Imaginez seize Blanche – Neige, recrutées à Porto, mitraillettes à la main, qui arpentent les sites symboliques de la ville à pas cadencés, où le bruit des robes jaunes en plastique amplifie l’écho des bottes, de sinistre mémoire. En prenant d’assaut, un samedi matin, le « Mercado de Bolha?o » (magnifique marché traditionnel menacé de destruction pour y implanter un centre commercial), elles quadrillent cet ensemble fragile pour mieux le protéger. Les personnes âgées sont sidérées, apeurées, alors que les plus jeunes mitraillent ces insoumises de leur appareil numérique, arme médiatique par excellence. Tout est danse dans les mouvements de ces femmes, nourris de leur ressenti du contexte et de leur écoute mutuelle pour créer des formes apaisantes et poétiques. Alors qu’elles se dirigent vers la gare, elles s’emparent d’une esplanade désertée. A Porto, elles sont toutes des places de pouvoir, dans une ville où policiers et agents de sécurité envahissent les rues et le métro. Elles font donc la guerre au sentiment sécuritaire en réinvestissant l’imaginaire. C’est presque gagné alors que les habitants commencent à sourire, à jouer avec elles, à se moquer de leurs postures guerrières. On se ressent protégé, enseveli par leur poésie. Mais Catherine Baÿ ne recule devant rien : en fin d’après-midi, elle fait ouvrir les coffres forts (vides !) d’une ancienne banque (transformée en centre culturel !) pour y cacher trois Blanche – Neige, une à terre (le mythe est-il mort ?) pendant que l’autre plie des (faux ?) papiers et qu’une troisième surveille. À l’heure où la crise financière vide les caisses, un nouveau totalitarisme diffuse la peur, empêchant toute rébellion, aidé par des figures mythiques recyclées en doctrine. Effrayant.
Le lendemain, les étudiants de la ville de Porto envahissent places et trottoirs pour leur fête annuelle. Les aînés sont habillés de noir avec une cape alors que les plus jeunes sont affublés de canettes de soda des pieds à la tête. Tandis que les premiers surveillent, les autres confectionnent leur déguisement (métaphore de l’esclavage moderne ?). La forme hiérarchisée du rassemblement, le contraste entre l’uniforme du chef et le ridicule du jeune étudiant de base, effraient. On aurait aimé voir surgir nos Blanche – Neige pour qu’elles transforment ces rituels en chaîne humaine autour du « Mercado de Bolha?o » afin de revendiquer son classement comme patrimoine mondial de l’humanité.
Pascal Bély – www.festivalier.net
Un extrait vidéo lors du Festival Arborescence d’Aix en Provence en 2005..
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