En novembre dernier, je participais au jury régional « Talents danse » à Marseille organisé par l’ADAMI. Deux danseuses interprètes furent sélectionnées et invitées pour l’audition finale du 13 décembre à Paris.
Ils sont dix, lauréats des régions, à entrer en compétition pour cette troisième édition. Un jury de « débatteurs » est convoqué pour la circonstance. Une vidéo d’une minute présente les candidates avant chaque prestation, pour poser le contexte. C’est souvent drôle et osé. Le propos bouscule avec humour l’ordre établi, replace l’audition dans un environnement plus large. La vidéo ouvre, là où le concours réduit (ils ne seront que quatre à être choisis pour passer une année avec deux chorégraphes). Présent comme spectateur, je soutiens Mélodie Gonzales, l’une des candidates qui nous avaient tant époustouflés à Marseille.
Au final, les dix propositions de cinq minutes chacune reflètent un paysage chorégraphique assez uniforme et consensuel (absence du hip-hop, du bûto, de la non-danse, un seul homme et des peaux toutes blanches) comme si la diversité des auditions régionales s’était uniformisée pour concourir à Paris. Ils sont quelques-uns à s’emparer sans complexe de tous les codes possibles (influence évidente du théâtre et des arts plastiques) pour jeter un regard parfois amusé, souvent distant ou désabusé sur la place du danseur, tandis que d’autres semblent fusionner avec le propos du chorégraphe. Masqué, affublé de tenues improbables, d’objets insensés et d’attitudes pour le moins désarticulées, le danseur perd souvent de sa superbe pour épouser les maux de notre société (la peur hante bien des propositions) où la technique dansée cède la place à un jeu où le corps habite plus qu’il ne se prolonge dans un mouvement. Il est fréquemment question d’identité, de sa perte, où la folie côtoie la dissonance, les désarticulations. Ainsi donc, cette jeunesse concours avec ses malaises, la fragilité de son statut (doit-on rappeler ici le sort des intermittents), occupe la scène avec une énergie fragile. On en voudrait presque à ce concours de ne pas former une compagnie ad’ hoc pour l’ouvrir sur l’Europe et le monde !
Le jury a donc voté. Il se dégage un savant équilibre (peut-il en être autrement), là où j’aurais préféré un parti pris. Il aurait fallu inclure Mélodie Gonzales, l’une des rares à habiter un personnage avec une force étonnante. Vivant à Londres, elle fait preuve d’une insouciance revigorante alors que notre pays semble s’enfoncer dans la dépression.
Saluons deux gagnantes : Mélanie Chartreux sur une chorégraphie de Pierre Rigal avec « Que serai-je, serai-je », solo éblouissant sur la vulnérabilité en ces temps de maîtrise et Pauline Simon avec « Pays sage » de Laurent Falguieras, danse où l’embryon scénarise, pendant que le spectateur voit cette belle danseuse éclore.
« Talents Danse » est un projet intéressant qui mériterait de s’ouvrir au transdisciplinaire (n’est-il pas là le défi du danseur interprète dans les années qui viennent ?), de varier ses prix et ses récompenses en s’appuyant sur les régions pour créer des maillages plus fins (est-il possible de quitter ce lien vertical entre province et Paris ?). Il pourrait inclure des spectateurs à tous niveaux pour diversifier les regards dans une finalité démocratique, et élargir le cadre strict des cinq minutes réglementaires !
N’est-il pas là le projet pour notre jeunesse ?
Pascal Bély – www.festivalier.net
A lire le compte-rendu de l’audition régionale à Marseille: L'ADAMI conjuguerait-elle les talents ?