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EN COURS DE REFORMATAGE

A Lyon, la résistance s’organise.

 

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Lyon est la ville des lumières et de la résistance. Rien d'étonnant à ce que le « Festival Sens Interdits » y voit le jour pour célébrer nos valeurs fondatrices : qu'est-ce qui fait notre culture commune européenne, celle qui va au-delà des frontières de l'Union ? Au moment même où se multiplient les événements mémoriels (n'avons-nous pas célébré le premier anniversaire de la crise financière ?), alors que nous avons accès à l'histoire avec un simple clic, où l'information instantanée réduit le temps de l'humain à une variable d'ajustement, comment le théâtre peut-il nous aider à retrouver le passé pour construire le futur ? Peut-il remettre l'humain au centre de tout d'autant plus que l'accélération de l'information minore le temps de la communication ? Le théâtre peut-il nous défendre face aux rationalités écrasantes de toutes sortes et promouvoir l'humain dans ses forces et ses fragilités? Au cours d'une journée, deux  metteurs en scène s'y sont essayés lors de ce festival prometteur, organisé par le Théâtre des Célestins.

« Je pense à vous, épisode XX » de Didier Ruiz fera date. Imaginez dix personnes âgées russes, assises  face à nous, issues de différents milieux sociaux. Tout commence par la projection d'un album photo, comme si nous étions côte à côte. C'est le début d'une « photo romance » qui prend le temps, quitte à ce que les trous de mémoire s'invitent et que la traductrice, un peu seule dans sa cabine, soit prise de signes de fatigue. A tour de rôles, ils nous racontent un instant de leur histoire qu'ils restituent avec leurs cinq sens pour nous y inclure : le parfum posé sur la peau, le goût  du premier baiser, l'odeur d’un champ de fleurs, les objets et les chansons de l'enfance. Malgré la guerre, ils ont poursuivi leur route qui les conduit jusqu'à nous. Ils semblent avoir eu peur de tout, « même d'une souris » mais ils ont  surmontés. Ils nous délivrent un message percutant : nous sommes aussi acteurs de nos propres peurs. Ces dix femmes et hommes sont au c?ur du théâtre du monde où ils ont traversé la seconde guerre mondiale, le totalitarisme soviétique, l'avènement de l'économie de marché. Ils ont cherché un père, une s?ur, disparus sans savoir ni où, ni comment. L'une en a même perdu la parole, tandis qu'une autre s'est mise à bégayer à l'adolescence. L'histoire est ainsi : elle se répète parfois, devient mutique quand les états refusent leur travail de mémoire. 

C'est un moment unique, fragile, car ces hommes et ces femmes sont les derniers témoins d'une époque qui a vu naître l'idée d'une Europe politique. Didier Ruiz s'appuie sur eux et leur offre une mise en scène de la transmission : les objets qu'ils nous tendent font maintenant partie de notre imaginaire, leurs photos sont un patrimoine de l'humanité et leurs chants résonnent tels des hymnes à la joie.

 

Quelques heures plus tard, nous retrouvons à nouveau dix témoins. Ils sont Allemands, Polonais, Ukrainiens et on tous vécus enfants et jeune adulte l'enfer de la Deuxième Guerre mondiale. Pour « Transfer ! »  du polonais Jan Klata, ils sont assis face à nous, mais au fond de la scène.  Ils viennent un à un raconter leur guerre.  On s'émeut, on sourit, on apprend ce que l'on ne nous a jamais dit : sur l'agonie des Polonais humiliés de toute part, sur la douloureuse introspection des Allemands, sur l'horreur vécue par les Russes au cours de cette boucherie. Ils sont tous exceptionnels à poursuivre leur devoir  de mémoire sur une scène de théâtre comme si la guerre ne s'était jamais arrêtée. Il y a dans leur regard, une détermination à interroger les valeurs de l'époque pour nous aider à les projeter dans un futur certes incertain, mais ouvert. 

Mais Jan Klata ne leur fait manifestement pas confiance. Il leur soumet une scène surélevée où officient trois comédiens dans les rôles de Staline, Roosevelt et Churchill. Entre les témoignages, ils s'imposent pour jouer un concert rock ( ?) et débiter des dialogues censés nous faire comprendre que décidément, quelles que soient les époques, les dirigeants sont d'une bêtise crasse. Cette farce n'apporte strictement rien, elle fait violence à la mémoire tel un spot de publicité au c?ur d'un film sur un génocide. Cette scène lacère le plateau, nous éloignent des acteurs ? témoins. Elle nous prouve que la résistance doit aussi s'organiser contre cette société du spectacle qui tend à brutaliser ce qu'il y a de plus fragile : notre capacité d'indignation.

Pascal Bély ? www.festivalier.net

 

“Je pense à vous, Episode XX” de Didier Ruiz et “Tranfer!” de Jan Klata, joué le 19 septembre 2009 dans le cadre du festival “Sens Interdits” à Lyon (jusqu’au 26 septembre).

“Transfer!” sera joué dans le cadre du Festival d’Automne à Créteil les 5, 6 et 7 novembre 2009.