Pour cette soirée Brecht à la Minoterie de Marseille, Guy, blogueur d’ « Un soir ou un autre » a fait escale à Marseille après son voyage à Lisbonne. Nous étions deux oiseaux migrateurs à nous poser dans ce joli théâtre. Le canard Tadorne avait enfin de la compagnie…
Merci au Tadorne, c’est un animal d’une espèce très sociable, qui vous accueille volontiers sur ses territoires, qu’ils soient virtuels, ou bien terrestres. Comme ce soir à la Joliette, pour une fois l’air de Marseille y flotte aussi doux qu’à Lisbonne. Le long du port ont été abattus les taudis, et des tours surgissent de terre. La Minoterie résiste à la démolition pour perpétuer ici une mémoire de pierre, de bois aux couleurs chaudes et de théâtre populaire. Un lieu, forcement, pour jouer Brecht.
Ce dédoublement de personnalité, source d’inépuisables rebondissements, en évoque un autre: celui qui affecte le Maître Puntila du même Brecht. Le meilleur des hommes quand il est ivre, le pire des patrons quand il est à jeun. Dans les deux pièces la leçon est la même: impossible de concilier morale humaine et propriété privée.
Mais la comparaison entre la version qu’Omar Porras avait donné de Puntilla en janvier dernier au théâtre de la ville, et la Belle Ame que l’on voit ce soir, embarrasse.
On se lève, et -surprise ?- c’est à la pause que le meilleur théâtre fait irruption. D’un coup le Tadorne est bien reveillé. On lui rend la parole.
Guy. Un soir ou un autre
Je n’ai même pas le temps d’applaudir. La troupe démonte le décor, le plie, le case, le reconstruit. En un tour de magie (celui du théâtre !), les comédiens tombent leurs tuniques chinoises pour se vêtir de costumes de mariages. Alors que des salariés du Théâtre de la Minoterie apportent quelques friandises (savoureux sushis et autres combinaisons de fruits), nous voilà projetés dans l’opulence des bourgeois. Les artistes s’approchent pour nous parler et nous inclure dans un jeu de rôles étonnant où l’on couve le spectateur pour éviter qu’il ne se tire après les deux premières heures (décevantes) de la « Bonne ame du Se-Tchouan ». Le moment est délicieux, comme suspendu entre fiction et réalité. Après un quart d’heure, nous devons redescendre sur la terre brechtienne pour « La noce chez les petits bourgeois ». Le théâtre n’attend pas.
La table du banquet de mariage est immense. Seraient-ils treize que cela ne m’étonnerait pas. Les insultes volent haut et bas, tout dépend d’où l’on regarde. Les costumes en couleurs forment une mosaïque d’humeurs où je me surprends à faire des combinaisons parfois hilarantes pour ne pas perdre le sens. Cette pièce, écrite par Brecht avant l’arrivée du nazisme, transpire la déchéance à l’image de ces meubles de salon qui s’émiettent comme autant de valeurs qui finissent sous le tapis une fois fait le ménage des convenances.
Je ris, mais le niveau de tension est paradoxalement assez bas et la mise en scène de Haïm Menahem met à distance le contexte de l’époque. Il n’en profite d’ailleurs pas pour actualiser le propos, préférant s’en tenir aux bruits, à la fureur, aux corps désarticulés comme langage d’un groupe social à la dérive. Certes, mais le tout me paraît distancié à l’image de cette table qui nous éloigne, comme si Haïm Menahem semblait gêné par toute cette opulence de mots et de corps et pour tout dire un peu dépassé par le chaos généré par sa mise en scène. Cette frénésie qui n’autorise aucun temps mort ouvre le champ aux comédiens pour déployer leur talent quitte à laisser le public sur le côté. Étrange paradoxe que d’assister à ce mariage en lointain spectateur.
J’aurais bien aimé que l’on ne m’enlève pas le pain de la bouche.
Pascal Bély – www.festivalier.net
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