Le festival « Visa pour l'image » sait rendre les hommages quand il retrace la carrière d'un photojournaliste comme celle de Françoise Demulder, disparue en 2008.
Il s'agit d'un petit bout de femme déterminé et à l'?il juste. Trop juste pour pouvoir continuer ce début de carrière comme modèle dans la mode. « Fifi », comme la nommait Yasser Arafat, a placé le Proche Orient au centre de sa vie. Elle vivait les malheurs de tous, accompagnée de son appareil photo, s’abstenant de shooter en cascade.
À « Visa pour l'image », les photos de Françoise Demulder émeuvent par la force de l'inhumanité qu'elle savait immortaliser. Une femme apeurée négocie la survie de ses enfants avec un soldat armé. Une autre, bras tendus, mains ouvertes, implore la miséricorde auprès de militaires au milieu d'un quartier en feu où règne le chaos, la peur, l'angoisse. Un enfant vietnamien, allongé sur un lit d'hôpital, symbolise la victime irréversible des conséquences d'une guerre. En quelques photos, Françoise Demulder démontre notre impuissance à réparer l'irréparable tant nous nous sommes perdus dans l'engrenage : la guerre de certains, détruisant à l'ultime les autres.
Les photos exposées ont trente ans. Le temps d'une génération. Elle nous laisse en héritage un cri : celui de continuer à lutter contre des horreurs de guerre restées jusqu’alors sans écho de paix.
Deux photographes semblent s'inscrire dans sa lignée sans pour autant nous offrir un pas de côté capable de faire évoluer le photoreportage de guerre.
Pascal Maître avec « Somalie, le pays abandonné de tous » démontre l'enchevêtrement des maux dont souffre ce pays qui finit par déshumaniser tout un peuple : guerres civiles, déchets toxiques et radioactifs largués par les Occidentaux, pirates des mers. L'inexistence fait la force des clichés : camps de réfugiés, une mère avec ses enfants en pleine décharge, un soldat au regard inhumain, la misère des hôpitaux pour soigner les brûlés.
Cependant, au c?ur de cet abandon, la vie prend les couleurs et nous offre une échappée à la lourdeur du reportage. Les Somaliens continuent de se battre contre le désengagement des pays riches. Pascal Maître, après ses six années de présence là-bas, espère: une bergère, aux portes du désert, nous tourne le dos, regarde vers l'horizon et garde son troupeau de chèvres. Tel un spectre vêtu d'un voile d'or, elle veille sur la vie.
À l'ouest de la Somalie, la République Démocratique du Congo. Dominic Nahr a photographié les horreurs de la guerre qui a opposé, et opposera encore, les tutsis, les militaires du gouvernement et les rebelles de la libération. Prises dans un chaos vertigineux, les populations ont fui, réduites à abandonner les corps sans vie de leur entourage, à se frayer un chemin entre les armées des rebelles et autres militaires. Dominic Nahr parvient à nous guider vers une voie sans issue.
Les photos d'enfants surgissant de fumées épaisses soulignent l'enfance volée tandis que les rebelles armés démontrent leur toute-puissance guerrière alors que celles de l'exode figent ce que nous avons l'habitude de voir dans les journaux télévisés. Mais ici, pas question de faire du zapping. Ce reportage nous invite à apprendre à re-regarder, à re-comprendre, les flots d'images dont nous sommes inondées. La dernière photo, celle d'un enfant jouant avec un sac plastique sur la tête, nous étouffe de tant de violence, au nom du pouvoir, si peu soit-il.
Le photojournalisme nous propose un monde sans couleur, fade, avide de violence. À notre désir d'information répond l'aveuglement à ce flot d'images qu'un sentiment de tristesse parvient parfois à stopper. Mais que retenir de ces deux visions de la Centrafrique ? Peut-on croire qu'il n'y a plus de joie, juste de l'abandon et plus d'avenir ? Même rare, pourquoi ne pas aussi photographier la créativité dont tout être humain est capable ?
Diane Fonsegrive ? Laurent Bourbousson ? www.festivalier.net
“Visa pour l'image” à Perpignan. Jusqu'au 13 septembre 2009.