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EN COURS DE REFORMATAGE

Crise à l’Université: le Making of, par Nanouk Broche et Martin Crimp.

Ils sont 23 comédiens des cursus théâtre de l’Université de Provence. Ce soir, ils occupent la scène du Théâtre Antoine Vitez, les coulisses, les gradins. Les spectateurs sont cernés, encerclés, contenus, presque choyés. Ces jeunes nous ont à l’?il, mais avec bienveillance ! Le plateau est une esplanade d’où se dégage une fraternité qui réchauffe. Pas de rideau ici : les comédiens sont aussi machinistes, spect’acteurs silencieux et “observateurs – metteurs en scène”. Ils sont enthousiastes, manifestement heureux d’habiter la scène. Ce sont de beaux conquérants. Ils sont notre avenir de spectateur et de citoyen. Ils sont ma base, mes racines, mes espoirs.


Entre enseignement et direction d’acteurs, la metteuse en scène Nanouk Broche réussit à créer des ouvertures pour eux (que de belles individualités) mais aussi pour nous. « Personne ne voit la vidéo » de Martin Crimp (dénonciation de la société britannique, contaminée par l’idéologie néolibérale de Thatcher) multiplie différents espaces où les jeux sur scène s’articulent avec le montage de la pièce à l’image d’un « making of ». Cette trouvaille, loin d’être un gadget, est la réponse du « théâtre » à l’envahissement des valeurs de la sphère financière et marchande dans les liens interpersonnels (jetez un coup d’?il sur les sites de rencontres sur internet où l’on se vend avec le même vocabulaire que celui du management et du marketing). En proposant d’inclure métaphoriquement le « montage » sur scène, elle permet au groupe de jouer sa partition silencieuse, de projeter le texte de Grimp dans l’espace collectif où nous sommes inclus. La présence immobile de certains comédiens n’est pas sans rappeler les expressions artistiques urbaines actuelles telles que le « freeze » où les citoyens provoquent un happening dans l’espace public.

Cette mise en scène vous absorbe, fait de nous un voyeur (l’une des valeurs de nos sociétés « transparentes ») et nous conduit à « travailler », à ne pas se laisser envahir par  (les) l’accessoire(s), à revenir aux corps et aux mots, à reprendre place sur le terrain politique par le théâtre. Alors qu’une actrice « pilier de bar » joue avec l’accent de Jean-Claude Gaudin (délicieux), je fais le lien avec la pensée politique locale qui paralyse l’innovation et la visée.

A l’image d’un jeu de pistes, le spectateur circule pour chercher le sens, comme si nous n’avions pas le choix. Pendant deux heures, la tension ne baisse jamais, car Nanouk Broche véhicule de belles valeurs alors que Crimp donne à entendre la dégénérescence du lien social et amoureux. L’Université porte ce soir des valeurs d’avenir: loin de l’individualisme (un rôle est joué par plusieurs comédiens), rejet de la réduction (la scène est ouverte), utilisation de la technologie au service du sens et de l’humain (beau moment alors que deux acteurs soulèvent à bout de bras un tableau blanc où se projette la vidéo d’un visage, telle une peinture postmoderne).  

Lors du salut final, je me prends à rêver d’envahir la scène pour une fête dont les clameurs rejoindraient les chants guadeloupéens et s’inscriraient dans le manifeste poétique d’Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau.

Pas de doute, le théâtre est « un produit de haute nécessité ».

Pascal Bély

www.festivalier.net


Cela ne peut signifier qu’une chose :

non pas qu’il n’y a pas de route pour en sortir,

mais que l’heure est venue d’abandonner toutes les vieilles routes.

Aimé Césaire.

Lettre à Maurice Thorez.

“Personne de voit la vidéo” de Martin Crimp (making of) par Nanouk Broche est joué judsqu’au 7 mars 2009 au Théâtre Antoine Vitez d’Aix en Provence, à l’Université de Provence.

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