Incident grave au Théâtre du Merlan de Marseille, situé dans les quartiers nord de la ville, lors de la représentation le samedi 21 février 2009, de « (Not) a love song » du chorégraphe Alain Buffard. Après seulement trois minutes de représentation, le guitariste Vincent Ségal a ordonné le départ de (jeunes) spectateurs manifestement trop bruyants. Alain Buffard est ensuite monté sur scène pour exiger que tout un groupe quitte la salle. Manifestation du public, départ de spectateurs (dont des représentants de tutelles), impuissance de la direction du Théâtre.
Nous reviendrons plus tard sur cet incident afin de porter un regard distancié sur ce qu’il est aujourd’hui : le symptôme d’une désarticulation.
L’époque est aux chansons d’amour. Après le magnifique dernier film de Christophe Honoré, la danse s’empare du sujet avec jubilation, gravité et dérision. Le chorégraphe Alain Buffard fait l’évènement (et salle comble) à Montpellier Danse avec « (Not) a Love Song ». À l’issue de la représentation, le public fait un triomphe à celui qui vient de le faire rire jusqu’aux larmes, de l’émouvoir jusqu’aux frissons. Cette création est une performance d’acteurs où le moindre mouvement du corps et la plus petite note de musique participent à une fresque cinématographique chantée, dansée où s’incarne tout à la fois Marlene Dietrich, Bette Davis, Lou Reed, David Bowie et James Brown ! Pour réaliser cette prouesse, Alain Buffard a réuni sur le plateau quatre artistes d’exception : le performer – danseur-chanteur- musicien américain Miguel Gutierrez, la chorégraphe et chanteuse Portugaise Vera Mantero, l’Italienne Claudia Triozzi et le musicien français Vincent Segal. À eux quatre, ils redessinent les contours d’une oeuvre transdisciplinaire où le spectateur lâche prise à l’infini et finit pas se sentir agréablement vulnérable !
Elles sont deux femmes, stars déchues du cinéma. Les fans les abandonnent à leur quotidien, réduit à cet espace scénique où le miroir les renvoie à leur passé glorieux, leur garde-robe à leurs anciennes coulisses et les quelques marches du salon à leur palais des Festivals. Elles ont tout perdu et la scène leur offre l’opportunité pour tout balancer. À partir de répliques extraites des grands classiques du cinéma, elles chantent ce qu’elles ne peuvent plus dire. Elles vont au cinéma pour permettre aux fans « les plus intelligents » de les observer se regarder à l’écran ! Ainsi qualifié, le public de Montpellier Danse peut s’en donner à c?ur joie pour scruter le moindre fait et geste de ce duo hors pair. Nous serions presque au cinéma si la présence du musicien et du chanteur ? performer n’étaient là pour nous rappeler qu’entre danse, théâtre, 7ème art, défilé de mode, les frontières ne tiennent plus à grand-chose, face à cette tragédie des temps modernes, où la starisation conduit à la perte de soi.
Alain Buffard aime ces deux actrices, car, au-delà des apparences, c’est d’amour et toujours d’amour dont il s’agit. Cette tragi-comédie s’inscrit dans un espace tout à la fois vertical et horizontal, où votre regard ne se perd jamais tant le tout est cohérent. Les corps sont là pour nous rappeler que la danse n’est pas l’art du divertissement, mais de la transformation pour comprendre l’indicible. À quatre, ils métamorphosent tout sur leur passage comme s’il fallait réapprendre le lien, le sentiment amoureux (quitte à clamer « je ne t’aime pas») loin des codes hystériques des fans. Et aussi étrange que cela puisse paraître, Alain Buffard nous replace dans leur histoire (de fous et de folles) où le rire est le plus beau des chants d’amour.
Pascal Bély – Le Tadorne
“(Not) a love song” d’Alain Buffard a été joué les 23 et 24 juin 2007 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.
Crédit photo: Marc Domage