Hier soir, au Théâtre de la Ville de Paris, un groupuscule a interrompu la représentation de Roméo Castellucci, «Sur le concept du visage du fils de Dieu». Les CRS ont évacué la salle.
Je publie à nouveau ma critique écrite lors du Festival d’Avignon. Modeste contribution pour chasser, hors de nos théâtres, ces fous de Dieu.
Je reste assis. Sidéré. Pas un mot. «Sur le concept du visage du fils de Dieu» de Roméo Castellucci est une épreuve. 20h10. Je suis vidé
À mon arrivée, l’immense visage de Jésus. Théâtral. Il est une scène, une mise en abyme. Les quinze minutes qui précèdent le début de la représentation sont interminables. Il interroge ma manière de regarder le monde. Où en suis-je ? Je ne baisse pas les yeux, ce n’est pas le moment, car je ne sais plus très bien où j’en suis…
Sur scène, l’appartement paraît luxueux, mais ce n’est qu’apparence. Le lit est dans le salon et une petite table fait office de ligne de démarcation entre trois fonctions biologiques essentielles : dormir, bouffer, regarder la télévision. Et chier. Car le vieux monsieur qui habite là se fait dessus. Nous sommes quasiment dessous. Son fils, probablement de passage, croit pouvoir s’en aller. C’est une vieille croyance. Le temps s’étire. S’écoule. Le liquide malodorant est partout. Son père se liquéfie. Tout deux entrent en guerre contre cette merde:
“-tu sens mauvais, tu es vraiment un cochon, tu sais, Papa.”
“-”
“-Mais non, je plaisante. Tu sais, on sent tous mauvais quand on le fait. Ça va Papa ? Est-ce que l’eau est trop froide ?“
Je suis un voyeur fasciné. Je cherche d’où vient cette putain de merde. Il ne change pas de canapé à chaque représentation tout de même ? Ça pue . Cela empeste, mais les gestes du fils chassent l’odeur : l’amour est un don surnaturel. Il le nettoie, le déplace, le rechange, s’agenouille, se relève. Cela n’en finit pas. C’est un chemin de croix, sous l’oeil impassible de Jésus. Cette liturgie me touche jusqu’à prier pour lui : «faites qu’ils puissent partir». Pitié pour eux. Merde, je suis presque à genoux.
Mes voisins rient, c’est plus fort qu’eux. Ils chient du rire. Je me retiens.
Le fils pose sa main sur le dos du père pour le laver. Il s’arrête. Bouffée de chaleur et d’émotion face à cette image pieuse. Jésus est dans la merde. Moi aussi. Le blanc. Je vois du blanc. Cette main de Dieu, cette main du diable? Comment vous l’écrire? Cette merde me revient. Du sang du Christ, au sang impur qui abreuvait nos sillons jusqu’à la merde du vieux…Est-ce là notre chemin ? Cette main sur ce dos est un miracle : de la Shoah à ce geste, toute l’humanité se nettoie pour recréer sans cesse la toile, celle qui redonne visage à notre regard, à la figure du«bon berger».
Le théâtre dans ses yeux.
Nous n’avons plus que cela.
Oh, mes théâtres…
Pascal Bély, Le Tadorne.
« Sur le concept du visage du fils de Dieu » de Romeo Castellucci au Festival d’Avignon du 20 au 26 juillet 2011.