C’est mon dernier spectacle au Festival d’Avignon. C’est au Off. Un désir de clôturer, non dans l’allégresse, mais là où je fus traversé pendant tout ce mois de juillet: le corps comme langage, porteur de sa propre dramaturgie. Il y a eu celui de la douleur du monde, du cri à l’intérieur de soi, de l’Espagnole Angélica Liddell dans « La casa de la Fuerza» présenté au «In». Inoubliable. Parce que nous sommes à Avignon, il y a l’expression «faire la pute », de plus en plus répandue et entendue ici ou là au grès des conversations entre comédiens, spectateurs et institutionnels. Même un artiste, Yves-Noël Genod, y va de sa provocation en invitant le public à payer à la sortie de son spectacle (“Entrée libre, car les putains, les vraies, sont celles qui font payer, pas avant, mais après »).
Parce que les mots ont encore un sens, je suis retourné au théâtre. Valérie Brancq est seule sur scène pour interpréter les textes de deux prostituées et écrivains, aujourd’hui disparues (Nelly Arcan et Grisélidis Réal). Très vite, « LB25 (putes) » inclut le spectateur dans la relation avec la prostituée. Ce n’est ni gratuit, encore moins vulgaire. Ici, révéler le corps pour mettre l’âme à nu est un art. C’est souvent cruel, ça saigne parfois, c’est chorégraphié, car le cauchemar a aussi sa danse. Les mots, les photos et les postures percutent parce que la mise en scène d’Olivier Tchang-Tchong articule le corps de l’acteur (donné en pâture aux spectateurs avide de sensations fortes) avec celui de la prostituée (qui telle une chrysalide se dévoile à mesure que les coups et les humiliations cessent). Entre, il y a nos souvenirs d’enfance où le corps était déjà l’objet de tant de convoitises et notre vie d’adulte où nous marchandons sans cesse « notre force de travail ».
Autant dire que « LB25 (putes) » n’est pas un spectacle de tout repos. Pendant une heure, je n’ai rien perdu de la force des mots; je n’ai jamais baissé les yeux alors que Valérie Brancq vous fixe pour vous donner l’énergie d’entrer dans sa «maison de la force». Loin d’être close, elle est ouverte pour accueillir votre sensibilité afin que vous portiez un regard politique sur la prostitution au moment même où le pouvoir fait fuir les putes de nos rues pour les cloîtrer dans l’espace virtuel d’internet.
« LB 25 (putes) » est un spectacle où une putain d’actrice transforme la scène en trottoir tandis que défile sur écran géant l’histoire de celles « qui n’en sont pas revenues ».
De leur mal de vivre.
De notre mal d’amour.
Pascal Bély – www.festivalier.net
« LB 25 (putes) » au Festival d’Avignon Off 2010. email: contact.lb25@gmail.com