Je l'attends. Après le Festival d'Avignon en 2005 où il fit scandale, Christian Rizzo est de retour et offre à Montpellier Danse sa dernière création, « B.c, Janvier 1545, Fontainebleau ». Ce titre, toujours plus énigmatique, est à l'image de sa danse : ailleurs. Ce chorégraphe est unique tant ses projets ne correspondent à aucun courant, à aucune génération. Il est poète.
Imaginez?Une scène blanche avec des figures en tissu et mousse qui pendent du plafond (animaux génétiquement modifiés, reliques du grenier transformées par l'air du temps ?). Elle arrive, en talons aiguilles argentés (si fins qu'ils “transperceraient le c?ur des filles” dirait Gainsbourg) : c'est Julie Guibert, danseuse exceptionnelle par sa beauté et sa grâce. Un homme, coiffé d'une tête de lapin, est présent tel un élément du décor qui se déplacerait à mesure des transformations de l'?uvre. La danse devient avec Christian Rizzo une calligraphie, où l'espace trouve ses profondeurs et sa surface par le jeu des lumières et l'ombre des mouvements. Une heure extraordinaire. A vous couper le souffle.
Elle est là, toute de noir vêtu, peau blanche telle une encre posée sur la feuille vierge de l'écrivain. Ses gestes, lents, précis, articulés et non saccadés me plongent ailleurs comme hypnotisé. Parfois, le corps n'a plus de tête, ni de pieds : il est une forme, à l'image du sens que prendraient les mots couchés sur la page. Elle avance, comme dans une Église, pour s'approcher de l'objet, de sa quête d'absolu. L'homme à la tête de lapin la suit ou la précède pour lui ouvrir de nouveaux espaces que sa danse, toujours plus complexe, réclame. Je la suis des yeux et je ressens avec empathie la solitude de cette femme : elle seule peut arpenter cet espace comme le ferait un patient avec son psychanalyste pour déconstruire et reconstruire. Mais ce corps, cette plume, cette note de solfège sont aussi un étendard contre tous les obscurantismes. Je l'entends crier en silence pendant qu'elle s'émancipe à mesure que les objets du plasticien Rizzo disparaissent.
Alors que l'homme à la tête de lapin tire les ficelles (au sens propre comme au figuré) pour mieux s'éclipser, cette danse calligraphique arrive à son point d'orgue : assise, les fins talons aiguilles de la femme en noir projettent sur les murs de la lumière. La danse est alors faisceau, constellation d'étoiles, cosmique. Le solo, par sa fonction introspective, crée un nouveau lien avec le spectateur et le guide à conceptualiser, même si seul Christian Rizzo a les clefs pour le faire.
Mais qu'importe, je suis dedans et dehors, je vois pour ne plus rien voir. Ses talons n'ont pas fini de me transpercer.
Pascal Bély
www.festivalier.net
?????? « B.c, Janvier 1545, Fontainebleau » de Christian Rizzo a été joué le 25 juin 2007 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.
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