À peine descendu du TGV à Bruxelles, je me propulse au Bronks…Surréaliste ? Cela ne fait que commencer. J’entre. Rien pour s’asseoir. Où poser mon sac ? Les spectateurs arrivent peu à peu et finissent par former une assemblée. On se croirait dans la salle d’un musée d’art contemporain sans oeuvres, mais les déplacements du public vous informent où cela se «passe». Un bruit médiatique en quelque sorte amplifié par les crissements des talons d’une femme qui tient par un fil notre ballon de l’enfance. Métaphore de nos utopies à la dérive, sa progression m’émeut particulièrement.
Je repère un espace où poser mon bagage. Je m’approche. Là, quatre «hommes chevaux» à la queue joliment peignée à l’arrière avec une longue perruque sur la tête sont face au mur. Ils me font sursauter. Avec leur imperméable noir, ils m’évoquent le chanteur androgyne Antony and the Johnson. Leur présence fantomatique ne cesse de me poursuivre alors que je déambule dans la salle. Entre allure poétique et comportements décalés, ils sont là pour déranger l’ordre établi, affirmer l’hybridité de l’homme avec l’animal, de la poésie avec le réel.
Plus loin, il y a des corps : amputés (là un long pantalon sans tronc ; ici un buste ceinturé sans tête, mais qui produit un larsen à l’approche d’un micro; plus tard, une table avec des jambes où sont posées des bouteilles de champagne). Des corps sacrifiés, où le vêtement fait corps, où la femme objet est à son paroxysme. Troublant, d’autant plus que c’est très beau. Il y a cet homme obèse, prêt à vous exploser à la figure, pour vous dévorer. Il incarne le cannibalisme postmoderne : le corps marchand peut tout manger même une main. Juste retour des choses : après la mal bouffe, la bouffe humaine. Peu à peu, vous voilà pris dans un tourbillon cauchemardesque et enivrant où l’on crée le cérémonial d’un corps à la découpe (métaphore des greffes), où des perruques en laines de couleurs cachent les visages et leur diversité : l’Europe serait-elle à ce prix ?
Divaguons encore…Alors que les corps d’enfument, comment ne pas y voir un hommage à l’immolation, nouvel art révolutionnaire ?
Tout au long de cette performance, le langage du corps semble entrer par effraction pour sonner la fin de la partie : celle d’une civilisation qui confie le corps intime aux communicants sans poil et sans reproche ; aux marchands qui, sous prétexte d’assouvir notre soif de consommation, sont prêts à nous transformer en cannibales ; aux professionnels qui mondanisent, mondialisent l’art à défaut de le politiser.
On peut tout y voir tant cette performance poétise votre sensibilité. Ils sont belges et travaillent actuellement à Berlin, nouvel axe nord-sud. Pour le Kunstenfestival de Bruxelles en 2012, ils préparent une «vaste production». On y sera pour y placer nos têtes sur leurs corps amputés.
Pascal Bély,« Le Tadorne ».
Miet Warlop, « Art / Collection, trailer Park » du 19 au 24 mai 2011 au Bronks dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.