C’est ainsi que l’exceptionnelle scénographie joue un rôle capital: loft au design dépouillé (comme si la forme primait sur le fond); grande baie vitrée où la pluie dégouline (tel un chagrin qui n’en finit pas), larges miroirs en hauteur où les spectateurs voient les coulisses tout en lisant la traduction (magnifique trouvaille!), où la scène tournante transforme l’appartement en grand écran vidéo pour l’ouvrir vers la ville et leurs vies cachées. Il finit par tourner sur lui-même comme une bourgeoisie qui ne cesse de s’auto-enfermer. La scénographie campe les interactions entre les acteurs; elle est d’une minutie extraordinaire à l’image du mari enseignant – chercheur qui colle par terre des bouts de texte pour faire sa recherche macabre. Elle fluidifie les relations telles les portes coulissantes des baies vitrées qui tantôt isolent, ouvrent les cases et autorisent les simulations. Les mouvements des corps sont tout aussi sublimes, à la frontière d’une chorégraphie: ils s’articulent entre eux comme des automates telle une culture qui répète plus qu’elle ne crée. “Hedda Gabler” écrit dans les années 1870 par le norvégien Henrik Isben devient alors une tragédie moderne où la concurrence entre les acteurs trouve une résonance dans notre société où le culte du chacun-pour-soi est exacerbé en valeurs de la République.
Il convient donc de saluer l’immense talent de ce metteur en scène qui part d’un puzzle pour lui donner corps, où le public est inclus dans des allers-retours permanents entre rire et drame, comme si ce paradoxe alimentait le processus dramatique. Car loin de nous rendre observateurs, Thomas Ostermeier cherche à nous immerger dans cet espace tournant et retournant et crée la voie qui mène du voyeurisme à l’émotion partagée. Il a compris qu’il y a une part d'”Hedda Gabler” en chacun de nous.
Triomphe.
“Hedda Gabler” a été joué le 27 septembre 2007 à La Criée de Marseille.