Le spectacle est fini. Je me prends le visage entre les mains. On allait se « marrer » paraît-il. « I Want to go home » de Guilherme Botelho devait nous étonner avec tous ces danseurs venus de Suisse ! C'est une pièce « sur la bête qui dort en nous, dans laquelle il s'agit de renverser le cours Prozac des choses ». Le sujet est tellement tendance en ces temps où les théories comportementalistes visent à cataloguer définitivement l'individu en proie aux doutes, refusant le rationalisme et cherchant son autonomie.
Six danseurs sont donc sur scène, requins gonflables au sol, table de massage pour ostéopathe bien en vue. Cinq patients vont défiler dans ce cabinet imaginaire pour faire sortir la bête qui sommeille en eux. Vous l'aurez compris, ces Suisses ne voient le mal qu'incarné dans l'animalité. Mais surtout, tout n'est que clichés, caricatures lentement distillées depuis des années par le café ? théâtre, par les émissions de jeux et autre talk-show. Dans « I want to go home », la femme est un appât (elle mort à l'hameçon). Elle est bien sûr hystérique (tiens revoilà cette notion aujourd'hui abandonné quand elle est associée à la féminité). Elle castre l'homme tout en s'accrochant à lui, mais il est toujours là pour lui poser des limites. Mais je n'ai pas encore tout vu ! Un homme avec ses bottes de chasseur entreprend de la déshabiller avec une fourchette et un couteau ! La voilà réduite à de la chair. La femme est ainsi ridiculisée pendant plus d'une heure, soumise au désir de l'homme. Son corps n'est que liquide, à l'image d'une pisseuse qui emmerde ce petit monde masculin. L'homme n'est pas mieux servi, mais il au moins du souffle, il tient la canne à pêche pour prendre sa proie, et maîtrise les techniques de l'ostéopathie pour remettre les individus d'aplomb.
À ce stade de bêtise, le public rit de ce qu'il entend (car on y parle beaucoup dans cette pièce sur le ton des comiques de plateau télé). Il est conforté par les mots et les images d'une société qui déverse son machisme dans les médias, les cours de récréation et autres fêtes entre amis, pour maintenir en l'état ses bons vieux principes judéo-chrétiens. Cette danse me dégoûte ; elle fait régresser un public qui n'en demande pas tant pour éviter de se poser les questions, pour « ne pas se prendre la tête ».
Ce qui est finalement bestial dans ce spectacle, c'es la honte et la colère qu'ils m'ont données.
« J'en veux à ceux qui nient les spectacles graves en pensant qu'ils n'ont pas besoin de ça. J'entends des spectateurs dire qu'ils cherchent à s'évader. Je comprends, et en même temps je ne peux leur donner raison : ni la danse ni le théâtre ne peuvent servir à ça. Plus il faudrait regarder les choses en face – voir ces corps qui tombent près de nous chaque jour -, plus on nous donne à manger, à boire, à rire. C'est comme une anesthésie générale. »
Maguy Marin, à propos de « Ah ! Ah ! » programmé jeudi 1er mars au Théâtre de Cavaillon dans le cadre des Hivernales.