Comment une idée folle, celle de créer un festival de la photographie, naît -elle dans une petite ville comme Arles, que rien ne prédestinait à l'image? On suppose bien des hypothèses : le délire d'un pari, l'amitié, l'histoire, la politique, mais au final, c'est une forte volonté de fous bien pensants et pas des moins connus, de vivre la photo intensément. Cependant, à l'époque, la jeunesse n'ambitionnait pas la force de l'âge. On parlait du moment présent, de rencontre parce que l'on était d'abord entre amis. On évoque Lucien Clergue (photo), Michel Tournier? D'ailleurs au début, et Christian Caujolle (fondateur de l'Agence Vu) l'avoue bien sincèrement, il y avait peu de spectateurs, mais une envie de vivre la passion fougueusement. Et l'aventure a confirmé l'histoire de ces passionnés de l'argentique, puis du numérique, voire de l'informatique et de la vidéo. Aujourd'hui, ceux- là sont nombreux dans les rues d'Arles avec toujours le même désir qu'avant, découvrir et faire découvrir, autrement dit partager, rêver, car c'est bien la fonction première de la photographie. Aux prémices de ces retrouvailles, on dénombrait plus de clichés souvenirs que sur les années les plus récentes. Mais l'âme du départ se veut conserver. On compte 40 ans d'images d'archives, d'ambiance et de contexte de travail, de visages connus, de renommées et d'un temps peu éloigné, mais déjà échappé.
Cependant, cette année, les Rencontres Internationales de la Photographie m'ont frappé par leur vide, malgré le nombre important de photographes exposés. Un vide comme un grand sentiment d'absence où l'on cherche encore ce que l'on pourrait retenir de toutes ces expositions. Ce sentiment m'a d'abord irritée : je me sentais leurrée. La colère n'étant pas bonne conseillère, j'ai laissé aller. Ma quête a engendré une vague amère, me poussant à prolonger le propos : pourquoi ?
Il me fallait trouver la raison de cet état. J'ai donc regardé. Beaucoup. J'ai écouté de façon indiscrète les échanges entre spectateurs. Le silence était souvent de mise devant les ?uvres, les propos échangés rapides et insignifiants, les expressions des visages impassibles, le pas fréquemment accéléré. Même les chaises prévues pour se poser et s'évader étaient immanquablement vide comme si l'on ne souhaitait pas s'imprégner des lieux ou rester sur une impression. Était-ce le signe du vide ? Et si les spectateurs triaient de façon ordonnée pour réagir plus vite et aller à l'essentiel estimable ? Serions-nous devenus des consommateurs d'art ? « On prend, on jette ». Entourés et bercés par un nombre de plus en plus écrasant d'images (pub, vidéo, télévision, cinéma, BD, photo d'amateurs, de professionnels, d'artistes?), serions-nous blasés à leur simple évocation ? Sommes-nous tombés, sans nous en rendre compte, dans l'industrie de l'image ? Ce processus ne serait-il pas au c?ur de la commande photographique exhibée à Arles en 2009 appauvrissant le contenu et le contenant? Le spectateur n'exprimait-il pas par ses attitudes si peu spontanées , la perte de la beauté au profit d'une esthétique empêchant de dessiner le chemin qui nous conduit à rêver, à construire ?
Quelque chose n'a pas fonctionné à Arles comme si l'étonnement n'avait pas jailli avec son lot d'émerveillements, d'interpellations et de sublime.
La beauté permet à l'?uvre de continuer à exister hors contexte, dans nos souvenirs, jusqu'à la prochaine rencontre où l'on se souviendra de cette première sensation, comme le plaisir de la madeleine de Proust. Qu'est devenue la beauté à Arles? La « réalité » photographique m'est apparue prisonnière de sa forme jusqu'à modifier ses contours, rendre flou le c?ur pour l'abstraire et la contraindre à exprimer un concept, parfois fort synthétique. On la modèle donc, la structure, la tend et l'étend afin d'en extraire toutes les possibilités. De là, on suppute une explication désignant ainsi l'orientation du cliché. Et c'est alors, que je bute. Ne va-t-on pas trop loin dans la déformation de la nature même de la photographie ? À force d'y voir un discours à rallonge, ne tend-on pas à mentir le propos, par vanité d'obtenir le meilleur artifice ? On finit par s'éloigner de la nature de l'objet du signifiant et du signifié. Et si tel en est le souhait, quelle en est la vraie portée ? Concept d'une non photo ? Celle qui aurait tout perdu jusqu'à son identité ?
À Arles, la réalité devient alors errante, prisonnière de représentations de plus en plus torturées puisées dans les profondeurs de nos âmes si noires. Les Rencontres Photographiques se sont appuyées sur toutes les pièces de l'escalier que nous avons collectivement construit pour descendre dans nos enfers de société malade. Maintenant que les repères s'effacent au profit de l'angoisse collective du lendemain, que nous détruisons quotidiennement nos parts de rêve, que nous propose la photographie ? Quel horizon dessine-t-elle ? Arles est resté scotché à célébrer ses 40 ans et nos malheurs avec !
Pourtant, il y a quelques mois, j'avais constaté à Londres un phénomène de quête de refuge dans les arts, un comportement social qui m'avait alors marqué. Ces hommes, femmes et enfants qui entraient au Musée, paraissaient chercher la valeur guide et identitaire qui serait le salut par sa réponse.
Un appel à la création du XXIème siècle ?
Diane Fonsegrive – www.festivalier.net
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