à donner du relief à ses personnages où, projeté sur l'écran, chacun expose sa stratégie pour rapprocher les deux tourtereaux. C'est le comique de situation (où deux comparses se lavent à la bière dans une minuscule cuvette) qui procure la mesure du potentiel de Mathieu Bauer à faire du théâtre, appuyé par des dialogues qui font mouche.
On est finalement troublé d'être gagné par l'ennui alors que tout est en place pour relier deux époques : celle de Steinbeck, celle d'aujourd'hui, paupérisée par la politique de Bush.
Tendre jeudi” est une pièce sentimentale et pas tout à fait bourreau?

Pascal Bély
www.festivalier.net


?????? «Tendre jeudi» par Mathieu Bauer / Sentimental Bourreau a été joué lle 7 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo:

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon
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L’apocalypse d’Heiner Goebbels emporte le Festival de Marseille.

7h20. France Inter. Le journaliste Jean-Marc Sylvestre assène sa science économique : « pour baisser le déficit de la sécurité sociale, les Français devront payer une partie de leurs frais médicaux au même titre qu'ils achètent leur télévision écran plat ou un billet de TGV ». Raisonnement rationaliste réducteur manipulatoire, mais efficace.
19h30. Journal de France 3. La ministre de la Justice, Rachida Dati, parle avec une mécanique implacable : « à la deuxième récidive, une peine plancher. Si vous êtes contre cette mesure, c'est que vous soutenez les criminels». Robert Badinter, droit dans les yeux, lui déclare au Sénat: « nous ne voterons pas votre texte car il est mauvais ». Sarkosy, Dati : cause, effet.
21h. Festival de Marseille. Petit théâtre du Ballet National de Marseille. « Max Black » d'Heiner Goebbels va commencer. Quatre rangées réservées pour le personnel et les clients d'une boutique de fringue. «Sans ce mécénat (sic), votre place serait encore plus chère » me rétorque-t-on avec aplomb alors que je m'en étonne. Publicité + théâtre = rentabilité pour tout le monde. Oh secours Jean Vilar?
max-black1.jpgC'est le récit d'une journée ordinaire où notre cerveau est soumis à la rationalité d'un raisonnement scientifique qui s'applique partout, quels que soient les contextes. Envahi par toutes ces pensées réductrices qui nous isolent et nous conduisent dans l'impasse, je regarde « Max Black » avec enchantement. L'an dernier, lors du même festival, « Eraritjaritjaka ? Musée des Phares » de Goebbels avait créé la divine surprise en déconstruisant les règles classiques du théâtre pour nous guider dans l'univers créatif du dedans ? dehors. Cette année, un philosophe pyromane enfermé dans son laboratoire tente de nous expliquer la complexité du monde à partir de raisonnements rationalistes où se perd sa pensée et explose sa vision mécanique ! Le feu, omniprésent sur scène, est le pont entre la science et la vie : il brûle (les modèles dépassés ?), éclaire, délimite (pour ouvrir ?), transforme. Dans ce laboratoire, métaphore de notre folie linéaire, tout est prévu pour qu'un élément entraîne l'autre (quand la manivelle pour allumer la scène engendre la mécanique d'un objet qui joue avec les touches du piano) mais la main de l'homme et sa folie ne peuvent suivre un tel enchevêtrement. Les textes de Paul Valery, les sons, la scénographie, les lumières participent au chaos que porte admirablement André Wilms, comédien exceptionnel. Mais « Max Black » rivalise difficilement avec la puissance de « Eraritjaritjaka ? Musée des Phares ». J’ai l'étrange sensation que le dispositif scénique « diabolique » guide la mise en scène de Goebbels comme s'il en était prisonnier, le spectateur avec. Le texte se retire progressivement pour laisser la pyrotechnique faire son effet. L'?uvre s'enferme et la folie de cet homme réduit ses affects à ses raisonnements. Je décroche et mon cerveau cherche autre chose que ces folles mécaniques pour échapper aux oiseaux de mauvaises augures qui polluent nos visions. Un, empaillé, surplombe  la scène. Je ne vois plus que lui?


Pascal Bély
www.festivalier.net


?????? «Max Black» de Heiner Goebbels a été joué le 5 juillet 2007 dans le cadre du Festival de Marseille.

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EN COURS DE REFORMATAGE

Où va danse quand elle se perd ?

Les festivals de Marseille et Montpellier parient sur l'avenir à partir de trois ?uvres qui me paraissent symptomatiques d'une époque où l'on ne sait plus très bien où l'on va?
gravite.jpg« Gravité » de Fabrice Lambert présenté au Petit Théâtre de la Criée de Marseille est un solo de vingt minutes où l'on nage dans la confusion. Le danseur se déplace dans un espace liquide où les variations à la surface sont projetées sur un écran vidéo. Le corps prend alors des formes inédites qui nous éloignent progressivement de la scène et centre notre regard sur la toile. Troublant. L'écriture chorégraphique est à lire à plusieurs niveaux et l'on est saisi par la surréalité émergente d'un tel dispositif. On l'est tout autant face à sa vacuité : à quelle place est le spectateur ? N'est-il pas un gentil cobaye sur qui l'on expérimente des effets visuels et sensitifs ? À quoi sert la créativité si elle n'est pas au service d'un propos, d'une vision, d'un sens ?
LTNT-6.JPGCes mêmes questionnements se posent au cours de la (très longue) proposition du chorégraphe autrichien Philipp Gehmacher, « like there's no tomorrow » présentée à Montpellier Danse. C'est « une incitation à jouir du moment présent, mais aussi être l'expression de l'angoisse du lendemain ». Trois danseurs parcourent mécaniquement l'espace parsemé d'enceintes (Ha ! Ha ! Bien vu pour tous ceux qui ont attendu avec angoisse la musique?libératrice !) pour se coucher, se lever, se toucher à partir de gestes millimétrés (pour jouir, j'imagine?). C'est long, ennuyeux, soporifique et pour tout dire?très laid. Certes l'art peut tout embrasser, tout questionner et le spectateur tout analyser. Mais à quoi sert la danse si elle ne dit rien pour celui qui la voit ? Avec Philipp Gehmacher, j'ai l'étrange sensation que ma question est stupide. Angoisse?

Avec le chorégraphe João Fiadeiro présent à Montpellier Danse, on peut se poser toutes les questions comme nous y invite le titre de sa pièce : « Où va la lumière quand elle s'éteint ? ». C'est selon la note d'intention, « une composition en temps réel?où l'interprète se rend disponible à tout ce qui pourrait arriver, non pas en improvisant librement ni en créant de nouvelles images, mais en rendant possible la révélation de celles-ci. Il n'est pas question pour lui de trouver des solutions, mais plutôt de poser des problèmes aux spectateurs. Dans un cadre défini par les danseurs, le spectateur se doit de trouver des solutions en se créant sa propre histoire, en se faisant sa propre interprétation. Il devient alors interprète, créateur et auteur. Sur scène, les interprètes fonctionnent un peu comme un écran où la solution du spectateur se projette ». Alors, tenté ? Il faut oser. Non ? Sentez-vous l'audace, la prétention, la toute-puissance du chorégraphe qui, tout en m'imposant son cadre, va chercher mes interprétations pour les jouer sur scène ? Seule la psychanalyse peut opérer de tels transferts !! Je souris donc au départ de leurs maladresses et du talent manipulatoire de João Fiadeiro. Je suis  beaucoup plus circonspect quand une jeune fille s'empare d'un micro pour quitter la salle et nous décrire en détail le Centre Chorégraphique de Montpellier (les bureaux, la photocopieuse, ?) pendant que deux danseurs explorent leur univers?si particulier. Il faut un certain culot pour inviter le spectateur à lire au quatrième degré.
N’aurais-je pas mieux fait ce jour-là de:
1) Débrancher le micro alors qu'assis au premier rang, la prise était à mes pieds.
2) Poser la problématique, prélude à une émission à coup sûr passionnante (la pièce est sponsorisée par France Culture): « l'hyper spectateur interprète, créateur et auteur touchera-t-il des droits avec la nouvelle politique économique de Nicolas Sarkosy, hyper président ? »

Pascal Bély
www.festivalier.net

?????? “Gravité” de Fabrice Lambert a été joué le 30 juin 2007 dans le cadre du Festival de Marseille.
?????? « like there's no tomorrow » de Philipp Gehmacher a été joué le 26 juin 2007 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.
?????? « Où va la lumière quand elle s'éteint ? » de Joã
o Fiadeiro a été joué le 29 juin 2007 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.